Ligne ouvrière du (N)PCC

Produit par le Comité central, mars 2025


  1. La centralité ouvrière
  2. Sur l’opportunisme et « l’aristocratie ouvrière »
  3. L’importance des syndicats
  4. Le régime juridique
  5. La ligne syndicale
  6. Déviations de ligne sur les syndicats
    1. Sur le « syndicalisme révolutionnaire »
    2. Leçons historiques du syndicalisme révolutionnaire
    3. Sur le « syndicalisme »
  7. Organisation et intervention
    1. Organiser des syndicats
    2. Faire la grève
    3. Les Organisations de masse politiques ouvrières et les caucus
    4. Cellules d’atelier
  8. Forger une classe ouvrière révolutionnaire

L’exploitation de la force de travail prolétarienne est le principal moyen par lequel la société capitaliste se reproduit. Chaque nouveau projet de recherche de rente ou bulle financière est construit sur des fondations posées par la force de travail et le surplus qui en est extrait. Le maintien et l’intensification de l’exploitation quotidienne de la force de travail sont au cœur de la politique et de la vie publique capitaliste.

Grâce à un processus de lutte prolongée, le prolétariat a appris, au cours du XIXe et au début du XXe siècle, que son espoir de prendre l’avantage reposait sur deux faits: son écrasante supériorité numérique et sa position centrale dans la production. Dans l’ensemble du monde capitaliste, les travailleurs se sont regroupés en syndicats et ont affiné leurs formes d’organisation afin de pouvoir tirer parti de ces avantages pour arrêter la production et faire subir à leurs adversaires, les capitalistes, des préjudices plus graves que ceux qu’ils pourraient eux-mêmes subir.

Cette arme, la grève, a principalement été utilisée pour avancer les intérêts économiques de travailleurs spécifiques. Lorsque le prolétariat a atteint sa maturité politique, il a appris à utiliser la grève à des fins politiques. Il a aussi appris les limitations des organisations strictement économiques et, dans les cas où il était plus avancé, les a combinées au Parti communiste, au Front uni et à l’Armée populaire pour se donner un maximum de latitude stratégique pour conquérir le pouvoir politique.

La force du mouvement communiste au Canada a toujours été fortement corrélée à sa base de soutien au sein de la classe ouvrière organisée, c’est-à-dire au sein des syndicats. C’est ainsi parce que les révolutionnaires ont utilisé les occasions produites par le conflit quotidien entre le travail et le capital sur les lieux de travail pour amener les travailleurs au conflit de classe, aiguiser les contradictions entre ces deux grandes forces sociales et les gagner à la seule méthode pour résoudre ces contradictions: la révolution et le communisme. C’est aussi parce que ces travailleurs peuvent tirer parti de leur place dans la production en faisant grève pour remporter des victoires qui seraient autrement impossibles. Les particularités ont changé et nécessitent une attention particulière, mais ces vérités générales sont aussi pertinentes pour les révolutionnaires d’aujourd’hui qu’elles l’étaient dans les décennies passées.

En tant que pays impérialiste et capitaliste avancé, le Canada a une spécialisation intense de ses branches de l’industrie, des chaînes d’approvisionnement complexes, un important secteur des services et un État hautement interventionniste. Toutes ces variables ont des implications sérieuses lorsqu’il est question de l’intervention révolutionnaire dans le principal lieu d’exploitation des travailleurs, le lieu de travail1. Nous devons donc articuler une analyse de la situation actuelle et étayer notre stratégie afin de nous guider vers la révolution.

Notre Parti a accepté les tâches monumentales de vaincre la bourgeoisie canadienne et d’établir une confédération socialiste multinationale. Essentielle à notre stratégie pour achever ces objectifs est la théorie de la centralité ouvrière. Notre objectif dans ce texte est de défendre cette position et d’en tirer les conséquences pour la pratique, c’est-à-dire d’articuler une ligne sur le mouvement syndical. Cette ligne syndicale peut se résumer au renforcement de la capacité du prolétariat à s’engager dans des grèves politiques ou, en d’autres termes, à l’utilisation de son pouvoir économique pour atteindre des objectifs politiques.

