Rédigé et adopté en 2023, publié en janvier 2024
CONTENU DU PROGRAMME
- Préambule
- Le capitalisme
- L’impérialisme
- Les nations du Canada
- Un Canada nouveau
- Les classes sociales au Canada
- L’économie canadienne
- La constitution canadienne et le socialisme
- La libération au Canada : un aperçu
- Le (N)PCC et le chemin vers le pouvoir politique
- La transition socialiste
Préambule
Le (Nouveau) Parti Communiste du Canada, le (N)PCC, cherche à accomplir deux objectifs étroitement liés :
a) Établir le pouvoir de la classe ouvrière dans les sphères économique et politique du Canada et;
b) Initier des relations d’un nouveau type, non-coloniales, fraternelles et égalitaires entre toutes les nations qui demeurent aujourd’hui rassemblées de force, et de manière inégalitaire, au sein de l’État canadien.
Aucun de ces deux objectifs ne saurait être atteint de façon durable et significative sans l’autre. Le pouvoir de la classe ouvrière sans la libération nationale et l’égalité entre les nations serait construit sur une fondation illégitime et coercitive. La libération nationale sans le pouvoir ouvrier reviendrait à simplement réformer la loi canadienne, ou alors à créer de petits États impuissants qui deviendraient proies à l’une ou l’autre des multiples puissances impérialistes qui luttent aujourd’hui pour la domination et la survie dans le monde.
Le programme du (N)PCC vise à fournir une analyse précise et scientifique des conditions actuelles au Canada, à faire un survol étoffé de l’histoire des luttes populaires et de la construction du Parti Communiste dans ce pays, ainsi
qu’à montrer la voie pour mobiliser et unifier tous les combattants les plus déterminés et décidés de notre classe dans la lutte pour un avenir socialiste radieux.
Ce programme est un outil pour construire l’avenir et une arme pour combattre l’ennemi. Il devrait être repris, étudié, compris, affûté et continuellement amélioré par tous ceux qui partagent les deux objectifs identifiés ci-haut.

Le capitalisme
Nous vivons à une époque marquée par le triomphe généralisé, bien que temporaire, du capitalisme. Le capitalisme est un mode de production reposant sur la propriété privée des moyens de production (usines, outils, terres, infrastructures), lesquels sont détenus par une petite classe possédante, une élite (les capitalistes). Pratiquement toute la production sous le capitalisme consiste en la production de marchandises, c’est-à-dire la production destinée à l’échange sur le marché. Produire des marchandises dans le seul but de les vendre sur le marché et de réaliser un profit, en accumulant ainsi une quantité toujours croissante de richesses (l’accumulation du capital), est le seul objectif de toute la production sous le capitalisme. Cependant, afin de produire des marchandises, le capitaliste doit exploiter le travail des vastes portions de la population mondiale qui ne possèdent rien et n’ont rien à vendre excepté leur force de travail. En effet, car l’usage des moyens de production hautement développés qui existent aujourd’hui exige un travail collectif. Le travail salarié devient ainsi la forme généralisée d’exploitation et d’extraction de la plus-value des ouvriers (du prolétariat). Les relations de production capitalistes se sont imposées dans le monde entier. Même dans les régions où des relations de production précapitalistes existent encore, ces relations ont été subsumées et intégrées dans l’économie capitaliste mondiale1.
Le capitalisme dépend de deux classes qu’il génère continuellement : le prolétariat (ou la classe ouvrière) et la bourgeoisie (ou la classe capitaliste). Le prolétariat, dépossédé à divers degrés, est contraint de travailler pour le compte des capitalistes ou de sombrer dans la misère et la mort. La classe capitaliste, afin de demeurer viable, doit continuellement élargir ses opérations et se faire concurrence à elle-même. Le prolétariat pourrait très bien utiliser les moyens de production et faire fonctionner la société entière par lui-même. Il n’a pas besoin de la bourgeoisie : il peut travailler seul, dans son propre intérêt, pour remplir tous ses besoins. Schématiquement, c’est ce qui crée le potentiel pour la révolution socialiste. Une telle révolution doit cependant faire face aux puissants appareils mis en place par les bourgeois pour défendre leurs propriétés et leur statut social, ainsi que pour maintenir leur pouvoir.
L’impérialisme
Nous vivons présentement à l’ère de l’impérialisme moderne, le stade suprême du capitalisme. À notre époque, l’immense concentration de la production a mené à la domination des marchés par d’énormes monopoles, cartels et trusts, signalant la fermeture des marchés mondiaux et la fin de l’étape de libre concurence du capitalisme. La forte concentration de la production et du capital a entraîné la fusion du capital bancaire et du capital industriel, donnant naissance au capital financier et, par conséquent, à une nouvelle section parasitaire de la bourgeoisie monopoliste : l’oligarchie financière, qui exerce un contrôle écrasant sur les sphères politiques et économiques de la vie sociale. La concentration du capital mène à la surproduction et à un excédent de capital qui doit être investi à l’étranger afin de demeurer profitable. Par conséquent, l’exportation du capital, distincte de l’exportation des marchandises, acquiert une grande importance dans l’ère impérialiste actuelle.
Cette volonté d’exporter le capital conduit inévitablement à la division du monde entre les monopoles (dans le domaine économique) et entre quelques pays clés, les grandes puissances impérialistes (dans le domaine politico-militaire). Les monopoles, et les États impérialistes qui les représentent politiquement et leur servent de pourvoyeurs de force brute, sont engagés dans une lutte sans fin pour rediviser continuellement le monde entre eux, chaque faction de capitalistes monopolistes et de puissances étatiques visant à s’imposer comme la puissance dominante et hégémonique.
Cette lutte pour la redivision du monde se déroule constamment sur les fronts économique, politique et diplomatique. Souvent, cette rivalité se traduit par de véritables affrontements militaires. Alors que l’économie mondiale subit la pression du changement climatique, des pandémies et des désastres naturels, tous provoqués ou aggravés de manière exponentielle par le capitalisme-impérialisme lui-même, et alors que de nouvelles grandes puissances se lancent dans la mêlée, les affrontements entre factions impérialistes rivales deviennent plus probables et plus intenses. Les chocs entre puissances impérialistes rivales poussent des centaines de millions de personnes à fuir et quitter leurs pays d’origine, soit pour échapper à la pauvreté dans laquelle une grande partie du monde est maintenue de force, soit pour échapper aux guerres et assurer leur survie. Ces gens finissent alors entassés dans des camps ou des bidonvilles et, si jamais ils finissent par atteindre leur « terre promise », sont soumis à l’exploitation la plus abjecte.
Quand la lutte pour la redivision du monde prend la forme d’une guerre ouverte, elle tue et mutile des dizaines ou des centaines de milliers de prolétaires. Quand ces conflits interimpérialistes se transforment en guerre mondiale, comme ils l’ont fait à deux reprises au cours du siècle dernier, des dizaines de millions de personnes périssent. Une telle guerre aujourd’hui impliquant deux ou plusieurs grandes puissances constituerait, en raison de leurs arsenaux nucléaires, une menace existentielle directe pour l’humanité. Le système impérialiste mondial est, en somme, un désastre inqualifiable auquel nous devons échapper et que nous devons tout faire pour arrêter. Les puissantes forces politiques et économiques qui s’efforcent de préserver ce système et de prospérer en son sein sont les plus grands criminels de l’histoire de l’humanité, leurs mains tachées du sang de centaines de millions de personnes. Ne se souciant que de leurs profits et de la suprématie de leur classe sociale, ils mettent en péril l’avenir même de l’humanité et condamnent les générations futures à d’innombrables souffrances — à moins qu’on ne les en empêche.
Les grandes puissances et la périphérie
Dans l’ensemble, il y a quatre grandes puissances impérialistes dans le monde aujourd’hui. Elles sont divisées en deux groupes : les nouvelles grandes puissances en pleine ascension et les anciennes puissances déjà bien établies. Les deux nouvelles grandes puissances sont la Chine et la Russie, deux pays anciennement socialistes qui ont été dirigés par la classe ouvrière pendant de nombreuses années, avant que la bourgeoisie ne reprenne le pouvoir et retourne sur la voie du capitalisme. La Russie a repris le chemin du capitalisme avec une zone d’influence qui se limite à certains des anciens pays du bloc de l’Est. Il s’agit d’une grande puissance militaire, mais sa puissance économique repose principalement sur quelques monopoles du secteur de l’énergie et sur une périphérie modeste en Europe de l’Est et en Asie centrale, où son capital financier monopoliste doit faire face aux incursions constantes du capital européen et américain. La Russie cherche à consolider et agrandir cette zone d’influence face aux obstacles posés par les puissances occidentales, et est par conséquent prête à mener des actions militaires. La Chine, une ancienne colonie, est revenue sur la voie du capitalisme avec pratiquement aucune zone d’influence à l’étranger. Elle est maintenant une puissance à la fois économique et militaire, bien qu’elle soit encore en train de se défaire de son ancien rôle d’« usine du monde », de s’affirmer dans son nouveau rôle de puissance impérialiste à part entière, et d’accroître son influence dans de nombreuses régions, notamment en Asie du Sud-Est et en Afrique. Elle est donc plus hésitante à se lancer dans des confrontations directes, bien qu’elle s’y prépare visiblement. La Russie et la Chine ne sont ni les puissances « totalitaires » malfaisantes que nous dépeignent les libéraux et les réactionnaires, ni une sorte d’« alternative » aux impérialistes occidentaux. Elles sont simplement des nouveaux concurrents qui défient les anciens maîtres du monde pour la suprématie et la domination économique.2
Les anciennes puissances impérialistes bien établies sont l’Union européenne (UE) et l’Alliance Impérialiste Anglo-Américaine (AIAA) (souvent désignées ensemble comme les puissances impérialistes occidentales, mais il convient de noter les intérêts divergents qui existent entre elles). L’Union européenne est une union supranationale d’anciennes puissances coloniales européennes, dirigée par l’Allemagne et la France. Elle est dominée par de puissants monopoles et s’appuie sur une périphérie interne en Europe du Sud et de l’Est ainsi que sur des relations néocoloniales avec ses anciennes colonies et d’autres pays périphériques. Au point de vue militaire, cependant, elle est divisée, utilisée comme base d’opérations par les forces armées américaines (en particulier en Allemagne et en Italie) et elle est, en termes relatifs, moins puissante militairement que les trois autres grandes puissances. Par conséquent, tout comme la Chine, elle se méfie des confrontations directes.
L’AIAA est la principale alliance impérialiste dans le monde aujourd’hui. C’est une alliance informelle de pays puissants issus de l’ancien empire britannique et consolidée autour des États-Unis après leur émergence en tant que puissance hégémonique suite à la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis en constituent la puissance dirigeante, suivis du Royaume-Uni et du Canada. Ses autres couches comprennent des puissances régionales qui sont alliées à l’AIAA depuis de nombreuses décennies, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, Israël et l’Arabie Saoudite (ces deux derniers étant largement soutenus par l’AIAA afin de servir d’avant-poste de sa politique impérialiste au Moyen-Orient). Le Japon, l’une des deux puissances impérialistes majeures d’Asie, est aussi étroitement lié à cette alliance et sert d’avant-poste militaire pour l’impérialisme américain.
L’AIAA est l’expression politique des principaux monopoles dans le monde aujourd’hui : elle contrôle d’importantes institutions transnationales (l’ONU, l’OTAN, la Banque Mondiale, le Fonds monétaire international, le Commonwealth, etc.) et maintient ses propres institutions centrales, telles que le réseau de surveillance de masse global « Five Eyes ». Puisque l’AIAA est le principal bloc impérialiste, c’est aussi celui qui a le plus à perdre face à la montée de nouvelles grandes puissances et de nouveaux compétiteurs impérialistes, ce qui explique sa préparation ouverte et active pour une confrontation militaire avec la Russie et la Chine, tout en essayant de consolider ses liens avec l’UE.
Sous ces quatre grandes puissances principales, on trouve des puissances régionales sous-impérialistes ou impérialistes de moindre importance : certains pays européens non-membres de l’UE, certaines puissances « en voie de développement » comme le Brésil, l’Inde ou la Turquie, etc. Ces pays sont, à divers degrés, redevables aux principales puissances impérialistes, tout en poursuivant leurs propres intérêts et cherchant à devenir de grands acteurs à part entière. Ce faisant, ils exercent généralement leur influence et leur domination sur de petites zones d’influence (par exemple, l’Inde compte le Népal dans sa zone d’influence). Les puissances régionales et les satellites majeurs des principales puissances impérialistes font partie de cette catégorie.
Encore plus bas dans cette hiérarchie, on trouve les pays et nations opprimés. Lorsque le monde se fait rediviser, les grandes puissances divisent et ces pays sont divisés, car leurs ressources et le travail de leur peuple sont absolument nécessaires pour la survie du système impérialiste. Ils représentent la majorité absolue de tous les pays et leur subordination est la clé du maintien du pouvoir des impérialistes. Leurs classes dirigeantes locales soit collaborent avec l’une ou l’autre des grandes puissances, soit essaient d’atteindre un degré limité d’« indépendance » en se glissant dans des failles entre les zones d’influence impérialistes3. Certains de ces pays sont pleinement capitalistes, tandis que d’autres demeurent enfermés dans des rapports de production semi-féodaux et semi-coloniaux. Plusieurs pays opprimés, puissances régionales, satellites impérialistes, de même que toutes les quatre grandes puissances impérialistes contiennent, dans leurs frontières, des nations et nationalités opprimées privées de pouvoir étatique indépendant, ce qui ajoute encore un degré de complexité au système impérialiste mondial. Dans presque toute ces catégories de pays et de nations subordonnées, le faible niveau de vie, la violence paramilitaire ou d’État à la défense de l’exploitation et les vagues d’émigration sont la norme.
Les quatre grandes contradictions
Les trois principales relations et contradictions dans le monde aujourd’hui sont les suivantes :
a) entre les impérialistes eux-mêmes, ce qui signifie que la lutte pour la redivision du monde est toujours en cours, bien qu’à des degrés divers.
b) entre les pays impérialistes et les pays opprimés, ce qui signifie l’exploitation et l’oppression impérialistes, de même que la lutte pour l’autodétermination et le développement national indépendant.
c) entre la bourgeoisie et le prolétariat de chaque pays, ce qui signifie la lutte de classe et le potentiel pour la révolution socialiste.
Lorsque la classe ouvrière victorieuse ramènera le socialisme dans le monde, cela signifiera également qu’une quatrième contradiction majeure, entre le mode de production socialiste et le mode de production capitaliste, cessera d’être simplement potentielle ou latente et deviendra réellement cruciale pour la période en cours. Ces quatre relations et contradictions déterminent la situation mondiale dans laquelle nous agissons et dans laquelle nous luttons pour faire émerger le socialisme.
Le Canada dans le système impérialiste
Comme nous l’avons indiqué plus haut, le Canada fait partie intégrante de l’AIAA. C’est un partenaire militaire et économique en bonne et due forme, bien que relativement petit, des États-Unis et du Royaume-Uni. Du point de vue militaire, le Canada maintient une armée entièrement professionnelle, de taille plutôt modeste qui, selon son propre aveu, se spécialise dans la contre-insurrection (pour des motifs à la fois internationaux et locaux, comme nous le verrons plus loin). Bien que le Canada ne soit pas un poids lourd, il est depuis sa fondation subordonné à la principale puissance de l’AIAA (il s’agit des États-Unis depuis 1945). Bien qu’il se dépeigne comme un « gardien de la paix », et malgré ses quelques retraits hautement théâtraux et hypocrites de certaines initiatives militaires de l’AIAA, le Canada est profondément intégré à l’appareil militaire de l’AIAA4. Il est dévoué à l’AIAA en tant qu’alliance militaire qui vise à contenir, vaincre ou éliminer les nouvelles puissances impérialistes émergentes, de même qu’il est hautement investi dans l’OTAN, l’expression organisationnelle de cette alliance militaire.