Ci-dessous, nous analysons également certaines des lignes contestataires au sein du mouvement syndical2, à la fois pour illustrer notre propre ligne par rapport à celles-ci et pour souligner leurs défauts et leurs lacunes afin d’essayer de rallier nos camarades organisateurs syndicaux à nos positions.

La centralité ouvrière

Notre objectif politique est le renversement révolutionnaire du capitalisme et de l’État bourgeois, la conquête du pouvoir par le prolétariat et la mise en place d’une confédération socialiste multinationale. La ligne juste sur les syndicats et le mouvement syndical est celle qui sert le mieux ces objectifs.

Si nous sommes sérieux à propos de la prise du pouvoir, nous avons besoin d’une ligne ouvrière qui nous permet de faire deux choses: porter des coups substantiels au capital et reproduire la société sous notre propre direction. Ces deux objectifs requièrent une puissance et une organisation considérables dans les industries stratégiques. L’agriculture, la transformation des aliments, l’extraction des ressources, la construction, la fabrication, le transport et les services publics sont tous essentiels au maintien et à la reproduction, même à court terme, d’une société industrielle moderne. Les grèves dans ces secteurs peuvent menacer l’économie d’une ville, d’une région, voire d’un pays tout entier, et la capacité de les faire sera donc une arme vitale pour le prolétariat, tant dans le long développement de sa lutte pour le pouvoir politique qu’aux moments décisifs où il choisira d’amorcer ou d’exacerber une crise révolutionnaire. Les secteurs de l’éducation et de la santé rassemblent également un grand nombre de travailleurs et sont des facteurs clés permettant à la fois la reproduction de la classe ouvrière et un taux élevé de participation au marché du travail3; ils peuvent donc exercer un pouvoir similaire de manière plus indirecte.

De plus, la gestion d’une économie socialiste sans une organisation quasi totale de toutes ces industries sera impossible. Le socialisme sera beaucoup de choses magnifiques, mais ça ne sera pas des vacances. La reconstruction, la réorganisation et la défense de la nouvelle société nécessiteront des sacrifices monumentaux de la part du prolétariat — incluant des quotas de production importants, des restrictions de salaire ainsi que des pénuries de main-d’œuvre. Les travailleurs ne toléreront pas cela à moins qu’ils soient organisés correctement afin d’avoir leur mot à dire dans l’économie socialiste, et qu’ils soient menés à voir ces sacrifices comme nécessaires à leur libération à long terme. Les forces contre-révolutionnaires ont les mêmes capacités à organiser les travailleurs que nous, et à moins que nous les organisions en premier, les réactionnaires utiliseront leurs grèves comme armes contre nous.

Comparez ces industries stratégiques à d’autres industries productives comme la restauration et l’hôtellerie (sans parler des énormes industries parasitaires de la banque, de l’assurance, etc., qui emploient un grand nombre de prolétaires). Ces travailleurs ont un intérêt objectif dans la défaite du capitalisme et ont tout à gagner de notre victoire, mais ils ne sont pas en mesure d’exercer la même influence sur le capital dans son ensemble et leurs industries ne sont pas aussi centrales pour la reproduction du socialisme que leurs homologues des industries stratégiques. Leur position à l’extrémité de la chaîne d’approvisionnement les rend également vulnérables aux actions ouvrières dans les secteurs primaires et secondaires de l’économie. Ils dépendent immédiatement des intrants de ces secteurs et peuvent donc facilement être privés de matières premières si la lutte devait s’intensifier au-delà d’une simple lutte économique.

Un exemple récent de grève au Canada qui a eu un impact sur « le capital dans son ensemble » est la grève des débardeurs du port de Vancouver en 2023 (voir ci-dessous), qui a causé 500 millions de dollars de dommages à l’économie pour chaque jour de grève. C’est le genre de pouvoir que la classe ouvrière doit exercer pour remporter des luttes politiques.

Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas organiser les travailleurs dans les secteurs de la vente au détail, du service alimentaire, etc. Si nous recrutons quelqu’un qui est un leader établi dans une épicerie, nous aurions beaucoup à gagner si cette personne organise un syndicat, combat le patron et politise sa lutte le plus possible, en poussant sa centrale syndicale dans une direction plus démocratique, militante et éventuellement révolutionnaire4. C’est une question d’où déployer délibérément nos forces limitées lorsque nous avons l’opportunité de le faire de façon préméditée. Dans ces situations, nous devons prioriser les grandes usines dans les industries stratégiques.

Pour le présenter simplement: si nous avons organisé les mines et les usines, mais pas les cafés, nous avons une chance de gagner, mais si nous avons organisé les cafés, mais pas les mines et les usines, nous sommes foutus. La nécessité d’une ligne syndicale et ouvrière révolutionnaire suit cette réalité.

Sur l’opportunisme et « l’aristocratie ouvrière »

Avant d’élaborer plus profondément la ligne ouvrière, il est nécessaire de se pencher sur la question de savoir si la classe ouvrière des pays impérialistes, dans son ensemble ou en partie, est même capable de conscience révolutionnaire. Cette question a des implications fondamentales sur la stratégie révolutionnaire dans notre pays, nous la traiterons donc en premier.5

L’existence de la surexploitation, et par conséquent des superprofits, crée la possibilité de l’opportunisme au sein de la classe ouvrière, puisque certaines sections de la classe (et certaines plus que d’autres) bénéficient de ces superprofits. L’opportunisme ne peut être pertinent que dans une situation où des concessions substantielles en faveur des travailleurs peuvent être faites sans mettre en péril le système capitaliste dans son ensemble, et la surexploitation est donc une condition préalable à son émergence. Ce n’est pas la même chose, cependant, que de dire que ces concessions favorables aux travailleurs nécessitent que l’opportunisme prévale même parmi les travailleurs qui en bénéficient, ou que tous les travailleurs ayant un niveau de vie supérieur au simple coût de reproduction de leur force de travail soient les bénéficiaires de ces superprofits — une position qui était courante, soit au niveau de la ligne formelle, soit implicitement dans la ligne opérationnelle pendant le troisième mouvement de construction du parti et, en fait, jusqu’à ce jour, parmi de nombreux marxistes-léninistes-maoïstes autoproclamés dans les pays impérialistes.

Cette position contredit celle des communistes historiques s’étant impliqués dans les luttes ouvrières durant le premier et second mouvement de construction des partis au Canada, et au moins dans le premier mouvement de construction des partis aux États-Unis,6 et elle sous-estime également le rôle décisif du facteur subjectif dans la formation de la conscience des travailleurs.

Dans les pays impérialistes, il existe une multitude de moyens par lesquels les intérêts matériels à court terme de certains travailleurs sont liés à ceux de capitalistes particuliers et au succès du système capitaliste dans son ensemble. Salaires élevés, régimes de retraite, concessions en matière de partage de profits, épargne-retraite/éducation, portefeuilles d’investissement parrainés par les syndicats, accès à la propriété — la liste est longue. Il est absurde de nier que les travailleurs individuels en ont à gagner aux côtés des capitalistes dans ces cas-là, même si c’est évidemment dans une bien moindre mesure.

Les travailleurs participent à ces investissements quand leurs salaires excèdent le coût minimal pour reproduire leur force de travail7. Actuellement, ils n’ont aucune raison de ne pas le faire, surtout lorsqu’on considère que l’alternative — soit de garder cet argent en liquidité — n’est pas moins un investissement, mais un investissement dont la dépréciation par rapport à l’inflation est garantie. Et cette alternative n’est même pas moralement supérieure à l’investissement de ce surplus dans d’autres marchandises, puisque l’argent qui reste dans une banque sera utilisé pour faire flotter plusieurs fois sa valeur nominale dans des prêts accordés par la banque et facilitera ainsi une exploitation plus poussée en tant que telle.

La portion de la classe ouvrière qui a accès à cet excédant investissable est en déclin, et ceux qui y ont accès en ont moins qu’avant8, mais il reste une grande partie de la classe qui est impliquée dans l’une ou l’autre forme d’investissement capitaliste.