Économiquement, les monopoles canadiens profitent du réseau économique mondial de l’AIAA pour s’enrichir à l’étranger. Le Canada héberge de grandes institutions du capital financier monopoliste impérialiste, notamment les « cinq grandes banques canadiennes5 .» Le Canada détient d’importants actifs étrangers dans les industries manufacturières et logistiques et se spécialise dans l’extraction de ressources, en particulier dans le secteur minier et dans les combustibles fossiles. Les monopoles miniers canadiens tels que Barrick Gold, Teck Resources Limited et de nombreux autres mènent non seulement de grandes opérations domestiques ou basées aux États-Unis (dont beaucoup se déroulent sur des terres toujours revendiquées, et souvent toujours habitées par des peuples autochtones), mais détiennent aussi d’importants actifs en Afrique, en Amérique Latine et aux Caraïbes (avec des actifs de moindre importance en Asie, en Europe et en Océanie). Le Canada profite aussi de vagues migratoires largement causées par ses propres activités et par celles de ses alliés à l’étranger afin de remplir les rangs de sa classe ouvrière de personnes désespérées qui sont souvent forcées de travailler dans des conditions misérables pour des salaires insuffisants6.
Les nations du Canada
Le Canada n’est pas un État-nation. C’est un pays né des premières vagues de colonisation européenne et qui s’est consolidé par le processus de développement du capitalisme-impérialisme. Il n’existe pas de nation canadienne unique. À l’intérieur de ses propres frontières, le Canada constitue plutôt un vaste empire territorial, une prison des nations construite sur l’oppression violente des peuples autochtones et qui prive encore les francophones et d’autres minorités nationales de certains droits nationaux. Cet empire s’est construit sur un demi-millénaire de colonisation et d’expansion territoriale, encouragées d’abord par la lutte entre la France et l’Angleterre pour la division du soi-disant « Nouveau monde » et plus tard par les besoins d’expansion économique de la bourgeoisie canadienne.
Ce processus a commencé avec la mise en place de la Nouvelle-France, une colonie française. Il s’est poursuivi avec sa conquête par l’Empire britannique et l’annexion des colonies britanniques avoisinantes. Il est passé à la vitesse supérieure avec la Confédération de 1867 et l’expansion vers l’Ouest qui l’a suivie. Le Canada n’a pris sa forme actuelle qu’en 1949, lorsqu’il a absorbé la colonie britannique de Terre-Neuve. Jusqu’à ce jour, la classe dirigeante du Canada travaille à consolider son emprise sur le Nord, riche en ressources et peuplé surtout d’Autochtones. L’expansion graduelle du Canada sous la direction de la bourgeoisie a créé une situation où certaines nations sont ouvertement et violemment opprimées ainsi que privées de leurs droits collectifs, tandis que le prolétariat de toutes les autres est soumis au pouvoir et aux caprices de la classe dirigeante.
Les peuples du Canada contemporain peuvent être divisés en catégories distinctes de deux façons. La première de ces divisions consiste à séparer les groupes nationaux historiques du Canada et les minorités nationales provenant de l’immigration récente. Les groupes historiques sont historiquement attachés à des territoires plus ou moins clairement délimités, avec des langues communes et souvent des économies communes, formant des minorités nationales stables et des nations à part entière. Ces groupes nationaux comprennent les peuples autochtones dans leur ensemble (Premières Nations, Métis et Inuits), les Québécois, les Anglo-Canadiens, les Acadiens, les Franco-Ontariens et les Franco-Manitobains. Il y a aussi d’autres minorités nationales historiques beaucoup plus petites ou beaucoup plus assimilées, dont les Black Scotians, les Celtes des Maritimes (Écossais de langue gaélique, les Irlandais de Terre-Neuve, etc.), les descendants des premiers immigrants d’Asie de l’Est ou du Sud, les Canadiens-français en dehors des trois principales zones énumérées ci-haut, les immigrants d’Europe du Sud et de l’Est dans les Prairies, ainsi que certains groupes d’immigrants plus récents partout où ils se trouvent en grande concentration et en grand nombre. En revanche, bien qu’elles partagent des traits nationaux communs tels que l’origine, la langue et la culture, les minorités nationales issues de l’immigration plus récente n’ont pas les caractéristiques territoriales ou économiques de nations à part entière et existent plutôt en tant que familles dispersées et communautés fluctuantes à travers le Canada, existant au sein et à travers les classes populaires multinationales dans leur ensemble.
La seconde division des nations du Canada repose sur leur relation avec l’État canadien et le degré auxquels ils peuvent actuellement exercer leurs droits nationaux et culturels librement. Il y a trois catégories de nations selon ces critères. D’abord, il y a les deux nations dominantes : les Canadiens et les Québécois. Les économies de ces nations sont construites autour du capital financier monopoliste et toutes deux exercent un pouvoir d’État (au niveau fédéral ou provincial), qui assure la protection de leurs droits nationaux. Ensuite, il y a les nations colonisées : les Autochtones dans leur ensemble. Le colonialisme canadien est son propre phénomène historique, à distinguer d’autres formes historiques du colonialisme. Aujourd’hui, il s’agit d’une relation basée sur des droits inégaux devant la loi et sur un statut légal distinct entre les citoyens canadiens et les « Indiens à statut », dont l’objectif est de permettre à la classe dirigeante des nations dominantes de continuer à s’emparer de toujours plus de terres et de ressources appartenant à ces peuples. Le troisième groupe est celui des nations non-colonisées sans pouvoir d’État, dont les droits nationaux et culturels sont négligés ou réprimés à divers degrés. Les minorités nationales non-autochtones font en règle générale partie de ce groupe.
Les premiers peuples
Bien avant la colonisation européenne des terres qui allaient devenir le Canada, ce territoire était habité par une multitude de groupes ethnoculturels. Ceux-ci formaient les peuples de tout un continent, parlant plus de 60 langues différentes (du moins dans les territoires appartenant aujourd’hui à l’État canadien), vivant sous des modes de production variés (allant de sociétés communales sans classes, à des sociétés dans les premiers stades de la division en classes, et même un petit nombre de sociétés esclavagistes ou protoféodales). Il s’agit des peuples autochtones. Bien que leurs terres et leur population aient grandement diminué sous l’effet génocidaire du colonialisme et de l’expansion capitaliste, ils demeurent des acteurs clés dans la réalité politique canadienne. Ces peuples comprennent de nombreux groupes nationaux distincts qui ont lentement mais sûrement acquis des caractéristiques communes sous la double action du colonialisme canadien et de leur résistance collective. Légalement divisés en Premières Nations, Inuits et Métis, on peut toutefois les regrouper dans une catégorie commune à cause de leur expérience historique commune et de leur relation à l’État canadien. Les Autochtones représentent environ 5% de la population totale : environ un million de membres des Premières Nations, 550 000 Métis et 70 000 Inuits.
Les peuples autochtones sont les premières et principales victimes de l’oppression nationale au Canada. Pris dans le feu croisé de l’expansion coloniale et des guerres entre les empires français et britannique à partir du 17e siècle, leur population a été dévastée par les guerres, les maladies, les déplacements, les migrations forcées et les massacres, jusqu’au point où des peuples entiers ont été décimés. De la Confédération jusqu’à récemment, la répression violente, la ségrégation et l’oppression ouverte étaient les principaux outils employés par l’État canadien afin de régler ce qu’il appelait le « problème Indien ». Depuis les années 60 et 70, l’État s’est mis à employer un ensemble de nouvelles méthodes de pacification et de gestion, plus subtiles, incluant d’un côté l’élévation d’un petit nombre d’Autochtones à un statut plus élevé (en particulier dans le domaine culturel), et de l’autre l’incarcération à grande échelle et la répression policière en ce qui concerne de grandes parties de la population autochtone ouvrière ou sans-emploi. Dans les deux cas, l’objectif d’éliminer l’identité nationale autochtone et de pleinement assimiler les peuples autochtones sous la loi canadienne demeure inchangé. La violence ouverte demeure employée dès que la classe dirigeante canadienne l’estime nécessaire7.
La première phase ouvertement violente de l’oppression nationale contre les premiers peuples de ce continent a été sanctionnée dans la loi. Divers documents législatifs ont intégré l’oppression nationale des Autochtones dans l’appareil légal canadien, dont la tristement célèbre « Loi sur les Indiens » de 1876 qui en a fait des citoyens de seconde zone. Les traités conclus entre ces nations et la Couronne britannique ou le gouvernement canadien ont généralement été obtenus par la force ou le mensonge et, de toute façon, les termes de ces traités n’ont été que rarement appliqués. S’ils l’ont été, ce n’est que de manière profitable pour la Couronne ou le gouvernement.
Les Autochtones ont été enfermés dans des « réserves indiennes » qui ne représentent qu’une fraction de leurs terres historiques, tandis que les terres les plus productives ou les plus riches en ressources ont été ciblées pour l’appropriation gouvernementale ou capitaliste privée. Ils ont été largement privés de leurs moyens de subsistance traditionnels ainsi que de leur droit à la propriété sous le capitalisme, ce qui les a contraints à une relation de dépendance avec l’État. Leurs enfants ont été emmenés de force dans des pensionnats financés par l’État et dirigés par les principales églises afin d’y être assimilés. Des milliers d’entre eux y ont péri, concrétisant de façon terrifiante le slogan de ces écoles : « Tuer l’Indien dans l’enfant ». Ces faits illustrent de manière sinistre un véritable génocide qui a été orchestré par l’État et la classe dirigeante du Canada afin de s’approprier des terres et des ressources, écrasant des peuples entiers dans leur marche vers des profits toujours croissants.
La phase plus « démocratique » de l’oppression nationale que nous connaissons aujourd’hui est peut-être moins ouvertement violente, mais elle sert les mêmes objectifs que la précédente. Malgré les grands gestes de « réconciliation » promulgués par presque tous les paliers de gouvernement et par de grandes sections de la bourgeoisie canadienne à travers le pays depuis l’élection de Justin Trudeau en 2015, les peuples autochtones se sanctionnée toujours refuser le droit à l’autodétermination. La politique de la classe dirigeante canadienne au cours des dernières décennies, depuis la publication du Livre blanc de Pierre Eliott Trudeau en 1969, demeure l’assimilation complète. Pour y parvenir, l’État canadien utilise de nouvelles ententes territoriales pour municipaliser les réserves et la gouvernance autochtone, tout en employant la force armée pour écraser toute lutte nationale qui s’oppose à ce projet d’assimilation. La classe dirigeante canadienne est une championne mondiale de l’hypocrisie, qu’elle élève à des niveaux jamais vus auparavant. Les inégalités de niveau de vie entre les Autochtones et les Canadiens non-autochtones demeurent ahurissantes : accès limité à l’éducation, infrastructures délabrées ou absentes (ce qui inclut souvent un manque d’accès à une chose aussi fondamentale que l’eau potable), chômage, pauvreté généralisée, taux de suicide astronomiques (huit fois plus élevé que la moyenne nationale), taux d’incarcération disproportionnés, etc.
De plus, les tactiques coloniales de la classe dirigeante canadienne ont créé un nouvel obstacle à la libération nationale autochtone : l’émergence d’une bourgeoisie compradore autochtone alliée avec la bourgeoisie monopoliste canadienne8. Cette classe en croissance, qui a une influence disproportionnée dans les institutions officielles, est un outil colonial important pour semer la division et étouffer le mécontentement populaire. Plus bas dans l’échelle hiérarchique, une petite-bourgeoisie et une intelligentsia autochtones ont aussi été développées par l’État dans le cadre de sa stratégie contre-révolutionnaire. Le camp révolutionnaire devra naviguer prudemment pour construire une alliance de classe qui représente les intérêts les plus larges des peuples autochtones tout en isolant et en luttant contre ces nouvelles classes réactionnaires.
La lutte nationale autochtone au Canada fait face à une série de dilemmes sérieux. Les traités inégaux, souvent frauduleux, qui représentent une grande partie de l’appareil légal canadien destiné à déposséder ces peuples, sont aussi la seule barrière qui empêche ces mêmes peuples de perdre les terres et les ressources qui leur restent. Le « statut d’Indien » ségrégationniste et infantilisant qui les sépare des citoyens canadiens (et les rend inférieurs à ces derniers) est aussi présentement la seule chose qui empêche l’extinction complète de leur nationalité sous les lois actuelles. Les formes de résistance culturelles et traditionalistes qui leur servent souvent à affirmer leurs droits distincts et à s’opposer à l’empiétement étranger sur leurs terres ne sont pas suffisantes pour leur permettre d’obtenir une vraie souveraineté ou pour produire un véritable développement économique national, donc à s’émanciper de l’État et des monopoles canadiens.
La seule façon de couper ce nœud gordien, c’est de lier la lutte nationale autochtone à la lutte prolétarienne pour le socialisme, afin de renverser l’État canadien existant. Une fois qu’il aura été renversé, de nouveaux accords pourront être établis pour l’usage des terres et des ressources, ainsi que pour leur partage entre les nations. Une véritable souveraineté pourra être garantie dans une nouvelle constitution multinationale. Cette souveraineté pourra assurer des droits nationaux complets et distincts sans qu’un « statut d’Indien » ne soit nécessaire, puisqu’il sera alors remplacé par la pleine citoyenneté dans une nation souveraine. L’indépendance complète pourra être atteinte par les nations qui le désirent et qui ont les ressources nécessaires pour l’accomplir9. Un développement économique et social dirigé de manière autonome permettra aux Premiers peuples d’avancer vers un avenir non-colonial au lieu de tenter de défendre le peu qui leur reste de leur passé précolonial. Les cultures autochtones trouveront un second souffle sous ces conditions de liberté politique et de développement économique. C’est le chemin qui a été suivi par les peuples opprimés et colonisés à travers le monde et il est grand temps qu’il atteigne enfin l’Amérique du Nord et détruise de l’intérieur les deux monstres impérialistes.
Les nouveaux peuples
La colonisation de l’Amérique du Nord par les Britanniques et les Français a transformé le paysage national du continent, détruisant et déplaçant des centaines de peuples autochtones distincts, donnant naissance à de nouvelles nations à part entière. Contrairement à beaucoup d’autres sociétés coloniales (le Raj britannique en Inde, l’Algérie française avant la révolution algérienne, et beaucoup d’autres), les nations colonisatrices du Canada se sont développées en véritables nations avec des classes dirigeantes et ouvrières qui leur sont propres. Elles représentent maintenant la vaste majorité de la population canadienne et leur prolétariat est aujourd’hui la principale force pour la révolution socialiste dans ce pays. Ces nouveaux peuples de l’Amérique du Nord comprennent les nations québécoise, anglo-canadienne, canadienne-française, d’autres groupes minoritaires historiques et d’autres minorités nationales immigrantes.
Les Québécois sont l’une des deux nations dominantes du Canada, représentant près de 7 millions de personnes et formant la vaste majorité de la population dans la province de Québec. Bien qu’ils aient des origines communes avec les autres Canadiens français, les Québécois sont devenus une nation distincte qui ne partage avec eux que la langue et certains éléments culturels. Suite à la Conquête des Britanniques, le peuple québécois a souffert de degrés divers d’oppression nationale et a été privé de droits linguistiques et culturels. Pendant longtemps, l’économie québécoise a été dominée par les bourgeoisies monopolistes anglo-canadienne et américaine, tandis que leurs campagnes étaient figées dans des conditions semi-féodales anachroniques.