Cela signifie-t-il qu’une partie importante des travailleurs des pays impérialistes sont « vendus » et qu’ils défendront le capitalisme pour protéger leurs maigres acquis? Faire une telle déclaration catégorique est une erreur mécaniste. D’une part, elle ne tient pas compte de la nature incertaine et menacée de ces gains — une ouvrière de l’automobile de Windsor qui perd son emploi n’en retrouvera pas un autre avec un salaire comparable, elle risque de perdre sa maison et son fonds de pension, etc. Même les travailleurs aisés ont un intérêt à long terme à mettre fin au capitalisme pour que leur bien-être matériel soit plus stable et plus sûr. Elle ignore également le militantisme récent de cette section de la classe ouvrière au cours des dernières années (par exemple, les grèves des travailleurs de l’automobile en Ontario, des mineurs de Sudbury, des débardeurs de Montréal et de la Colombie-Britannique ou des travailleurs de l’aérospatiale de Rolls-Royce Montréal). Mais ce n’est pas tout.

Fondamentalement, cette conclusion ne prend pas en compte le rôle décisif que joue le facteur subjectif: la présence d’un parti révolutionnaire qui exerce son leadership au sein du mouvement ouvrier. En l’absence d’un tel parti offrant une alternative crédible pour la lutte des travailleurs, les seules options restantessont de lutter pour obtenir plus dans les confins du système tel qu’il existe, ou d’accepter moins. Sérieusement, sans communistes pour te dire comment les choses pourraient être différentes et comment t’y rendre, quelle démarche
serait même possible
pour la grande majorité des travailleurs? Malgré les efforts des révolutionnaires depuis la « New Left » des années 1960 jusqu’au second mouvement de construction du parti des années 70 et 809, c’est le cas depuis que les communistes ont été expulsés du Congrès du travail du Canada (CTC) et du Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC), et aux États-Unis du Congress of Industrial Organizations (CIO).

L’erreur cruciale du CPUSA, à l’apogée de son influence dans le mouvement ouvrier (parmi les travailleurs industriels qui obtenaient des augmentations substantielles), a été son incapacité à développer une stratégie pour faire réellement la révolution10. Nous pourrions ajouter qu’ils n’ont pas réussi à maintenir la capacité d’une action syndicale indépendante. C’est ce qui les a rendus vulnérables à l’expulsion des syndicats et à la répression qui a suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’échec se situe du côté du facteur subjectif. Les mêmes travailleurs qui gagnaient des augmentations sous une direction révolutionnaire dans les années 1930 ont-ils vraiment atteint un point de basculement objectif qui les a amenés à devenir opportunistes dans les années 1940? À quel taux de salaire, ou avec quelle réforme sociale, cette accumulation quantitative a-t-elle précipité un changement qualitatif? Et quel est ce taux de salaire aujourd’hui11? Le tout s’écroule sous la pression d’une explication alternative.

Si nous prenons au sérieux la théorie de Lénine selon laquelle les travailleurs ne développent spontanément qu’une conscience syndicale (et non révolutionnaire), quel autre résultat pouvons-nous attendre que l’économisme et l’opportunisme prévalent au sein de la classe ouvrière? Pour dire les choses crûment, les communistes n’ont pas organisé les travailleurs et, par conséquent, les travailleurs ne pensent pas comme des communistes. Quelle surprise!

Les sections les mieux loties de la classe ouvrière ont des intérêts objectifs qui les poussent dans des directions opposées. Même les travailleurs qui gagnent un salaire à peu près décent leur permettant de s’offrir quelques luxes et de faire des investissements ont un intérêt à long terme à mettre fin au capitalisme. La sécurité et l’épanouissement que ces choses promettent seront mieux garantis par une confédération socialiste multinationale, sans parler de la survie à long terme de l’espèce humaine. Le même principe s’applique aux côtés opposés de nombreuses contradictions au sein du peuple — des intérêts étroits et à court terme existent très souvent en tension ou en conflit avec l’intérêt à long terme pour l’unité partagé par toutes les sections du peuple.

La tâche des communistes consiste à faire évoluer ces contradictions vers leur résolution dans l’unité révolutionnaire du prolétariat. Nous ne pouvons pas utiliser la simple présence de ces tensions comme prétexte pour abdiquer notre responsabilité de gagner ces sections de la classe ouvrière — ou pire, déclarer la révolution impossible. Cela serait comme dire que l’on ne peut pas gravir une colline parce que le terrain est en pente.

L’importance des syndicats

Il est utile ici d’exposer clairement et simplement les raisons pour lesquelles nous pensons que les syndicats sont une forme et un lieu de lutte importants pour la révolution prolétarienne. Les mises en garde, les réserves et les développements en aval de ces points fondamentaux suivent tous dans le texte ci-dessous.