À partir des années 1960, sous l’impulsion d’abord de mouvements populaires, de syndicats et du nationalisme progressiste, puis sous la direction de la bourgeoisie nationale, le Québec a connu un vaste mouvement d’affirmation nationale, prenant le contrôle de son économie, s’emparant du pouvoir d’État au niveau provincial, développant un capitalisme avancé proprement québécois et regagnant la vaste majorité de ses droits nationaux (par exemple en instaurant des mesures de protection linguistique clés, en obtenant de la représentation dans certaines organisations supranationales, etc.). Le Québec s’est intégré dans l’AIAA comme partenaire junior au sein de la classe dirigeante anglo-canadienne plus large, établissant son propre petit domaine au centre de la réaction mondiale. Par deux fois, des fractions de la bourgeoisie monopoliste québécoise ont tenté de faire sécession du Canada (en 1980 et en 1995), mais elles ont toujours clairement affirmé que si ces tentatives avaient abouti, le Québec serait demeuré un allié proche des impérialistes anglo-américains.
Aujourd’hui, il serait erroné de décrire le Québec comme étant une nation opprimée. Nous devons cependant reconnaître qu’il existe toujours une réelle contradiction entre le peuple québécois et l’État canadien, qui provient de l’oppression historique des Québécois et des dernières survivances de cette oppression. Cette contradiction prend la forme du « Québec bashing » et de l’hostilité mutuelle entre les Québécois et d’autres nations au sein du Canada. Quand ces problèmes se manifestent dans le prolétariat canadien, nous les identifions comme une contradiction au sein du peuple qui doit être résolue par la persuasion.
Les Acadiens et les Canadiens français sont un ensemble de peuples distincts qui, d’une manière similaire aux peuples autochtones, peuvent être identifiés comme représentant leur propre catégorie distincte à cause de leur réalité actuelle et historique commune. Ils représentent environ 4% de la population canadienne, c’est-à-dire 1.1 million de personnes : 300 000 Acadiens dans les Maritimes, dont la majorité se trouve au Nouveau-Brunswick, et 800 000 Canadiens français, surtout en Ontario et au Manitoba, avec de bien plus petits groupes présents ailleurs dans l’Ouest. Tous ces groupes représentent des minorités nationales dans leurs provinces respectives.
Les Acadiens ont historiquement souffert du plus haut degré d’oppression nationale jamais subi par un peuple non-autochtone dans l’histoire du Canada. Ils ont subi, entre 1755 et 1763, une déportation de masse durant les événements désormais appelés « le Grand Dérangement », pendant lesquels près d’un tiers de la population acadienne a péri dans des naufrages, des famines, des massacres ou par la maladie. Pendant longtemps, ils ont souffert de graves inégalités de développement, qui se sont grandement amenuisées avec le temps. Contrairement aux Québécois, les Acadiens n’ont toujours pas de capitalisme avancé proprement acadien ou de pouvoir d’État national, même à l’échelle provinciale.
Les minorités historiques canadiennes-françaises se sont répandues à travers le pays, d’abord en s’établissant dans des zones qui n’étaient pas encore colonisées (avant la Confédération), puis par des migrations internes. Ils étaient autrefois des minorités importantes dans la plupart des provinces, mais des processus d’assimilation, qui sont toujours en cours, ont graduellement érodé leurs communautés, éliminant leur distinction nationale dans certaines zones et restreignant leurs droits culturels et linguistiques partout en dehors du Québec. Aujourd’hui, ils sont surtout présents dans certaines zones de l’Ontario et du Manitoba, et des communautés beaucoup plus petites subsistent toujours ailleurs au pays.
Les Acadiens et les Canadiens français font encore face à des inégalités culturelles et linguistiques. Les minorités francophones ont du mal à accéder à des services de base dans leur propre langue, une réalité qui limite leur qualité de vie et leurs possibilités d’ascension sociale. Pour les Canadiens français et les Acadiens en dehors du Nouveau Brunswick, le risque d’assimilation totale demeure d’actualité.
Les Canadiens anglais (la « Nation canadienne ») représentent maintenant un peu moins de 50% de la population totale. C’est le plus grand groupe national historique et la principale nation dominante au Canada. Même si sa domination, et la politique officielle de multiculturalisme du Canada, peuvent facilement nous faire imaginer qu’il ne s’agit pas vraiment d’une nation, elle en possède néanmoins toutes les caractéristiques : un territoire, une langue, une vie économique et une culture commune. Notre tâche, en tant que communistes, est de la reconnaître comme nation égale à toutes les autres et de faire émerger les éléments progressistes et révolutionnaires profondément enfouis dans son histoire et sa vie contemporaine.
Prenant racine dans les vieilles colonies britanniques et chez les loyalistes fuyant la révolution américaine, la nation canadienne anglaise a été façonnée et constamment remodelée par la migration de masse. Elle le fut d’abord par des colons et des prolétaires immigrants de Grande-Bretagne (principalement des Irlandais et des Écossais) ou d’ailleurs en Europe de l’Ouest et aux États-Unis (parmi lesquels on trouvait beaucoup de personnes noires10), puis d’Europe de l’Est et du Sud, ainsi que de l’Asie11 au début et au milieu du 20e siècle. Aujourd’hui la nation Canadienne anglaise se fait de nouveau transformer par des vagues migratoires de masse provenant surtout d’Asie, mais aussi d’Amérique Centrale et du Sud, ainsi que d’Afrique. Le Québec, comme deuxième nation dominante du Canada, évolue de manière similaire.
Le Canada anglais a historiquement été dominé par l’Ontario et son ancêtre le Haut-Canada, étant traversé de grandes différences en matière de développement selon les régions. La région métropolitaine de Toronto, dans le sud de l’Ontario, demeure de loin la partie la plus peuplée et la plus économiquement développée du Canada. Il s’agit aussi du bastion du capital financier canadien. Les Maritimes, et de nombreuses régions rurales à travers le pays, par exemple dans les Prairies, demeurent relativement pauvres et sous-développées. De plus, dans chaque région canadienne anglaise, que ce soit les grandes zones métropolitaines ou le fin fond des campagnes, il est important de faire la distinction entre la classe ouvrière anglo-canadienne et la classe dirigeante anglo-canadienne, puisque leurs intérêts sont en fin de compte complètement opposés. L’unité de la nation canadienne doit être rompue selon des lignes de classe si nous espérons un jour reconstruire ce pays sur de nouvelles bases.
Contrairement aux groupes nationaux historiquement constitués mentionnés ci-dessus, les minorités nationales issues de l’immigration récente existent en tant que communautés plus dispersées et fluctuantes. Elles exercent cependant une influence importante sur le paysage national. Aujourd’hui, plus de 20% de tous les Canadiens sont nés à l’étranger, un nombre qui a varié avec le temps, mais qui est toujours demeuré relativement haut. 22% des Canadiens sont aussi nés de parents immigrants, pour un total se rapprochant de la moitié de la population totale. La classe dirigeante utilise l’immigration afin de 1) changer le rapport de forces autour de la question nationale, 2) constamment renflouer et recomposer le prolétariat en une force plus docile et exploitable, qui se perçoit comme un peuple ayant peu ou pas de droits, et il l’utilise 3) comme source de valeur économique ajoutée. En effet, les immigrants arrivent déjà prêts à vendre leur force de travail, ayant été élevés et éduqués ailleurs et aux dépens d’autres personnes.
À partir des années 1960, pendant que Pierre Elliot Trudeau était au pouvoir, la classe dirigeante canadienne a remplacé son ancienne doctrine nationale, l’orangisme (le suprémacisme anglo-protestant12) par une politique officielle de « multiculturalisme » qui consiste essentiellement à importer tout une galaxie d’immigrants bourgeois et petits-bourgeois provenant de pays opprimés pour les répartir à travers la société canadienne, puis en élever un nombre suffisant dans la superstructure politique, culturelle et intellectuelle de la société canadienne pour pouvoir présenter le régime colonial et impérialiste aux masses comme une sorte de paradis multiculturel jamais vu auparavant.
Pour le prolétariat immigrant, cependant, les choses sont moins prometteuses, car diverses barrières administratives et légales peuvent les laisser coincés dans les bas-fonds du prolétariat, faisant alors face à la ségrégation, à l’emprisonnement, à la déportation, à l’exploitation et étant logés dans des conditions inhumaines. Parmi les méthodes les plus vicieuses de la classe dirigeante pour exploiter les immigrants prolétaires, on compte les divers programmes d’immigration « temporaire » qui ont crû en importance au cours des deux dernières décennies et ont encore augmenté dans les années 2020, dépassant le nombre annuel de résidences permanentes accordées. Les travailleurs étrangers temporaires, sous diverses formes de permis de travail, n’ont souvent même pas les droits démocratiques les plus élémentaires tels que le droit à la mobilité et à changer d’employeur ou l’accès aux programmes sociaux et à l’assistance sociale. Autrefois, ces programmes ne visaient que quelques industries spécifiques, l’agriculture étant l’une des plus importantes. Maintenant, de nouvelles industries (restauration, construction, logistique, transformation alimentaire, etc.) y ont recours de façon croissante et les travailleurs étrangers temporaires sont de plus en plus poussés à travailler dans des régions éloignées pour en augmenter la population et maintenir la production économique des petites villes et des zones rurales.
Regorgeant de trafic humain, de fraude et d’autres abus officiellement illégaux, mais factuellement tolérés, les programmes de permis de travail temporaires sont de plus en plus devenus semblables à une forme moderne d’esclavage. Les travailleurs qui fuient ces systèmes viennent remplir la masse existante d’immigrants sans statut, qui n’ont quant à eux pas de droits du tout et subissent des formes d’exploitation et d’oppression encore plus graves.
Un Canada nouveau
La bourgeoisie monopoliste et son État confondent volontairement le potentiel du Canada et sa réalité présente. Le Canada pourrait vraiment être un pays d’un genre nouveau, où la souveraineté nationale ne serait pas la chasse gardée d’une petite classe parasitaire, mais serait plutôt accordée à la myriade de groupes nationaux qui lui donnent son riche panorama culturel. Nous pourrions vraiment travailler tous ensemble à préserver nos cultures respectives, à développer notre économie d’une manière durable qui bénéficierait à tous les peuples travailleurs. Nous pourrions inclure des cultures et des traditions originaires de l’Amérique du Nord précoloniale, de l’Europe et, maintenant, de l’ensemble du monde. Nous pourrions collectivement nous saisir de tout ce qui est vieux pour en faire du neuf.
Mais ce n’est pas ainsi que sont les choses maintenant, puisque faire les choses de cette manière ne permettrait pas à la classe dirigeante de maximiser ses profits et de demeurer compétitive face à ses rivaux impérialistes. La souveraineté autochtone restreindrait l’accès à des territoires et des ressources clés pour le capital monopoliste (d’où le fait que les politiques coloniales du Canada perdurent encore aujourd’hui). Les droits linguistiques pour les minorités nationales historiques paraissent comme une perte de temps et de ressources pour une classe qui se soucie uniquement de maximiser ses profits. Les immigrants et les réfugiés sont accueillis, non pas comme des êtres humains avec des rêves et des visées qu’ils espèrent accomplir dans une terre nouvelle, mais comme une nouvelle réserve de cheap labour sans cesse grandissante. Les Anglos-Canadiens et les Québécois jouissent de pleins droits nationaux, mais les gens de la classe ouvrière dans ces deux nations restent sans pouvoir parce qu’ils sont des prolétaires. Ils ne pourront jamais contrôler pleinement leur destin tant qu’ils ne poursuivront pas leur propre politique, indépendante de leurs classes dirigeantes. « Un peuple qui en opprime un autre ne peut lui-même s’émanciper. » (Lénine)
Des tensions émergent entre les prolétaires de tous ces groupes, à la fois à cause de conditions objectives et à cause d’influences idéologiques diffusées par la bourgeoisie monopoliste. Notre tâche est de résoudre ces tensions en offrant un projet politique révolutionnaire qui unit les intérêts à long terme des prolétaires de toutes les nations. C’est seulement de cette manière que nous pouvons dépasser les divisions nationales, le racisme et la suspicion mutuelle.
Quand les travailleurs du Canada prendront le pouvoir dans leurs mains, le vrai potentiel du Canada pourra être réalisé : celui d’un territoire avec plusieurs peuples, qui tous méritent de conserver leur identité distincte, tout en contribuant à un ensemble plus grand. La souveraineté peut coexister avec l’unité économique et politique. L’identité distincte peut coexister avec le vivre-ensemble. Non seulement est-ce possible, c’est nécessaire.
Le (N)PCC reconnaît tout d’abord le droit des nations opprimées à leur autodétermination, incluant le droit de sécession. Mais nous ne nous satisfaisons pas de cela : nous reconnaissons que, étant donné la manière dont le Canada s’est construit, une séparation totale entre ses nations serait sûrement contre-productive. Dès lors, nous avons l’intention de construire une nouvelle forme d’unité politique et économique, une Confédération socialiste multinationale dont les parties constituantes ne sont pas des provinces délimitées arbitrairement, mais des peuples et des nations qui existent vraiment.
Une telle confédération aura besoin d’établir de nouveaux procédés de négociations de traités et de dialogues de nation à nation, qui ne seront plus conduits sous la menace constante de l’appareil répressif de la classe dirigeante. En effet, nous croyons qu’en excluant entièrement la bourgeoisie monopoliste de ce processus, nous résolvons une bonne partie du problème. Les gens de la classe ouvrière, des nations opprimées et des minorités nationales ont besoin de créer leur propre constitution, d’établir un nouvel État multinational qui conserve la souveraineté de ses parties constituantes, de redessiner les frontières internes selon les divisions nationales réelles et de renégocier ou réaffirmer les traités existants. Sans la bourgeoisie monopoliste et ses représentants et lieutenants, nous pouvons trouver un terrain d’entente et bâtir une confédération où nous nous épanouissons et respectons les besoins et les envies des autres.

exproprier la bourgeoisie monopoliste-capitaliste dans son ensemble. Une telle révolution constituerait un coup historique mondial contre l’ensemble de l’alliance impérialiste anglo-américaine et accélérerait son déclin et sa défaite historiques, non seulement vis-à-vis des autres rivaux impérialistes, mais vis-à-vis de la deuxième vague de la révolution prolétarienne internationale.
Les classes sociales au Canada
À travers toutes les nations, la société canadienne est scindée par une division encore plus fondamentale : la classe sociale. L’accumulation du capital a atteint des hauteurs jamais vues. Une petite classe d’élites financières et d’autres monopolistes entasse des richesses astronomiques qui atteignent les billions, alors que les larges masses du peuple voient leurs conditions de vie leur glisser un peu plus des mains chaque jour. Comme l’a décrit Karl Marx : «La société comme ensemble est de plus en plus divisée en deux grands camps hostiles, en deux classes qui se font face : la bourgeoisie et le prolétariat».
Composé de tous ceux dénués de moyens de production et forcés de vendre leur force de travail pour survivre, le prolétariat est la plus grande classe dans la société, formant entre 60% et 65% de la population13. En son centre, on trouve ceux qui travaillent dans l’extraction de ressources naturelles, la fabrication, la construction, le transport et la logistique : ces ouvriers sont au cœur de l’exploitation capitaliste. Ils sont clés pour le mouvement révolutionnaire, non seulement par leur nombre, environ 4 millions, mais aussi parce qu’ils sont les producteurs des marchandises et de la richesse. Sans ouvriers il ne peut y avoir ni capitalisme ni bourgeoisie, donc les ouvriers jouent un rôle immense dans le renversement de cette dernière. Sont aussi d’importance primordiale les travailleurs des industries qui permettent à la force de travail de se reproduire dans le temps (principalement les soins de santé et l’éducation), soit un total d’environ 4 millions de travailleurs. Il y a aussi les travailleurs qui facilitent la circulation du capital, principalement les travailleurs du commerce de détail et des services, soit environ 3 millions de travailleurs. Sans eux, la bourgeoisie ne peut ni se maintenir à long terme, ni réaliser ses profits. Avec les ouvriers, ces sections du prolétariat, dont la population compte au total 11 millions de personnes, détiennent le pouvoir d’établir une nouvelle économie socialiste.
Autour de cet axe principal se trouvent des prolétaires qui travaillent dans des secteurs improductifs, non socialement nécessaires, qui n’ont de sens que dans une société capitaliste-impérialiste : employés de bureau des banques et des institutions financières, travailleurs de la publicité, bureaucrates de bas niveau du gouvernement, etc.14. Ces quelques 4 millions de travailleurs servent la bourgeoisie dans l’administration du capital en travaillant dans des emplois aliénants et dénués de sens, gaspillant chaque jour du formidable potentiel humain qui aurait pu autrement être utilisé pour le bien commun.
Enfin, le prolétariat inclut aussi tous ceux qui sont dépossédés et constituent une main-d’œuvre instable pour diverses raisons, vivant sur les maigres programmes gouvernementaux d’assistance sociale ou de retraite, ou encore louvoyant entre différents emplois à temps partiel non déclarés. Placés moins stratégiquement dans la production, ils souffrent néanmoins d’une oppression aiguë, de contrôle social, de pauvreté et de problèmes de santé physique et mentale.
Dans tous les secteurs mentionnés plus haut, on retrouve des prolétaires, généralement des femmes, qui ne sont généralement pas rémunérés, mais qui reproduisent les travailleurs en vue de la prochaine journée de travail et qui reproduisent la prochaine génération de travailleurs. L’ensemble de ces gens ont tout à gagner en saisissant le pouvoir politique pour eux-mêmes et en construisant une économie où chacun travaille selon ses capacités et reçoit selon ses besoins.
Pourtant, le pouvoir politique n’est présentement pas détenu par la classe majoritaire, mais par son ennemi de classe permanent : la bourgeoisie. Celle-ci, malgré sa petite taille en termes de population, détient une richesse immense et contrôle la majorité de la production dans la société. À la tête de cette classe se trouve une petite, minuscule, clique de bourgeois monopolistes et d’oligarques financiers. Grâce à leurs complexes financiers tentaculaires, ils tiennent un pouvoir immense, possédant des parts de banques, siégeant sur des conseils de corporations, possédant de vastes empires médiatiques et des lobbies politiques puissants. À travers le système de holdings, ils contrôlent des avoirs encore plus grands que ce qu’ils possèdent légalement, utilisant les épargnes des classes inférieures pour atteindre leurs propres buts. Ils sont ce qu’on appelle la classe dirigeante et sont représentés par des familles comme les Thomson, Pattison, Desmarais, Irving, etc. La bourgeoisie monopoliste canadienne est une classe puissante : au Canada il y a plus de 60 milliardaires (plus que dans des grandes puissances historiques comme le Royaume-Uni, la France ou le Japon) et à ceux-ci s’ajoutent plus ou moins 11 000 « individus à patrimoine ultra-grand », ayant plus de 30 millions US en possessions. Cette classe est organisée dans des lobbies puissants comme le Conseil canadien des affaires et elle représente les monopoles canadiens dans les institutions du capital mondial, comme le Forum économique mondial, le G30, la Commission trilatérale et plusieurs autres. Cette oligarchie est à la tête de la volonté de la classe dominante canadienne à participer à la redivision du monde.
En dessous d’eux se trouve une section beaucoup plus vaste de la classe bourgeoise, ceux qui possèdent les moyens de production et exploitent la force de travail (mais dans une moindre mesure que les monopoles). Dans celle-ci, on peut compter les industriels mineurs, les petits actionnaires sans pouvoir décisionnel et tous les propriétaires de PME. Ils sont une classe significative au Canada, représentant autour de 5 à 10% de la population totale et servant de base principale à la défense politique et idéologique des politiques capitalistes de libre marché. Font aussi partie de la bourgeoisie la masse de « lieutenants du capital » qui ont amassé leur fortune sur de l’exploitation indirecte en servant d’intermédiaires, de gestionnaires seniors, de grands technocrates, d’idéologues et de politiciens travaillant à la défense des intérêts de classe bourgeois. Ce sont ceux qui mènent les monopoles d’État et les ministères, ceux qui forment la structure exécutive des grandes corporations, de même que ceux engagés pour protéger le capital, comme les officiers de l’armée et de la police. Même si la moyenne bourgeoisie et les lieutenants de la bourgeoisie détiennent moins de pouvoir que les oligarques financiers, ils apparaissent souvent comme la première ligne, ou du moins l’ennemi le plus immédiat, vis-à-vis du prolétariat sur le terrain de la lutte économique et politique. Dans son ensemble, la bourgeoisie peut être décrite comme la classe accumulant des richesses dans l’actuel système capitaliste-impérialiste. Ce sont ceux qui profitent, directement et indirectement, de l’exploitation et de la souffrance de la majorité du monde.
Entre la bourgeoisie et le prolétariat se trouve une vaste classe oscillante, la petite-bourgeoisie, qui compte autour de 25-35% de la population (elle est cependant difficile à quantifier précisément). Ni exploiteur, ni exploité, la petite-bourgeoisie comprend un ensemble divers de positions de « classe moyenne » dans la société. Cela inclut les travailleurs autonomes et les propriétaires de petites entreprises familiales, de même que les professionnels salariés avec un contrôle considérable sur leur travail. On peut penser aux petits entrepreneurs de la construction, aux propriétaires de dépanneurs, aux propriétaires de fermes familiales comme aux professeurs d’université, aux travailleurs sociaux, aux avocats, aux ingénieurs, etc. Pour une grande partie de cette classe, la petite-bourgeoisie inférieure, les conditions de vie sont similaires à celle de la plupart du prolétariat. Même s’ils ne sont pas directement exploités, les membres de cette classe souffrent de diverses oppressions capitalistes quand ils quittent leur lieu de travail : ils sont affectés par l’inflation, ils souffrent du manque d’infrastructures et de programmes sociaux dans certaines régions, ils sont écrasés par les dettes et ils vivent parfois dans des logements déficients. Plusieurs parmi eux peuvent être comptés parmi les classes populaires, le large pan du peuple qui souffre des effets du capitalisme-impérialisme à certains degrés plutôt que de bénéficier de ces effets. Nous devons convaincre cette classe coincée entre le marteau et l’enclume de s’allier au prolétariat pour une vie meilleure sous le socialisme. Le prolétariat doit lutter pour les emmener sous sa direction dans un front uni contre la bourgeoisie, puisqu’ils sont de puissants alliés qui détiennent beaucoup d’influence dans les universités, les syndicats, les médias, les organisations religieuses et d’autres institutions de ce genre.
La contradiction fondamentale dans la société capitaliste, en général, est celle entre la nature sociale du travail et la propriété privée des moyens de production, qui se manifeste quotidiennement comme une lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat dans les sphères économiques, politiques et idéologiques. La bourgeoisie est à présent énormément plus forte sur chaque terrain : elle a de puissantes institutions économiques (comme les grandes banques et les grandes firmes), ses intérêts dominent tous les partis politiques majeurs et elle a un contrôle direct ou indirect sur tous les médias grand public, en plus de détenir une différence considérable dans les universités et les think tanks.
Le pouvoir économique du prolétariat est très faible, encore plus faible que ne le suggère le taux de syndicalisation de 29% (moins de 14% dans le secteur privé!). Une combinaison de partenariats patronat-syndicat, de lois du travail restrictives et d’une acceptation générale de ces restrictions par les dirigeants syndicaux a fait que de nombreux syndicats (sinon la plupart) sont bien loin d’utiliser toutes leurs capacités de lutte potentielle. Il n’y a pas encore de parti politique prolétarien pour rivaliser avec la force des partis de la bourgeoisie. Par conséquent, la division règne en son sein dans la sphère idéologique. Néanmoins, le prolétariat détient, à cause de son existence objective, beaucoup de pouvoir, un pouvoir qui peut être libéré rapidement et avec force, comme il l’a été d’innombrables fois dans le passé. Telle est notre tâche à venir.
Afin de libérer cette force, le (N)PCC doit appliquer le principe de la centralité ouvrière. C’est-à-dire le principe selon lequel les travailleurs situés au centre de la production et que l’on retrouve en grande concentration, plus précisément les ouvriers de la grande industrie et les travailleurs de la santé et de l’éducation présents dans les grands centres de services, forment le cœur du prolétariat et la force principale pour la révolution socialiste au Canada. Le Parti doit donc, d’abord et avant tout, s’établir et se construire au sein de ces milieux de travail.

L’économie canadienne
Toutes ces classes entrent en relation au sein de la structure monstrueuse du mode de production capitaliste au Canada. Puisque nous sommes dans un pays capitaliste avancé et une puissance impérialiste, les avancées scientifiques, la connaissance et l’expertise du travail dans notre pays sont parmi les plus grandes que l’on ait jamais atteintes dans l’histoire humaine. Des progrès scientifiques stupéfiants ont été faits dans les domaines des mines, de l’ingénierie, de l’informatique, des télécommunications, de la fabrication, de l’agriculture, des médicaments, etc. La productivité a atteint des sommets jamais vus. Malgré une population d’environ 40 millions de personnes, le Canada se classe 9e mondialement sur le plan du PIB. L’économie du Canada est fondamentalement intégrée à celle des États-Unis, la superpuissance économique la plus avancée mondialement qui est de loin son plus grand importateur et exportateur. Le Canada est un partenaire mineur, mais tout autant profiteur, de l’impérialisme américain. Les investissements directs à l’étranger réalisés mutuellement par les deux pays le démontrent. L’économie canadienne est à la fois forte et bien placée stratégiquement parmi les grands joueurs mondiaux.
On se demande cependant ce que cela donne. Une crise prolongée de stagnation et d’inflation touche les classes populaires de ce pays. Les conditions de vie s’empirent pour la majorité. Pour plusieurs, de la nourriture et un logement de qualité sont des luxes inatteignables. Ce qui a été gagné en matière de services sociaux et de droits démocratiques par les mouvements populaires du passé s’émiette à cause du sous-financement, particulièrement en éducation et en santé. La production chaotique, non planifiée, endommage l’environnement et la possibilité pour le peuple d’en bénéficier. La pollution de l’air, les inondations et les feux de forêt sont des menaces en croissance pour notre santé et nos vies. Les jeunes sont de plus en plus touchés par des problèmes de santé mentale, de dépendance et de délinquance. Un sentiment de désespoir traverse les plus jeunes générations qui ont hérité de ce monde.
Le capitalisme est le seul coupable de tous ces problèmes. Tandis qu’un haut degré d’organisation sociale et de connaissance scientifique règne dans les industries individuelles, l’anarchie sociale définit la production dans son ensemble. La somme des innovations scientifiques n’est pas mise au service du peuple, mais au service de la course aux profits privés. Autant l’avancement scientifique pourrait être grandiose lorsque mis au service du peuple, autant il est une force de destruction implacable quand il est mis au service de l’accumulation privée. Or, telle est la nature de notre économie.
Le Canada est un pays immense, le deuxième au monde en terme de superficie terrestre. Grâce à ce très grand territoire, le Canada s’est développé historiquement comme une puissance économique dans le secteur des ressources naturelles. Il est un point de référence et un paradis fiscal pour l’industrie minière internationale, avec environ 75% de toutes les compagnies minières du monde qui ont leur siège social au Canada. Plus récemment, grâce à l’exploitation des sables bitumineux (une forme particulièrement polluante d’extraction de pétrole), le Canada a émergé comme une superpuissance pétrolière, étant le quatrième plus grand producteur et exportateur de pétrole mondialement. Pour trois provinces (Alberta, Saskatchewan, Terre-Neuve) et deux territoires (Nunavut, Territoires du Nord-Ouest), les extractions pétrolière et minière sont les plus grands secteurs de l’industrie.
Outre les ressources naturelles, l’économie canadienne contient d’autres industries productives, la plus grande étant la manufacture qui compte pour environ un dixième du PIB. Elle est le secteur économique le plus important du Québec. Montréal est la plus grande ville industrielle du pays et est un carrefour des industries aérospatiale et informatique. La région ontarienne des Grands Lacs est un autre centre de l’industrie manufacturière, notamment d’automobiles, qui constituent le deuxième produit d’exportation du Canada après le pétrole. La production au Canada est cependant fortement déséquilibrée, puisqu’elle agit comme un complément à l’économie des États-Unis. On trouve une forte dépendance envers l’importation de biens manufacturiers et de biens demandant beaucoup d’investissements en capital, de même qu’une forte dépendance envers l’exportation de ressources naturelles, principalement vers les États-Unis.
La santé et les services sociaux comptent aussi pour une large part de l’économie15. Parmi ceux-ci, on se doit de mentionner le système de santé publique canadien. Mis en place par le gouvernement fédéral comme concession aux luttes populaires des années 1960, il a été constamment affaibli à travers les désinvestissements et les privatisations, à cause d’une gestion déplorable (souvent intentionnelle) et de conditions de travail insoutenables. Toutes les provinces font face à un manque chronique d’infirmières, de préposés aux bénéficiaires et d’autres travailleurs qualifiés essentiels. La pandémie de la COVID-19 a montré à quel point la situation était horrible, les aînés issus du prolétariat en étant les premières victimes. Le traitement des prolétaires aînés est une réalité canadienne choquante : dès qu’ils ne sont plus autonomes, ils sont forcés de dépenser leurs derniers sous pour s’isoler en payant le loyer d’une maison de retraite austère qui n’offre aucun travail ou passe-temps gratifiant, leur donnant seulement une chaise pour qu’ils s’assoient en attendant de mourir. Les capitalistes n’ont aucun intérêt à utiliser la sagesse et l’expérience des aînés pour le bien commun si cela n’amène pas plus d’argent dans leurs poches. Ils n’ont ainsi aucun intérêt à investir réellement dans des soins de santé de qualité au-delà de ce qui est nécessaire pour reproduire et maintenir une main-d’œuvre docile.
Pour la nouvelle confédération socialiste multinationale, la santé et d’autres domaines comme l’éducation et la culture ne seront plus traités comme des nécessités regrettables pour maintenir en vie les gens de la classe ouvrière, mais constitueront plutôt un but central de la planification économique. Le droit à de l’éducation et des soins de santé, gratuits et de qualité, sera implémenté et sera rendu possible grâce à la soumission de la production aux besoins humains plutôt qu’à l’accumulation de profits privés. Une fois qu’on se sera débarrassé du poids mort qu’est l’accumulation capitaliste, on ne manquera plus d’usines, de matériel, de connaissances et de talents dans ce pays pour bâtir et faire fonctionner nos hôpitaux et nos écoles.
Parmi les premiers poids morts que couperont le prolétariat et les classes populaires, on trouvera l’incroyable 15% du PIB alloué aux secteurs parasitaires et improductifs de l’économie : la finance, les assurances et l’immobilier. Le capital financier est fortement concentré à Toronto, la Bourse de Toronto étant l’une des plus grandes bourses au monde en se classant 3ème en Amérique du Nord après celle de New York et le NASDAQ. À la tête des puissantes institutions financières du pays on trouve le Big Five16 des banques canadiennes, de même que des firmes d’assurances et de gestion des actifs comme Brookfield Asset Management, Power Corporation et Manuvie. On peut ajouter à cela les institutions financières étrangères, majoritairement américaines, qui ont des actifs au Canada et exercent une influence significative, par exemple BlackRock.