Il y a une tendance historique à ce que les prolétaires s’associent dans des organisations pour restreindre ou arrêter la production par une action collective comme moyen de faire avancer leurs intérêts économiques. Ils ont raison de le faire. Cette perspective fondamentale d’intérêts divergents ou contradictoires entre eux et les capitalistes qui les exploitent immédiatement, ainsi que les organisations stables qui donnent une expression concrète à cette collectivité, constituent un bon point de départ pour les communistes lorsqu’ils commencent à travailler au sein du prolétariat.

Les syndicats peuvent être un lieu où les travailleurs affinent leur compréhension de leurs intérêts collectifs et parviennent à comprendre les intérêts qu’ils partagent avec d’autres travailleurs de la même industrie ou même de la classe dans son ensemble. Ils peuvent également acquérir les compétences pratiques nécessaires pour défendre ces intérêts. Les syndicats sont généralement l’organisation la plus démocratique dans la vie d’un travailleur, ce qui lui donne l’occasion d’acquérir les compétences de la vie collective, même si c’est de manière limitée.

Lorsque les luttes économiques s’intensifient, elles dressent les forces du capital contre le syndicat et offrent aux communistes des moments de formation pour développer la conscience des travailleurs dans la lutte. Elles permettent également à ces travailleurs de porter des coups à « leurs propres » capitalistes et, en fonction de l’industrie et de leur force d’organisation, au capital dans son ensemble.

Ainsi, quelles que soient leurs formes, leurs forces et leurs faiblesses, les syndicats sont un lieu où les communistes doivent intervenir pour gagner les travailleurs à des niveaux plus élevés de conscience politique et d’organisation pratique, jusqu’à ce qu’ils soient capables de dépasser leurs luttes économiques étroites et d’utiliser leurs syndicats pour mener les luttes politiques du prolétariat dans son ensemble.

En tant qu’organisation qui existe au point de production ou de circulation, un syndicat peut mettre cette conscience en action en arrêtant la production, soit pour poursuivre les intérêts économiques des travailleurs, soit, à un niveau plus élevé, pour poursuivre des objectifs politiques.

Après avoir exposé la forme abstraite et idéale de notre position, nous devons aussi faire face à la façon dont la réalité a déformé cet idéal et nous attaquer à ce que cela signifie pour notre pratique à la lumière des leçons de l’histoire et de l’analyse concrète du présent. C’est pourquoi nous allons maintenant nous intéresser à la principale force qui a mal façonné et mal orienté les syndicats canadiens contemporains: l’État bourgeois.

Le régime juridique

Quelles que soient les adaptations particulières que la bourgeoisie fait au niveau provincial, les objectifs du régime des relations de travail sont de préserver la production et la croissance économique à long terme et d’empêcher les luttes sur le lieu de travail de déborder et de menacer la « stabilité sociale » (cela implique des restrictions visant à limiter l’ampleur et les tactiques des luttes syndicales, et à maintenir les luttes syndicales aussi étroitement que possible centrées sur les revendications économiques). Compte tenu de l’équilibre des forces en présence, il est plus avantageux pour la classe dirigeante de légaliser et de réglementer étroitement les luttes syndicales que de les pousser hors des limites de la légalité, car cela transforme chaque lutte syndicale économique en une lutte politique potentiellement explosive, plaçant l’État en nette opposition avec les intérêts économiques fondamentaux des travailleurs.

Presque tous les pays industrialisés fonctionnent dans ce cadre de base, même si les détails varient considérablement. Au Canada, les syndicats sont largement légaux et constituent même des institutions sociales respectables, mais uniquement dans la mesure où ils acceptent certaines des limitations les plus strictes de leur pouvoir réel dans le monde industrialisé. Les « grèves » sont définies de manière extrêmement large comme étant essentiellement toute activité coordonnée12 visant à entraver la production (y compris le travail à la règle, les ralentissements, l’utilisation de masse d’arrêts de travail pour cause de maladie, etc.) et sont intrinsèquement illégales en l’absence de syndicat légalement reconnu. Les grèves légales sont généralement soumises à un long processus de négociation et de médiation obligatoires qui doivent être menées de bonne foi (comme déterminé, en Ontario par exemple, par la Commission du travail de l’État) avant d’être autorisées, et non pendant la durée d’une convention collective. Les piquets de grève « durs », qui bloquent physiquement l’entrée et la sortie d’un site de travail, sont généralement illégaux et, dans la plupart des juridictions, les employeurs sont autorisés à embaucher des briseurs de grève. Un seul syndicat peut représenter les travailleurs d’une unité donnée (l’unité étant soumise à l’accord du syndicat et de l’employeur ou, à défaut, déterminée par l’État). La loi laisse très peu de marge de manœuvre et d’échappatoires aux militants syndicaux.