On retrouve aussi les marchés immobiliers qui sont de plus en plus intégrés à la finance. Le logement, un des besoins humains les plus fondamentaux, s’est perverti en secteur d’accumulation purement parasitaire : les banques et le capital financier font des profits immondes avec les hypothèques, les primes d’assurances, les loyers et la vente d’immobilier. Conséquemment, le « rêve canadien » de la propriété personnelle d’une maison s’est rapidement évaporé dans les dernières années. En effet, les prix des maisons ont grimpé 42% plus vite que les salaires entre 2015 et 2023. L’accès à la propriété est en déclin constant, tandis que le nombre de locataires augmente. Dans ce marché locatif en explosion, l’usure la plus flagrante se répand, alors que de plus en plus de logements sont détenus par des trusts d’investissement immobilier (REIT en anglais) et que, dans le marché des maisons, les banques font du profit sur des hypothèques qui durent toute une vie. À travers le marché immobilier, une portion de plus en plus grande des chèques de paie des travailleurs retourne à la bourgeoisie sous la forme de loyer ou d’intérêt. Esclaves soit de l’hypothèque, soit du loyer, les travailleurs sont souvent à un pas de la rue. Les camps de sans-abri augmentent en nombre à travers le pays et sont devenus une réalité permanente dans les grandes villes. Même la presse bourgeoise et les politiciens bourgeois ont été obligés d’admettre l’existence d’une crise du logement qui empire et persiste, mais ils ne font jamais que mettre en place des lois qui servent les gros développeurs et l’industrie de l’immobilier. Il n’y a, au même moment, aucune pénurie de condos, maisons ou même de bureaux de luxe. Les grands capitalistes les achètent et les vendent de plus en plus comme des actifs, trop souvent sans que personne n’y vive. Dans l’anarchie de la société capitaliste, les tours à condos sont à moitié vides et remplies d’unités à louer pour des Airbnb, tandis que des gens meurent d’engelures à leurs portes. La société socialiste libérera le logement des griffes de l’avidité capitaliste et assurera le droit à un logement décent pour tous.
La finance, les assurances et l’immobilier sont les archétypes de l’anarchie capitaliste et sont les formes les plus parasitaires que le capital prend aujourd’hui. Des économistes spécialisés, des ingénieurs informatiques et plein d’autres travailleurs qualifiés gaspillent leur potentiel en aidant les grands bourgeois à extirper le plus de richesses de la classe ouvrière. Dans les dernières années, des formes de spéculation complètement absurdes et destructrices pour l’environnement sont apparues, comme l’échange de cryptomonnaies dans lesquelles on a même aboli le lien entre la valeur numérique, spéculative, et la valeur d’usage, pertinente pour la vraie vie. La finance nous est présentée comme un dieu, une force externe vivant au-delà de notre contrôle, mais en fait ce système a été mis en place par l’oligarchie financière et la classe dominante plus large. L’abolition de la spéculation et de l’usure, ainsi que la mise en place d’un système d’échange et de monnaie rationnel, sera un des premiers grands gestes de la révolution socialiste.
Pour une économie socialiste, démocratique et scientifique
Dès son premier jour au pouvoir, le gouvernement révolutionnaire procédera à l’expropriation, sans compensation, de la bourgeoisie monopoliste. S’ensuivra la socialisation de toutes les industries majeures dans les ressources naturelles, la construction, la manufacture, le transport, la santé, l’éducation et le logement. Il répudiera la dette et abolira toutes les institutions financières, comme la bourse, les banques, les firmes de gestion d’actifs et les compagnies d’assurances, pour les remplacer par une institution centralisée unique, libre de la spéculation et de l’usure. La force de travail actuellement allouée à la finance et aux autres secteurs parasitaires sera utilisée ailleurs pour aider dans des travaux productifs.
Il sera permis aux petites entreprises d’exister pendant un certain temps après la prise du pouvoir par le prolétariat. Elles seront progressivement éliminées par une combinaison de collectivisation volontaire, de remplacement par des entreprises gérées par l’État, entièrement intégrées dans une économie planifiée et centralisée, et dans le cas d’individus qui s’opposent activement au développement socialiste, d’appropriation des entreprises par l’État prolétarien. La restructuration de l’économie vers l’autosuffisance sera une autre tâche majeure pour le gouvernement révolutionnaire, car il ne peut pas assumer un accès continu à l’économie impérialiste mondialisée, en particulier lors d’une époque de crise écologique et de conflits interimpérialistes.
Le travail dans la société socialiste ne sera plus une action obligatoire pour survivre, mais un droit : le droit de contribuer, dans la mesure des capacités d’une personne, à l’édification collective du socialisme, aux conditions de vie de notre espèce et à la durabilité écologique de notre planète. La vie ne suivra plus le cycle déprimant de « producteur de plus-value en apprentissage / producteur de plus-value / en attente de mourir », mais sera plutôt, de la naissance à la mort, un échange gratifiant entre la société et l’individu. Le mot d’ordre et le but de notre nouvelle société seront : de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.
Dans la démocratie libérale capitaliste, nous avons des droits formels, mais ces droits ne valent pas grand-chose sur le milieu de travail. Le travailleur moyen n’a aucun droit de vote ou de parole, on le traite comme une bête incapable de penser. Sous le socialisme, la démocratie sera mise en place dans les lieux de travail. Les travailleurs manuels seront invités à parler et réfléchir, tandis que les travailleurs intellectuels seront invités à descendre sur le plancher. En même temps, l’anarchie de la production sera abolie. Les usines, mines, hôpitaux individuels, etc., ne seront pas laissés à eux-mêmes, mais devront travailler dans le cadre de plans centraux décidés démocratiquement par les plus hauts organes du pouvoir ouvrier, suivant les recommandations de scientifiques et d’experts. La démocratisation de l’économie sera à l’ordre du jour.
Une destruction environnementale sans précédent amène plus que jamais la nécessité d’une planification scientifique et rationnelle de l’économie mondiale. Sans une réorganisation radicale de l’économie, le monde s’en va directement vers un mur de briques. Tandis que les désastres naturels balaient le globe et s’intensifient, la vie de la majorité des humains est menacée. Les famines, les inondations, la pollution de l’air et les vagues de chaleur tuent davantage chaque année. L’expansion du capitalisme-impérialisme jusqu’à quasiment chaque coin du globe et l’accumulation privée par l’oligarchie financière ne sont aujourd’hui rien de moins que les deux des plus grands crimes contre l’humanité et contre toute la vie sur cette planète (la seule habitable que nous connaissions). Seule la réorganisation à large échelle de l’économie, sur une base socialiste, peut permettre de sauver les masses et d’établir une relation durable et équilibrée entre la nature et notre espèce. Seul le prolétariat détient le pouvoir de réaliser cela.

La constitution canadienne et le socialisme
La transformation socialiste du Canada est absolument nécessaire. Elle peut faire passer ce pays d’une prison des nations, d’un bastion de la dépossession capitaliste et de l’exploitation, en une vaste terre libre et équitable dans laquelle ses peuples originaux ne sont plus entreposés dans des petits bantoustans, où les différentes nations ne sont plus jetées les unes contre les autres, où les travailleurs récoltent le fruit de leur labeur et où personne n’est jeté à la rue pour y mourir. Cependant, tout le cadre légal, constitutionnel et politique du Canada est bâti pour s’assurer que cela n’arrive pas de manière simple et pacifique.
Le Canada est fondé sur le droit de conquête. Sous le règne direct des Européens, des parts du territoire canadien ont été annexées plus ou moins arbitrairement grâce à des négociations malhonnêtes et fourbes avec les premiers peuples, dans les meilleurs cas. Dans les pires cas, elles ont été annexées par l’usage de massacres et de génocides. Les désespérément pauvres d’Europe, paysans, artisans, ouvriers, ont été enrôlés pour former l’infanterie des débuts du projet colonial. Les monarchies européennes exerçaient leur contrôle direct sur ces colonies et les tournaient les unes contre les autres pour les aider dans leurs guerres en Europe. C’est à travers ces guerres que les colonialistes britanniques sont ultimement sortis vainqueurs et ont construit le noyau de ce qui allait devenir le Canada.
Malgré des tentatives de résistance anticoloniale des nations autochtones d’une part et, d’autre part, des tentatives d’insurrections républicaines venant des classes populaires des colonies (1837-38) et des Métis (1869-70 et 1885), le règne britannique a prévalu et le droit de conquête s’est maintenu, même après la Confédération (1867). Il a été utilisé pour bâtir le Canada en tant que puissance continentale allant de l’océan Atlantique aux côtes du Pacifique.
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, la première loi constitutionnelle canadienne, a été établi par un vote du parlement britannique. Aucune des classes populaires des nombreuses nations du Canada, que ce soit les Autochtones, les Canadiens français ou même les Canadiens anglais, n’a été consultée. Seule une minime fraction d’élite de la classe dominante canadienne a été impliquée dans le processus de quelque manière que ce soit.
Quand la constitution a été « rapatriée » en 1982, c’était encore là un acte du parlement britannique. Le rapatriement voulait simplement dire que la nouvelle loi constitutionnelle inclurait désormais une procédure d’amendement hautement compliquée qui n’a été utilisée avec succès qu’une seule fois depuis son adoption. La constitution n’a jamais été soumise à un vote populaire, n’a jamais été proposée aux peuples du Canada et ne pourra jamais être amendée ou rejetée par le peuple lui-même. Pourquoi la bourgeoisie aurait-elle fait autrement?
Le cadre constitutionnel canadien a été bâti pour faire perdurer les intérêts de la bourgeoisie monopoliste financière canadienne. Il s’agit de son premier rôle, son rôle secondaire étant de faire l’arbitre entre les différentes fractions de cette bourgeoisie (entre le Québec et le Canada anglais, entre les différentes provinces, entre le fédéral et le provincial, etc.). Le Canada est une confédération d’un certain genre (en fait, une fédération), mais pas une confédération des peuples ou des nations. C’est une confédération de provinces, lesquelles sont pour la plupart des divisions administratives et économiques plutôt que des réelles divisions nationales ou culturelles. Il s’agit d’une confédération de diverses fractions et forces de la classe dirigeante. Ce qui doit la remplacer, selon notre vision, est une confédération socialiste multinationale faite des différentes nations du Canada, sous la direction de la classe ouvrière.
Droits formels contre droits réels
Le prolétariat canadien et les nations opprimées au Canada vivent sous un système qui a été construit sans eux et contre eux, par leurs exploiteurs, leurs ennemis de classe. Ils vivent aussi dans un cadre légal libéral. Le libéralisme en tant qu’idéologie de l’État17 représente une avancée par rapport à l’absolutisme, au monarchisme ou à d’autres idéologies féodales ou des débuts des temps modernes. Le libéralisme reconnaît des droits formels aux individus. Toutefois, le problème est précisément que ces droits sont seulement formels et très généraux.
Il y a un droit à la vie, mais pas de droit à la nourriture, aux soins de santé, au travail ou au logement, encore moins à du logement décent et adéquat. Il y a un droit à la liberté d’expression, mais pas de défenses contre la monopolisation des médias et des industries de la télécommunication. Maintenant, il y a même un droit à l’aide médicale à mourir. Pendant que les élites politiques du Canada chantent les louanges de leur démocratie, de l’ouverture et de la justice dans leur pays, le fait est que les droits réels et pratiques n’existent pas.
La loi canadienne accorde officiellement des droits et des protections égales aux femmes, la moitié de l’humanité qui n’a commencé à gagner ses droits essentiels que depuis environ un siècle, ainsi qu’aux minorités religieuses et sexuelles. Elle ne « garantit » ces droits, cependant, que par des interdictions antidiscriminatoires inapplicables et des proclamations performatives, littéraires. Un cadre légal socialiste pourrait plutôt assurer que ces groupes aient des droits positifs. Il serait impossible pour un membre d’une minorité sexuelle, par exemple, de se faire refuser un emploi si il y avait un droit pour toute personne qui le demande d’avoir un emploi. Il serait beaucoup plus facile de réduire la violence conjugale contre les femmes si il y avait un droit universel au logement qui pourrait leur permettre de quitter un partenaire dangereux à n’importe quel moment sans risquer l’itinérance, la pauvreté ou avoir à dépendre de la charité. La liste pourrait continuer à l’infini.
Il y a deux groupes dans la société canadienne, cependant, qui n’ont même pas de droits égaux formels. Il s’agit des Autochtones, spécifiquement les Indiens à statut et les non-citoyens, en particulier les immigrants sans-papiers et les travailleurs étrangers temporaires. La seule manière concevable pour résoudre la question du statut séparé des Autochtones, sans liquider les nations autochtones en tant qu’entités légales, est celle des droits collectifs sous la bannière du droit complet à l’autodétermination, incluant la sécession. En tant que citoyens de nations vraiment souveraines, les Autochtones pourraient avoir droit à un statut égal selon la loi sans devoir mettre leur nationalité en péril. Pour les immigrants, ils auront la pleine citoyenneté s’ils contribuent par leur travail à améliorer la société, ce que la vaste majorité fait actuellement, souvent sans avoir des droits égaux. À l’exception des aînés, des retraités (qui décident de ne plus travailler) et des enfants, la citoyenneté dans la nouvelle société sera accordée à ceux qui contribuent de manière productive à l’ensemble de la société et du peuple.
Finalement, nous devons souligner que des droits réels et pratiques ne sont pas qu’une préoccupation pour des groupes minoritaires spécifiques (une idée que les culture wars amènent pour tenter de diviser le peuple en groupes « identitaires » qui poursuivent des intérêts étroits et les empêche de s’unir sur une large base de classe), mais pour la classe ouvrière dans son ensemble. Par exemple, laisser les masses s’exprimer d’une manière réellement libre, sans devoir se limiter à ce que décident les monopoles de la technologie et des médias, bénéficierait au peuple entier. Le droit au logement, le droit à un emploi, à de la nourriture sur la table et à des soins de santé solides, bénéficierait à la classe dans son entièreté. La conception libérale des droits et libertés n’est plus suffisante. Elle a eu ses beaux jours, mais maintenant il est temps de conquérir davantage de droits et de libertés pour le peuple.
Les sables mouvants légaux et les culs-de-sac politiques
La constitution monarchique chambranlante du Canada, sa fondation illégitime, son histoire de politique élitiste et de répression du peuple et des groupes nationaux colonisés, la constante lutte d’arrière-garde que la bourgeoisie financière monopoliste mène pour avoir l’accès et la propriété de terres que les Autochtones luttent pour garder, l’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre (maintenant la Loi sur les mesures d’urgence) à au moins quatre occasions différentes pour réprimer la dissidence, son incapacité et, carrément, son refus de garantir des droits pratiques au peuple, tout cela signifie que le pays tient sur des sables mouvants légaux et moraux.
Les peuples du Canada doivent créer un nouvel État et une nouvelle constitution, lesquels permettraient aux différentes nations, mêlées dans ce pays par l’action des violentes vagues et courants de l’histoire, de vivre ensemble sur un pied d’égalité pour la toute première fois. Cela donnerait à la classe ouvrière, celle qui construit tout, fait tout et garde la société en fonction jour et nuit, la position dominante en politique et dans l’économie et cela nous débarrasserait de la classe parasitaire qui dirige actuellement ce pays. Ces deux actes politiques changeraient la moitié d’un continent en quelque chose de totalement nouveau, de beau et pour lequel il vaudrait la peine de se battre.
C’est ce qui doit être fait et c’est ce que nous proposons maintenant. Mais notre appel ne se fait pas dans le vide, il doit s’affirmer contre des idéologies politiques rivales et leurs projets de classe. Parmi elles, les principales que nous devons affronter sont :
a) Le libéralisme avec un grand L, qui hérite du bagage méprisable des cent dernières années du règne de la classe capitaliste au Canada et qui met un bonhomme-sourire sur tout, sous le couvert d’un vernis insensé de « diversité multiculturelle » qui ne sort personne de la pauvreté ou de la vie de paye-en-paye.
b) Le conservatisme et le libertarianisme qui, séparément et en tandem, essaient de convaincre le peuple que les problèmes de notre société sont réductibles à des défauts moraux de la « nature humaine » et que nos problèmes économiques seraient résolus en lâchant encore plus de lest aux capitalistes pour qu’ils fassent ce qu’ils veulent (ce qui est carrément faux).
c) Le fascisme18, qui propose de maintenir le statu quo colonial, exploiteur et anti-travailleur grâce à la violence ouverte plutôt que par la fourberie et la persuasion dont les deux premières tendances usent. (Nous ne sous-entendons pas ici que les libéraux et les conservateurs sont opposés à l’usage de la coercition violente de l’État de temps à autre, car, bien sûr, ils y sont totalement favorables).
d) La social-démocratie, qui identifie beaucoup des mêmes problèmes que nous avons soulignés, mais les réduit à la catégorie morale de l’« avidité » et propose d’y remédier avec des réformes au coup par coup qui laissent l’économie et la politique en majeure partie dans les mains des mêmes monopolistes.
e) Le nationalisme, celui des nations dominantes qui, ultimement, s’aligne sur une des quatre tendances précédentes, mais aussi celui des nations opprimées qui est compréhensible, mais n’arrive pas à se saisir du Canada comme d’un tout et est ainsi incapable de le transformer.
f) L’activisme, ou le gauchisme (qui se drape parfois dans les atours du marxisme) : il identifie lui aussi plusieurs des mêmes problèmes soulignés plus haut, mais il s’agit seulement d’une critique du capitalisme sans être une menace réelle pour celui-ci, allant souvent même jusqu’à chercher des subventions et du financement dans la société bourgeoise. Le gauchisme, de même que l’activisme gauchiste, tend à être surtout soumis au côté libéral des culture wars, optant généralement pour des gestes performatifs sans réussir à voir que la question clé qui nous concerne est celle du pouvoir politique et de la classe qui le détient. Les gauchistes refusent d’accepter, ou n’ont pas encore compris que cette question du pouvoir politique, ne peut être résolue que par un parti communiste révolutionnaire d’avant-garde armé d’une stratégie révolutionnaire solide et complète.
Aucune de ces idéologies politiques ne sert largement les intérêts du peuple, et donc elles doivent être combattues et mises hors de portée d’influence du prolétariat et du peuple en général. Quelques défenseurs de ces idéologies et tendances politiques sont des réformateurs honnêtes qui comprennent réellement le cul-de-sac dans lequel est ce pays, ainsi que le fardeau des travailleurs et des nations opprimées. Cependant, on retrouve en plus grand nombre ceux qui sont carrément des larbins de la classe dominante, quand ce ne sont pas des membres à part entière de cette classe (il y a un mot pour décrire ces membres politiquement actifs de la classe dominante : « oligarque »). Aucune de ces idéologies ne peut, de nos jours, sortir le Canada du sable mouvant constitutionnel dans lequel il se trouve et aucune ne peut résoudre les problèmes des travailleurs, des immigrants, des peuples autochtones, des autres minorités nationales et des groupes opprimés et exploités. Les seuls problèmes qu’elles travaillent à résoudre sont ceux rencontrés par les capitalistes : trop de dissension, trop de luttes populaires, pas assez de profits.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un mouvement multinational de la classe ouvrière mené par un parti révolutionnaire d’avant-garde. Nous faisons découler cette proposition de notre compréhension scientifique de l’histoire du monde, comme de l’histoire des luttes populaires au Canada, lesquelles n’ont jamais cessé d’essayer d’avancer vers un meilleur monde et un pays transformé.

La libération au Canada : un aperçu
Nous pouvons et devons nous inspirer de l’héritage que les générations passées de combattants pour la libération nous ont légué, qu’ils proviennent de la classe ouvrière, des peuples autochtones, des nations minoritaires ou bien d’autres mouvements démocratiques et révolutionnaires. La révolution n’est pas étrangère au Canada : c’est un fil conducteur dans l’histoire du pays, quoiqu’elle ne soit jamais parvenue à devenir l’aspect dominant de la société… pour l’instant. Nous devons connaître notre passé pour mieux imaginer, concevoir, gagner et construire un avenir meilleur.
De la colonisation à la révolution républicaine
La lutte des classes existait dans un nombre restreint de sociétés autochtones avant la colonisation, c’est-à-dire dans celles où l’on trouvait déjà un certain degré de différenciation de classes, surtout dans le Nord-Ouest Pacifique. Des sociétés autochtones entraient certainement en conflit les unes avec les autres, allant parfois jusqu’au conflit armé. Toutefois, la colonisation européenne a ouvert la voie à des luttes nationales et de classe de bien plus grande échelle sur les terres maintenant détenues par l’État canadien. Ce nouvel état de fait s’est d’abord manifesté par l’émergence d’une contradiction toujours actuelle entre les peuples autochtones et les États coloniaux européens. Les peuples autochtones ont affirmé leur souveraineté de diverses manières et à diverses époques. À mesure que l’équilibre des forces se retournait contre eux , surtout à partir du 19e siècle, les peuples autochtones furent forcés de réduire leurs affirmations de souveraineté et de faire des compromis avec les États coloniaux sous peine de subir des offensives armées et militaires. Cependant, les soulèvements périodiques contre la domination coloniale n’ont jamais cessé : ce sont les tendances qui perdurent depuis le plus longtemps dans l’histoire de l’opposition au capitalisme-impérialisme canadien, allant des origines les plus anciennes à travers les luttes et les conflits avec les monopoles marchands des puissances rivales, l’Angleterre et la France, jusqu’à aujourd’hui. En plus de ces soulèvements nationaux, les demandes pour l’autodétermination autochtone se manifestent depuis les débuts du siècle dernier au sein d’un mouvement politique traversé par des tendances réformistes ainsi que révolutionnaires.
Alors que la colonisation allait de l’avant, les sociétés coloniales anglaises et françaises se sont développées d’une manière inhabituelle. Au lieu de simples garnisons des puissances coloniales, elles ont pris la forme de nations à part entière. C’est-à-dire que des différences de classes sont apparues en leur sein. D’un côté, on trouvait les classes exploiteuses, dont les aristocraties européennes et la bourgeoisie européenne en voie de développement, de même que la bourgeoisie locale florissante, le clergé et les seigneurs semi-féodaux du Canada français. De l’autre côté, on trouvait les paysans semi-féodaux, les petits artisans et, à partir des années 1800, le prolétariat naissant.
Au cours de la première moitié du 19e siècle, les contradictions de classe internes à la société canadienne ont pour la première fois atteint un point d’ébullition : certains éléments des élites locales se sont opposés au contrôle de la colonie par la monarchie britannique et les classes dirigeantes européennes. Ils ont demandé des réformes démocratiques considérables ou, plus tard, l’indépendance complète et une forme républicaine de gouvernement pour la colonie. Ils ont gagné la direction d’une vaste base sociale composée de petits-bourgeois, d’artisans et de locataires de terres et, en 1837-1838, ont mené une guerre contre l’appareil colonial britannique. Ce fut la forme prise par la première tentative de révolution bourgeoise démocratique au Canada.
Après avoir écrasé ce soulèvement, l’Empire britannique a entrepris le projet de réformer l’administration du Canada selon ses propres termes. Il a coopté certains dirigeants du soulèvement à ses propres fins. De plus, il a consolidé l’oppression nationale et l’exploitation économique des Canadiens français, d’abord sous le régime foncier semi-féodal et, peu après, sous le système de salariat du capitalisme naissant. En 1867, il a adopté l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et a établi une confédération de provinces, le Dominion du Canada, pour réunir la plupart des possessions britanniques sur le continent. Cette nouvelle entité étatique a rapidement entrepris une campagne agressive d’expansion vers l’ouest. Cette expansion a engendré de nouvelles vagues de résistance autochtone, à mesure que l’État colonial imposait son pouvoir sur des territoires toujours plus vastes. Il en vint également à faire face à un autre opposant républicain, cette fois sous la forme des deux soulèvements Métis de 1869-70 et de 1885. Par deux fois, la nation Métis a établi des gouvernements provisoires et a tenté d’affirmer sa souveraineté. Le gouvernement canadien est parvenu à institutionnaliser les demandes de la première rébellion en établissant la province du Manitoba. En 1885, il a plutôt écrasé les Métis militairement.
Les trois mouvements de construction du parti
Comme l’État canadien étendait son pouvoir vers l’ouest, le capital canadien se développait rapidement. Tandis qu’au début du 19e siècle les activités productives au Canada étaient agricoles, artisanales ou (au mieux) industrielles à petite échelle, l’industrie capitaliste moderne a émergé à la fin de ce siècle, tout comme des institutions bancaires majeures. Le processus du développement capitaliste au Canada a été rapide et profond, et le capital financier ainsi que l’impérialisme canadien émergeaient main dans la main à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle.
Ce développement industriel massif exigeait un large prolétariat et a mené au développement du prolétariat canadien moderne, soutenu par l’immigration de l’Europe (surtout du sud et de l’est de l’Europe), d’autres possessions coloniales britanniques et d’autres parties du monde, notamment de l’Inde et de la Chine. Il a aussi été assisté par la prolétarisation de larges portions des pauvres ruraux dans le Canada anglais et français. Dans une moindre mesure, les peuples autochtones ont aussi été prolétarisés, formant une partie significative de la main-d’œuvre dans des régions et des industries particulières. Toutefois, ce développement a toujours été secondaire aux objectifs génocidaires de la classe dirigeante, ainsi cette tendance à la prolétarisation est demeurée partielle et plusieurs nations autochtones ont maintenu des activités économiques non-capitalistes pendant plusieurs décennies, ou se sont retrouvées dans un état de dépossession presque total au lieu d’une intégration complète dans l’économie industrielle.
Ce développement rapide du prolétariat, en plus de l’importation de la théorie et des politiques révolutionnaires dans le pays par l’action de l’immigration, a mené à une vague considérable de luttes ouvrières à la fin des années 1910, dont, à leur apogée, la grève générale de Winnipeg. Cette vague de luttes prolétariennes a, à son tour, mené à la fondation du Parti communiste du Canada, l’acteur principal de ce que nous avons appelé « le premier mouvement de construction du parti ». Le Parti communiste du Canada grandissait significativement, mobilisant des dizaines de milliers de membres et plusieurs milliers de sympathisants additionnels pour les diriger dans des luttes majeures dans les secteurs du travail, du chômage, du logement, etc. Il a toutefois échoué à développer une position importante et correcte sur la question nationale (en ce qui concerne le colonialisme ainsi que d’autres formes d’oppression nationale).
Le Parti communiste du Canada fut la plus grande organisation révolutionnaire jamais construite dans ce pays et il était un réel parti d’avant-garde prolétarien. Cependant, des luttes de ligne internes mal menées et des conditions externes changeantes à la fin des années 1930 et tout au long des années 1940 ont mené à l’abandon graduel de la ligne révolutionnaire dans le parti, le transformant essentiellement en une entité réformiste et sociale-démocrate. Après deux décennies de luttes ouvrières significatives dans les années 1920 et 1930, les années 1940 et 1950 furent donc deux décennies perdues pour la lutte du prolétariat.

Les années 1960 ont vu la renaissance des mouvements populaires : le sentiment indépendantiste croissant au Québec a mené à de grandes luttes de masses, qui ont escaladé jusqu’à la campagne politico-militaire du Front de libération du Québec; les peuples autochtones ont mené une lutte majeure contre le Livre blanc de 1969, une politique officielle d’assimilation promue par le gouvernement Trudeau; les travailleurs organisés se sont battus férocement contre l’exploitation économique, culminant avec la grève générale du Front commun de 1972; les communautés immigrantes, les femmes et d’autres secteurs des masses populaires ont développé leurs luttes politiques. Les luttes internationales (la guerre du Vietnam, la Révolution culturelle en Chine, les rébellions de 1968) ont aussi propulsé de l’avant la situation politique au Canada. Dès le début des années 1970, les luttes populaires grandissantes se sont réunies dans un deuxième mouvement de construction du parti dirigé par l’organisation marxiste-léniniste En Lutte!, le Parti communiste ouvrier et le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste), avec une myriade d’organisations révolutionnaires plus petites jouant un rôle plus petit dans l’histoire de ce mouvement.
Le deuxième mouvement de construction du parti était antirévisionniste (c’est-à-dire qu’il s’opposait à la liquidation de la lutte des classes dans le « marxisme » officiel prosoviétique) et était aligné avec la Chine révolutionnaire et le mouvement marxiste-léniniste international, rejetant l’Union soviétique pour son abandon de la révolution mondiale après 1956. Bien qu’il n’ait jamais atteint l’échelle d’organisation atteinte par le vieux Parti communiste du Canada des années 1920 et 1930, il a mené des luttes de masse significatives, il a organisé les travailleurs à grande échelle19, il s’est attaqué profondément aux enjeux politiques du pays (notamment en développant graduellement une ligne plus avancée sur la question nationale que le vieux parti communiste), il a organisé des institutions populaires (des centres de soins pour enfants, des cliniques populaires, des comités d’action politique, etc.) et il a promu la solidarité internationaliste avec les luttes révolutionnaires de l’époque dans le reste du monde. Toutefois, le vent a tourné au début des années 1980 : le mouvement ML mondial était en repli total suite aux développements contre-révolutionnaires en Chine, la crise capitaliste s’est intensifiée et des tendances éclectiques et petites-bourgeoises ont commencé à prendre de plus en plus d’espace dans la gauche politique aux dépens des révolutionnaires. En 1983, le PCO et En Lutte! s’étaient dissous et le PCC(ML) avait chaviré vers une ligne idéologique révisionniste qui a mené vers son déclin politique et organisationnel.
Les quatre décennies suivantes ont vu un déclin marqué dans la lutte révolutionnaire. L’éclectisme et le post-modernisme ont fermement pris la place de « la gauche » et ont divorcé « la gauche » de la classe ouvrière comme jamais auparavant. La possibilité d’une révolution socialiste avait quitté la scène. Ces années ont tout de même vu le développement d’un troisième mouvement de construction du parti, mouvement initié par le groupe Action socialiste qui a émergé à la fin des années 1980 et qui a plus tard été représenté par le Parti communiste révolutionnaire (PCR-RCP) et par Revolutionary Initiative (RI), ainsi que par d’autres groupes plus petits. Aucune de ces organisations n’avait la portée ou l’influence des deux premiers mouvements de construction du parti, mais ils ont maintenu en vie la flamme révolutionnaire à travers ces sombres années de défaites et de désespoir. Au début des années 2020, ces organisations étaient parvenues au bout de leur chemin : elles se sont écroulées l’une après l’autre sous le poids de leurs contradictions internes et de leur échec à amorcer un mouvement révolutionnaire à grande échelle.