Lorsque les droits des travailleurs ou des syndicats sont violés, les plaintes passent par les commissions provinciales du travail et impliquent généralement une procédure longue et coûteuse. Prenons l’exemple d’une entreprise qui menace illégalement ses employés lors d’une campagne d’accréditation (ce qu’elle fait toujours) ce qui fait perdre de peu le vote d’accréditation. Le syndicat peut déposer une plainte pour « pratique déloyale de travail » auprès de la Commission du travail. En supposant que l’élan de la campagne ne s’éteigne pas pendant que la procédure juridique s’éternise pendant des mois, voire des années, les recours offerts par la Commission du travail dans tous les cas sauf les plus extrêmes sont essentiellement insignifiants pour nos objectifs13. Dans ces rares cas extrêmes, elle peut ordonner le retour des salariés licenciés illégalement pour avoir organisé un syndicat ou même accorder une accréditation unilatérale au syndicat, mais là encore, ces cas sont extrêmement rares. Le plus souvent, les violations avérées entraînent des peines d’amende minimes ou obligent l’entreprise à reconnaître publiquement sa faute dans une lettre affichée sur le lieu de travail. L’objectif de ce processus est, comme indiqué plus haut, de briser l’élan de la campagne en détournant les ressources et l’attention de la source du pouvoir des travailleurs: la mobilisation de l’atelier et l’action sur le lieu de travail. Trop souvent, les compagnies parviennent à ce but. Tout cela signifie que, même dans le cadre des restrictions imposées aux syndicats, le système est biaisé en notre défaveur. Nous ne pouvons pas compter sur le système pour nous sauver, et il fera plus souvent partie du camp ennemi.

Nous devrons transcender les limites imposées aux syndicats par l’appareil étatique des relations du travail. Ceci est une condition préalable essentielle à toute grève politique, même la plus élémentaire, puisqu’elle est, par définition, illégale. Il s’agit également d’un élément nécessaire à la construction d’une solidarité de classe, étant donné que les grèves de solidarité, les boycottages secondaires et les clauses de « hot goods »14 sont tous interdits. Même les grèves économiques restreintes s’accompagnent de la menace d’un travail légal de briseurs de grève et d’une législation de retour au travail, et donc si nous prévoyons de réussir ces grèves, nous devrons également être capables de violer systématiquement le droit du travail. Un plan et une intention dans ce sens intéresseront les plus avancés de ceux qui sont encore confinés dans la conscience syndicale, car même eux souffrent de ces restrictions (et pourraient avoir une certaine connaissance des tactiques efficaces utilisées historiquement par le mouvement syndical qui sont maintenant proscrites) et aspirent à une restauration de ce pouvoir.

Reconnaître la nécessité de faire tout ça n’est pas la même chose que d’avoir la capacité de le faire, et nous serions stupides de prétendre que la seule chose qui manque est notre propre volonté de le faire. La construction d’un mouvement syndical capable de défier de manière prolongée l’État sera un long processus de création d’organisations durables et de travail idéologique patient parmi les masses de travailleurs, ponctué par des moments opportuns de soulèvement.

À mesure que nous gagnerons en force, nous voudrons commencer à mener des combats et à employer des méthodes qui transgressent les limites acceptables des tactiques syndicales et du « bon sens » syndical. Nous ne sommes pas encore arrivés à ce stade pour la plupart, mais nous devrions toujours avoir à l’esprit, en tant qu’organisateurs, la nécessité d’y arriver concrètement.