Le quatrième mouvement de construction du parti
Le troisième mouvement de construction du parti a échoué. Toutefois, en nageant à contre-courant de la désorganisation et de l’éclectisme théorique, il a planté les germes de ce qui allait suivre. Des ex-participants de ces organisations et des nouveaux militants révolutionnaires se sont unis à la fin de l’année 2021 pour former le (nouveau) Parti communiste du Canada. Ce faisant, ils ont initié un quatrième mouvement de construction du parti en critiquant directement les limites de la vague précédente de construction du parti. Dans le cas du PRC-RCP, ces lacunes étaient principalement la conséquence du dogmatisme et d’une mauvaise application du centralisme démocratique, ce qui a conduit le parti à la stagnation et à une série de scissions. Dans le cas de RI, l’incapacité fondamentale à considérer la construction d’un parti comme la tâche principale des révolutionnaires communistes a permis à une déviation syndicaliste de s’implanter dans l’organisation, ce qui a conduit à un processus de liquidation.
Voilà l’étape actuelle de notre combat pour le socialisme au Canada. Ses défis sont nos défis, et c’est notre seul espoir pour atteindre la victoire de notre vivant.
Le (N)PCC a appris des succès, des échecs et des erreurs des vagues précédentes de construction du parti, et il en apprend toujours. Il reconnaît que la clé de la victoire est une politique (et une analyse concordante) fondée sur les conditions objectives et les contradictions de la société canadienne telle qu’elle existe aujourd’hui. Il rejette les slogans vides de sens et l’activisme amateur, préférant une professionnalisation constante et continue de son travail politique, des tactiques créatives et une analyse sociale à large portée. Il rejette les politiques de « diviser pour mieux régner » de l’ennemi et préconise l’unité de la classe et du parti. Ce programme détaille ses points de vue fondamentaux ainsi que ses propositions stratégiques initiales.
Le (N)PCC et le chemin vers le pouvoir politique
Bien qu’il prenne comme eux le nom de « parti », le (nouveau) Parti communiste du Canada n’a rien à voir avec les partis canadiens qui nagent dans le crétinisme parlementaire. Ce n’est ni un parti électoral, ni une simple collection de personnes aux opinions similaires, ni un parti limité strictement aux intérêts nationaux. Le (N)PCC est plutôt la plus haute expression politique d’une classe particulière : le prolétariat. C’est un condensé de ses conceptions et de ses intérêts politiques les plus avancés. Comme le prolétariat est une classe internationale, le (N)PCC est donc un détachement du prolétariat international et une composante intégrale du mouvement communiste international.
Le (N)PCC est le parti des prolétaires confinés dans les frontières du Canada. Il accueille en ses rangs tous les communistes engagés dans la lutte directe contre notre ennemi commun, la bourgeoisie monopoliste canadienne. Par conséquent, le (N)PCC est un parti fondamentalement multinational : c’est le parti des prolétaires de toutes les nations au Canada. Il fait siennes et intervient au sein de toutes les luttes populaires, autour de tous les aspects de la vie du peuple et de ses besoins. De plus, il vise à être un parti communiste complet, c’est-à-dire qu’il ne se confine pas à un secteur de lutte ou à un autre, que ce soit l’agitation, la propagande, l’organisation sur le terrain, les campagnes ou l’usage de la force. Il vise plutôt à englober la totalité de la lutte sociale, de la vie sociale.
Le (N)PCC est un parti de révolutionnaires professionnels complètement dédiés. Il ne suffit pas d’être en accord avec ses objectifs pour en devenir membre, quoique le (N)PCC accueille chaleureusement toute forme de soutien. Les membres du parti sont ceux qui sont prêts à ne donner rien de moins que leur vie dans la lutte pour le socialisme, qui sont prêts à faire de cette lutte le principe guidant chacune de leurs décisions. Les membres du parti doivent se soumettre au principe du centralisme démocratique : liberté de discussion, mais unité dans l’action, soumission de la minorité à la majorité, soumission des organes inférieurs aux organes supérieurs, soumission de tout le parti au comité central. Le centralisme démocratique est le principe organisationnel de tous les communistes révolutionnaires : il assure la discussion complète et ouverte ainsi que le partage de toutes les idées qui pourraient être utiles à notre révolution, tout en maintenant une invincible unité de fer qui nous permet de combattre nos ennemis de classe puissants et bien organisés. Sous le centralisme démocratique, la démocratie est la base du centralisme et le centralisme permet la réalisation des décisions démocratiques.
Le (N)PCC est donc le noyau dirigeant, le cerveau et le système nerveux de la révolution prolétarienne. Mais il ne fera pas la révolution tout seul. L’expérience historique nous démontre que le parti est seulement l’un d’une série d’instruments requis pour le renversement du capitalisme-impérialisme. Le (N)PCC, tout en se construisant lui-même, construira en même temps les autres armes du peuple révolutionnaire : le front uni et l’armée populaire.
Le Front uni est l’alliance temporaire de toutes les classes nécessaires à l’accumulation d’une masse critique, en vue de devenir plus forts que l’ennemi et de rendre possible son renversement. En termes généraux, il est composé de tous ceux dont les intérêts sont en contradiction suffisante avec le capitalisme-impérialisme pour qu’ils aient quelque chose à gagner dans une révolution socialiste. Le noyau et la partie dirigeante du front uni est le prolétariat révolutionnaire et ses nouvelles institutions du pouvoir politique, amenant avec lui des sections des petits agriculteurs et de la couche inférieure de la petite-bourgeoisie (qui vivent souvent dans des conditions très similaires au prolétariat), des sections de la petite-bourgeoisie et peut-être de la modeste bourgeoisie nationale autochtone, ralliée sur la base d’une défaite du colonialisme et de la réalisation de la libération nationale, et finalement quiconque réalisant les besoins urgents de notre époque et étant prêt à sacrifier ses propres intérêts de classe pour rejoindre le camp révolutionnaire. Les composantes du front uni prennent diverses formes organisationnelles et prennent éventuellement le caractère d’une alliance politique formelle. De cette manière, c’est le front uni qui forme progressivement l’embryon du nouvel État.
Au-delà du Front uni organisé, il y a un mouvement populaire plus large qui inclut toute l’étendue des forces objectivement opposées au pouvoir économique et politique du capitalisme monopoliste financier. C’est une force organique qui inclut les organisations de travailleurs, de locataires et de jeunes, les organisations de quartiers, les syndicats, etc., qui ne sont pas dirigés par le parti. Lorsqu’elles s’engagent véritablement dans la lutte des classes, ce sont ces organisations ainsi que toutes les masses populaires engagées dans l’action spontanée qui forment l’océan dans lequel les révolutionnaires apprennent à « nager comme des poissons » (Mao). Ce mouvement populaire élargi est un tout plus large au sein duquel interviennent le (N)PCC et le Front uni. C’est ce mouvement qu’ils souhaitent mener vers la lutte active pour le socialisme et vers une rupture définitive d’avec son caractère actuel, purement défensif et réformiste.
Finalement, l’histoire des révolutions nous apprend que « Sans armée populaire, le peuple n’a rien » (Mao). Nous savons que la bourgeoisie ne laissera pas le peuple prendre le pouvoir pacifiquement, que cette question sera ultimement réglée par un concours de force brute entre les forces de la révolution et les forces de la réaction. Pour faire face à une armée moderne, une armée populaire professionnelle devra être mise sur pied en tant qu’organisation distincte du parti, mais sous sa direction. La forme spécifique qu’une armée populaire devra prendre dans un pays impérialiste hautement développé tel que le Canada n’a pas encore été découverte. Elle ne ressemblera probablement pas aux armées révolutionnaires actives dans les pays semi-féodaux et semi-colonisés. Toutefois, on ne pourra jamais contourner le besoin d’une armée populaire. Ce point est ce qui distingue le (N)PCC de tous les soi-disant socialistes et faux communistes de ce pays. De plus, le parti et l’armée du peuple devront équiper et soutenir les larges masses dans les luttes à venir et dans la construction d’un nouveau pouvoir, un soutien que nous pouvons résumer par la formule suivante : armement général des masses, afin qu’elles ne soient plus jamais laissées sans défense face à leurs ennemis.
Ce sont les outils nécessaires pour mettre en œuvre notre grande tâche historique. Maintenant que nous savons quelles pièces il nous faut mettre sur l’échiquier, la prochaine question est celle de leur construction et de leur mouvement – la question de la stratégie révolutionnaire.
Il faut dire que le (N)PCC ne place aucun espoir dans le système parlementaire du Canada, qui a précisément été mis en place pour légitimer le régime colonial et capitaliste. Le pouvoir politique révolutionnaire prolétarien ne peut pas être saisi simplement en se joignant à la course électorale. Le (N)PCC ne se contente pas d’un travail politique principalement ouvert et réformiste en attendant que des crises révolutionnaires lointaines et hypothétiques tombent du ciel. En même temps, le (N)PCC ne se fait pas le porte-parole d’un aventurisme sans cervelle et de l’initiation d’affrontements armés alors que les forces de la révolution ne sont encore qu’une minorité marginale et ne disposent ue de peu, voire d’aucun, soutien venant des masses populaires en général.
On peut résumer les aspects généraux de notre stratégie révolutionnaire ainsi :
- L’accumulation des forces dans le mouvement révolutionnaire. Nous concevons la période précédant les confrontations armées non pas comme une période complètement distincte, mais comme une période préparatoire pour celle qui suit, une période d’accumulation des forces. Cela implique que, dès le début, le parti reste clandestin, se concevant comme étant en guerre avec l’ennemi bien avant le premier coup de fusil. Pour pouvoir supporter une guerre ouverte avec une force aussi puissante que l’AIAA, des dizaines sinon des centaines de milliers de personnes vont devoir être recrutées dans le parti et dans son armée populaire, constituant le noyau de sa puissance de feu révolutionnaire.
- La construction des organes du pouvoir politique. La transformation de l’ordre politique ne peut pas se produire en une nuit, même si la réaction est défaite militairement. L’histoire nous enseigne que le prolétariat doit être bien préparé à manier le pouvoir politique, puisque le socialisme n’est qu’une nouvelle phase de la lutte des classes. Avant que le pouvoir politique ne soit conquis, les institutions qui forment le nouveau pouvoir doivent être construites au moins dans leurs formes préliminaires, et le peuple doit avoir gagné de l’expérience politique dans le maniement de ces institutions. Ces dernières sont composées principalement d’assemblées et de conseils ouvriers (ou prolétariens, plus généralement), qu’on appelait « soviets » lors de la révolution d’Octobre et qui seront distribués selon les régions géographiques ou les milieux de travail. Elles incluent aussi toutes les expressions politiques du Front uni (les associations révolutionnaires représentatives des peuples autochtones, par exemple).
- La précipitation active des conditions objectives vers la crise révolutionnaire. Nous n’attendrons pas les bras croisés que ces conditions apparaissent, mais nous agirons de sorte à les créer nous-mêmes. Il s’agit principalement de mener le peuple à des conclusions révolutionnaires à travers le travail politique. En intervenant dans le mouvement des masses et en le construisant, les communistes ne sont pas principalement en quête de réformes (même s’ils les accueillent volontiers), mais plutôt en quête d’un affûtage des contradictions sociales existant entre le peuple et l’ennemi. C’est grâce à ses propres expériences de lutte et à l’élan insufflé par le parti d’avant-garde que le peuple acceptera le socialisme comme étant la seule solution à l’ensemble de ses griefs. Comme le dit le dicton, ce n’est que lorsque les gens bougent qu’ils sentent tout le poids de leurs chaînes.
Dans son travail quotidien de construction des instruments de la révolution et de réalisation de sa stratégie révolutionnaire, le principe général qui guide les actions du parti est la ligne de masse. La ligne de masse maintient que « le peuple, le peuple seul, est la force motrice, le créateur de l’histoire universelle » (Mao). Suivre la ligne de masse demande de s’appuyer sur les masses et de leur faire confiance. Cela veut dire que la révolution ne peut être que faite par les larges masses et doit dépendre de la mobilisation de la majorité. Cela implique que les communistes doivent nager dans les masses comme des poissons dans l’eau, qu’ils doivent se mêler à elles, écouter leurs préoccupations, considérer les membres des masses comme des égaux. Cela veut dire qu’ils doivent s’unir avec les masses et lutter à leurs côtés, partager leurs défaites et leurs victoires, leurs douleurs et leurs joies.
Appliquer la ligne de masse au jour le jour, c’est suivre le principe de « partir des masses pour retourner aux masses ». Les membres du parti ancrent donc leurs actions dans une conduite permanente d’investigation sociale, pour apprendre des conditions du peuple et prendre la mesure de son état d’esprit, de ses revendications et de ses besoins. La manière communiste d’enquêter se fonde sur l’analyse de classe : la compréhension des classes sociales et des contradictions entre ces classes, ainsi que leurs manifestations objectives et subjectives. Toutes les actions du parti doivent s’ancrer dans l’investigation sociale et l’analyse de classe (ISAC), sinon le parti ne pourra pas se lier au mouvement des masses et ses mots d’ordre en seront réduits à des slogans déconnectés du monde réel.
C’est par l’agitation et la propagande que le (N)PCC peut d’abord soumettre au test de la pratique les conclusions de son ISAC. L’agitation s’attaque à des contradictions spécifiques dans la société. Elle cherche à éveiller l’indignation, à mettre de l’avant des enjeux particuliers. Avec elle, nous diffusons des idées révolutionnaires de base parmi les masses les plus larges et nous les menons vers la lutte politique et économique. La propagande, quant à elle, s’attaque à des contradictions complexes ou nombreuses. Elle cherche à élever la conscience d’une section plus étroite du peuple. L’agitation et la propagande cherchent toutes les deux à élever la conscience du peuple et développer sa participation dans le mouvement révolutionnaire. Elles peuvent être conduites avec des médias (tracts, journaux, sites web, etc.) ou à l’oral par des militants.
C’est avec l’agitation et la propagande que le parti poursuit la mobilisation et l’organisation des masses. Les masses sont mobilisées dans les luttes économiques et politiques immédiates, dans des campagnes larges et dans des actions contre l’ennemi de classe. Celles-ci peuvent prendre la forme concrète de manifestations, d’occupations, de grèves, etc. La forme de ces actions est secondaire par rapport à la ligne politique et à l’implication des masses les plus larges du peuple. Le parti cherche à les organiser dans les organes du Front uni. Ils peuvent être soit des organisations créées sous la direction du parti ou des organisations déjà existantes, telles que les syndicats. Les sections les plus avancées et combatives des masses sont ultimement organisées au sein du Parti communiste et éventuellement dans l’Armée populaire.
En somme, le parti applique la ligne de masse en menant son ISAC, son agitation et sa propagande, en organisant et en mobilisant les masses, tout cela dans le but de construire les instruments de la révolution (le Parti, le Front uni et l’Armée populaire). Il le fait en suivant la stratégie révolutionnaire de l’accumulation des forces, de la construction des organes du pouvoir politique et de la précipitation de la crise révolutionnaire.
En gardant cela en tête, le (N)PCC maintient que son objectif fondamental est de faire progresser la lutte des classes jusqu’au communisme et que la tâche centrale pour accomplir cela dans notre contexte est la révolution prolétarienne et l’établissement de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire le socialisme, au Canada. Le (N)PCC n’est donc pas dogmatiquement attaché à la stratégie et aux tactiques détaillées plus haut, mais il les soumet à ce but général et au test de la pratique. En tant que seul critère de la vérité, c’est la pratique qui jugera ultimement de la justesse de nos idées. Les années à venir devraient voir soit une avancée du mouvement révolutionnaire, soit un changement de nos conceptions et de nos pratiques.
Le (N)PCC ne se bat pas pour une utopie ou pour un rêve lointain. Il s’engage dans la lutte telle qu’elle existe aujourd’hui, avec la ferme conviction que nous verrons la victoire, ou de grandes avancées, dans nos vies. Le socialisme existe en tant que potentialité ici et maintenant. Notre tâche est de le faire exister en réalité.

La transition socialiste
La victoire de la révolution ne sera pas synonyme de la fin de la lutte des classes, mais bien du début d’une nouvelle phase : celle où nous ne nous battrons plus pour le pouvoir politique, mais où nous lutterons en tant que nouvelle classe dirigeante majoritaire pour maintenir les gains de la révolution et pour faire avancer nos intérêts de classe jusqu’à l’élimination complète de la société de classe et de l’impérialisme partout sur la planète.
L’histoire nous enseigne que cette phase, que notre tradition nomme socialisme ou la dictature du prolétariat, va durer pour toute une époque historique. Comme Lénine a écrit après la victoire de la révolution d’Octobre en Russie : « La dictature du prolétariat, c’est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la nouvelle classe contre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont la résistance est décuplée du fait de son renversement (ne fut-ce que dans un seul pays) et dont la puissance ne réside pas seulement dans la force du capital international, dans la force et la solidité des liaisons internationales de la bourgeoisie, mais encore dans la force de l’habitude, dans la force de la petite production. »
Nous n’avons pas de boule de cristal dans laquelle nous pouvons deviner la forme de cette époque, mais avec les nombreux exemples révolutionnaires passés et notre propre expérience et connaissance de la lutte des classes au Canada telle qu’étayée plus haut, nous pouvons déterminer les tâches générales de notre gouvernement révolutionnaire, de la prise du pouvoir jusqu’aux quelques décennies subséquentes. Ce qui suit ne constitue pas une liste exhaustive, mais plutôt un ensemble de lignes directrices à suivre et à appliquer aux conditions spécifiques à venir.
Les premières mesures révolutionnaires
Dans la sphère politique, la révolution va immédiatement dissoudre toutes les institutions politiques bourgeoises majeures (la Chambre des communes, la monarchie au Canada, les parlements provinciaux, les municipalités, les conseils de bande, etc.) et remettre les affaires de l’État entre les mains des organes du pouvoir politique prolétarien : les conseils des ouvriers et des peuples opprimés tels qu’ils ont été forgés dans la lutte révolutionnaire. À travers ce nouveau pouvoir, le (N)PCC va défendre des mesures telles que :
- La privation des droits politiques des classes dirigeantes renversées et des éléments restants de la moyenne bourgeoisie. La restriction du droit de vote à ceux qui travaillent, à ceux qui ont déjà travaillé et qui ne sont plus capables de le faire malgré eux, ainsi qu’à ceux qui contribuent à la construction du socialisme.
- L’abolition des Forces armées canadiennes et leur remplacement par l’Armée populaire. Le désarmement des forces de police et le transfert de la sécurité nationale aux milices populaires démocratiques.
- La possibilité de révoquer tous les officiers d’État à tout moment et la réduction de leur salaire à celui d’un travailleur médian.
- La promotion de la liberté de presse et du droit d’assemblée, de grève et d’expression politique en général.
La politique multinationale
Pour résoudre les enjeux nationaux et constitutionnels, la révolution va proclamer l’abrogation immédiate de la constitution et de tous les traités coloniaux, puis va entreprendre un vaste processus de négociation entre les différents peuples de toutes les nations pour redéfinir la constitution et les frontières internes. Toutefois, les droits nationaux garantis sous les traités existants seront maintenus en attendant leur remplacement par de nouvelles négociations justes, faites de peuples à peuples. Tout au long de ce processus, le (N)PCC va défendre des mesures telles que :
- L’abolition formelle du Canada tel qu’il existe et son remplacement par la Confédération socialiste multinationale du Canada (ou quelque nom choisi par le mouvement révolutionnaire à ce moment). L’abolition des provinces actuelles et leur remplacement par des Républiques socialistes définies globalement par leur caractère national.
- La défense du droit à la sécession par référendum populaire pour toutes les Républiques composantes de la Confédération multinationale socialiste.
- La défense des droits culturels et linguistiques de tous les groupes nationaux historiquement constitués qui demeurent des minorités dans leurs territoires, ainsi que le développement d’économies nationales diversifiées et guidées par le peuple pour assurer la survie continue et la revitalisation de toutes les nations et de leurs cultures respectives.
- Le principe de non-ingérence d’une nation dans les affaires d’une autre, avec le rapatriement immédiat de la santé, du maintien de l’ordre, des services à l’enfance et de l’éducation, avec leurs budgets associés, à chaque nation, abolissant par le fait même la relation coloniale entre l’État central et les nations autochtones.
- La transition à des politiques d’immigration qui servent les besoins humains plutôt que l’économie. L’abolition du système rétrograde et ségrégationniste de statut migratoire et l’application du principe de la citoyenneté sur la base du travail.
La politique économique
Dans la sphère économique, notre objectif se résume bien par ce mot d’ordre : abolition de la propriété privée. Pour l’accomplir, une première étape pour la révolution est la mise en œuvre d’un vaste processus de socialisation des moyens de production (c’est-à-dire la nationalisation sous contrôle démocratique). L’économie sera arrachée des mains des individus privés, des firmes et des corporations et sera livrée aux institutions démocratiques du peuple. Cela implique des mesures telles que :
- L’expropriation immédiate, sans compensation, de la bourgeoisie monopoliste. La socialisation de toutes les industries majeures et la socialisation progressive et volontaire de la petite industrie.
- L’expropriation de tout le surplus du parc immobilier contrôlé par la bourgeoisie monopoliste à fins de spéculation (ou autre) et sa conversion en logements abordables pour les distribuer au prolétariat.
- L’abolition de la finance. La mise sur pied d’une institution centrale pour des opérations bancaires sans usure et la création d’un système monétaire rationnel.
- L’application du principe de la soumission de la production et du commerce aux besoins humains plutôt qu’au profit privé, c’est-à-dire de la production de valeurs d’usage socialement utiles au lieu de valeurs d’échange.
- La démocratisation de l’économie, réalisée à travers une démocratisation politique générale, permettant l’adoption de plans unifiés de production pour tout le pays, ainsi que la démocratisation des milieux de travail locaux en ce qui concerne le fonctionnement quotidien.
- L’abolition des taxes et des impôts pour les travailleurs ordinaires et l’annulation de toutes les hypothèques, dettes étudiantes et dettes de crédit à la consommation.
- La reconnaissance de l’accès aux nécessités fondamentales de la vie (le logement, la nourriture, les médicaments, les vêtements, les fournitures scolaires pour les enfants à l’école, etc.) comme des droits en bonne et due forme, applicables pour tous les travailleurs et leurs familles.
- La défense du droit à des services de santé, à de l’éducation et à de la culture de qualité pour tous.
- La démocratisation de la science et de la technologie dans le but d’améliorer la vie de tous et d’atteindre notre plein potentiel collectif.
- Le droit et l’obligation de travailler selon ses capacités.
La politique internationale
Le renversement de l’État impérialiste du Canada va engendrer des répercussions majeures non seulement au niveau domestique, mais aussi pour les autres peuples du monde qui souffrent présentement sous le joug de l’impérialisme canadien. La Confédération socialiste multinationale va révolutionner le rôle du Canada dans le monde et va faire de lui pour la première fois un réel défenseur de la paix et de la liberté, tel qu’il prétend l’être aujourd’hui. Cela implique des mesures telles que :
- Le retrait immédiat de la participation canadienne à toutes les institutions dirigées par l’AIAA, comme l’OTAN, le NORAD, le Five Eyes, le FMI, la Banque mondiale, etc.
- La répudiation de toutes les dettes néocoloniales des pays opprimés envers le Canada et l’abandon des propriétés canadiennes dans les pays opprimés pour les laisser aux peuples locaux. Inversement, la répudiation des dettes canadiennes envers d’autres puissances impérialistes et envers les institutions transnationales.
- La reconnaissance du droit à l’autodétermination et à la souveraineté politique complètes pour toutes les nations, ainsi que l’opposition active à l’oppression infligée à celles-ci par les impérialistes qui subsistent.
- Le soutien aux mouvements populaires et révolutionnaires en lutte contre le capitalisme-impérialisme. L’établissement d’un commerce égalitaire et des relations diplomatiques avec d’autres pays progressistes et anti-impérialistes.
- La construction de liens fraternels avec des partis et organisations communistes révolutionnaires d’autres pays. La participation à la reconstruction du camp socialiste et, en temps et lieu, d’une nouvelle Internationale communiste.
Le (nouveau) Parti communiste du Canada se bat explicitement, et ouvertement, pour le renversement complet de l’ordre mondial impérialiste, de même que pour l’établissement du communisme à l’échelle mondiale. Nous sommes le parti des communards de Paris, des bolchéviques de Russie, de la Révolution chinoise et de la résistance anti-impérialiste héroïque au Vietnam. Nous sommes le parti de la grève générale de Winnipeg, de l’époque révolutionnaire du vieux Parti communiste du Canada, du Front de libération du Québec et des marxistes-léninistes des années 1970. Le (N)PCC est le parti des peuples du monde qui lèvent encore bien haut la bannière du communisme, de ceux qui n’ont pas abandonné et qui n’abandonneront jamais.
Le monde va changer de base
Nous ne sommes rien, soyons tout!

Notes de fin
1 Les relations de production pré-capitalistes présentes dans le monde aujourd’hui prennent deux formes distinctes : les relations pré-capitalistes de classe et les relations pré-capitalistes sans classes. La première de ces formes est la plus commune. Des relations de production féodales ou esclavagistes existent dans de nombreux pays. La production qui découle de ces relations est cependant largement redirigée vers l’économie capitaliste-impérialiste dominante. La seconde de ces formes a été presque entièrement marginalisée : bien que de très petits groupes de personnes vivent toujours dans des sociétés sans classes, ils demeurent sous l’emprise d’États bourgeois et ne représentent qu’une fraction infime de la production mondiale.
2 De part et d’autre de cette confrontation interimpérialiste, les forces en présence tentent de se présenter comme le bon côté — les nouveaux impérialistes se présentent de manière cynique comme des opposants à l’hégémonie américaine tout en cherchant à y substituer la leur, alors que l’AIAA et l’UE présentent leurs adversaires comme « totalitaires » et déploient des clichés racistes sans subtilité pour susciter une frénésie patriotique en faveur d’une offensive de plus en plus intense contre leurs adversaires.
3 Dans quelques très rares cas, comme Cuba et la République populaire démocratique de Corée, un État peut tenter de poursuivre une politique anti-impérialiste et viser une véritable indépendance. Ces cas méritent une attention et une analyse particulières, puisque de tels pays pourraient jouer un rôle spécifique par rapport aux mouvements révolutionnaires dans le monde. Cependant, tous ces pays sont sous l’influence d’une ou de plusieurs grandes puissances impérialistes sous certains aspects et aucun n’est socialiste dans le sens où nous, et notre tradition politique, l’entendons.
4 Par exemple, le Canada s’est beaucoup vanté de « ne pas être en Irak », mais le gouvernement Chrétien, en place au début de cette guerre, a travaillé en arrière-plan pour soutenir son invasion.
5 Il s’agit de la Bank of Montreal (BMO), la Bank of Nova Scotia (Scotiabank), la Canadian Imperial Bank of Commerce (CIBC), la Royal Bank of Canada (RBC) et la Toronto-Dominion Bank. Ensemble, ces cinq banques (avec la Banque Nationale du Canada) représentent près de 90% des actifs totaux de l’industrie bancaire canadienne. Elles ont toutes d’importantes activités à l’étranger, à la fois par le biais de l’interpénétration avec les autres économies de pays de l’AIAA et dans les pays exploités par l’impérialisme de l’AIAA.
6 Il suffit de penser aux vagues de réfugiés syriens fuyant une guerre civile provoquée et financée par l’OTAN, qui ont abouti précisément dans les pays ayant contribué à la destruction toujours en cours de la Syrie.
7 Le fait que l’ancienne politique ouvertement violente de l’État canadien continue à coexister avec les stratégies de cooptation et de pacification est illustré par le fait que les pensionnats autochtones ont continué à opérer jusqu’aux années 1990, que les années 60 ont connu le tristement célèbre sixties scoop, et qu’il est arrivé à plusieurs reprises que des forces policières militarisées (et plus rarement l’armée elle-même) envahissent les territoires autochtones afin d’imposer la volonté de l’État.
8 La sélection par la couronne britannique d’une femme autochtone comme représentante officielle au Canada n’est que l’expression la plus symbolique de ce phénomène.
9 En effet, soutenir matériellement l’indépendance véritable pour ces nations et nationalités qui la veulent fait partie du devoir internationaliste du mouvement communiste, bien que l’unité multinationale au sein d’un État socialiste confédératif demeure l’objectif et la stratégie primaires du mouvement.
10 Beaucoup d’Africains réduits en esclavage ont fui soit l’esclavage, soit les conséquences de la révolution américaine en allant vers le nord, au moins jusqu’à la guerre civile américaine. Ils ont formé la minorité nationale des Black Scotians et d’autres communautés de Black loyalists à travers le pays.
11 La Colombie-Britannique en particulier a attiré beaucoup d’immigrants chinois, japonais et (dans une moindre mesure) sud-asiatiques, et beaucoup d’entre eux ont travaillé à la construction de chemins de fer à la fin du 19e et au début du 20e siècle à travers l’Ouest. Cependant, les politiques officielles racistes et l’idéologie qui y était liée ont fait en sorte que la plupart de ces travailleurs ne pouvaient pas s’établir au Canada avec leurs familles, ni se marier avec des prolétaires blancs, et donc leur population est artificiellement demeurée basse, limitant leur capacité à se développer en de plus grandes minorités nationales.
12 L’orangisme canadien, qui descend directement de l’orangisme britannique, s’est cependant adapté aux conflits nationaux du Canada. Il a appliqué les points de vue anti-catholiques traditionnels de l’orangisme britannique contre les Canadiens français, mais il a aussi développé une tendance raciste anti-immigrante et anti-autochtone. L’orangisme représente donc la ligne réactionnaire sur chacune des trois principales questions nationales au Canada.
13 Cela inclut non seulement la classe ouvrière active, mais aussi ceux qui en sont dépendants, comme les enfants et les aînés.
14 Une revue exacte de cette strate par classe est difficile à obtenir, puisqu’elle contient à la fois des employés d’exécution, qui sont des prolétaires bien qu’ils ne produisent pas (ou peu) de plus-value, et plusieurs membres de la petite-bourgeoisie inférieure.
15 Ce secteur représente 7,3 % du PIB du Canada, soit 156 milliards de dollars. Et bien que ce secteur soit en grande partie composé de services publics, ceux-ci sont maintenant (et depuis des décennies) la cible d’un désinvestissement et d’une privatisation continus, ce qui permettrait à la bourgeoisie d’en faire un nouveau marché pour l’accumulation privée.
16. Voir la note de bas de page 5 pour plus de détails.
17 Nous parlons ici du libéralisme au sens large : les libéraux avec un grand L, les conservateurs, les libertariens, les sociaux-démocrates et toutes les autres tendances de la politique bourgeoise souscrivent à l’une ou l’autre forme du libéralisme au sens large.
18 « Fascisme » est un terme utilisé de deux manières. La première est le fascisme comme politique, que nous utilisons pour parler d’une dictature ouvertement terroriste des secteurs les plus réactionnaires de la classe dominante. La seconde est le fascisme comme idéologie : une forme idéologique spécifique dont les exemples les plus connus sont le fascisme italien et le nazisme allemand qui, en dernière instance, consistent en une rationalisation de l’usage du fascisme comme politique. Ici, nous utilisons le deuxième sens, sans nier que n’importe quelle des tendances nommées précédemment, lorsqu’au pouvoir, peuvent en venir à utiliser le fascisme comme politique.
19 À un moment, on disait qu’il était difficile de trouver une seule usine dans l’est de Montréal dépourvue d’une cellule du PCO.