La ligne syndicale

Pour développer une ligne correcte sur la manière dont les communistes doivent se comporter avec les syndicats, nous devons considérer nos objectifs stratégiques, les conditions objectives dans lesquelles nous nous trouvons et les facteurs subjectifs que nous pouvons apporter à la situation. Notre objectif stratégique actuel est de renverser le capitalisme et d’établir le socialisme. Pour ce faire, nous devrons être en mesure de diriger le prolétariat en exerçant un contrôle conscient et coordonné sur la production. Nous devrons être capables d’attaquer l’ennemi en arrêtant la production et de la maintenir lorsque la classe ouvrière sera aux commandes. Pour cela, nous devrons avoir des leaders profondément intégrés parmi les travailleurs des industries stratégiques. Cela se construit au fil du temps par le biais d’une lutte commune sur ces lieux de travail avec des cadres coude à coude avec les travailleurs. Cela nous amène à la question des syndicats — comment se comporter avec eux, comment les utiliser à des fins révolutionnaires et comment traiter leurs limites.

Une maxime de l’organisation syndicale est que lorsqu’un syndicat devient suffisamment menaçant, les leaders commencent à se faire licencier. Pour maintenir un syndicat dans le temps, il faut soit former de nouveaux leaders pour les remplacer, soit annuler les licenciements par un moyen ou un autre. La formation de nouveaux leaders prend du temps et s’appuie sur une réserve limitée et épuisable de travailleurs-dirigeants potentiels. Ultimement, pour construire et soutenir un syndicat puissant, il faut trouver un moyen d’annuler les licenciements et de récupérer l’emploi des travailleurs-dirigeants.

Dans l’idéal, lorsque les dirigeants sont licenciés, les autres travailleurs lâchent leurs outils et arrêtent la production jusqu’à ce que les propriétaires cèdent. Cela implique un niveau extrêmement élevé d’organisation et de militantisme dans l’atelier qui, dans les conditions actuelles, prend des années à atteindre l’échelle requise pour menacer la production dans les industries stratégiques à grande échelle. D’une part, c’est illégal, et dans les industries stratégiques cela entraînerait une répression de l’État à laquelle le syndicat ne pourrait peut-être pas résister. D’autre part, il y a une longue période entre le moment où une organisation dépasse les tactiques secrètes et clandestines et le moment où elle est capable d’arrêter la production à volonté, et pendant cette période, les dirigeants — et par extension toute l’organisation — sont vulnérables à la répression par le licenciement, ou pire encore. Cela nous amène à la nécessité de mettre en place des protections alternatives entre-temps, à savoir la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage prévue par une convention collective. L’accréditation d’un syndicat légal et l’obtention d’une convention collective avec des concessions disciplinaires, même minimales (exigence d’un motif de licenciement selon des règles clairement définies, d’une norme de preuve et d’une discipline progressive), ainsi qu’une procédure de règlement des griefs (qui, au Canada, se termine ultimement par un arbitrage exécutoire par une tierce partie mutuellement acceptée) est un pont tactique évident et nécessaire pour fournir des protections pendant que nous continuons à construire le pouvoir nécessaire pour employer des tactiques plus directes.

C’est ultimement une fantaisie d’imaginer qu’on pourrait construire des organisations dans des industries stratégiques à grande échelle qui seront capables d’arrêter la production de façon à ce que les dirigeants et les militants puissent être protégés des représailles sans avoir l’accréditation comme arrêt tactique sur le chemin. Cela n’est réellement possible que dans les petits lieux de travail, en particulier dans les secteurs non stratégiques où les tactiques illégales n’attireraient pas l’attention de l’État. Il nous faut une stratégie qui fonctionnera dans les mines et les usines, et pas seulement dans les cafés. Il faudra toujours repousser les limites de ce qui est possible dans le cadre légal, contourner ces limites quand c’est possible, et nous préparer à le violer systématiquement au moment opportun — et éventuellement de faire cela systématiquement de telle sorte que le cadre juridique qui existe devient inapplicable en pratique. Mais ce n’est pas du tout pareil que d’agir comme si cela était à l’ordre du jour immédiat.

L’une des dernières fois au Canada où le cadre juridique des relations de travail a été rompu de manière significative et s’est avéré inapplicable, était lors de la grève générale du Front commun au Québec en avril 1972. Avec une participation de plus de 300 000 travailleurs, elle constitue l’une des plus grandes grèves générales de l’histoire de l’Amérique du Nord.

La question de savoir si cela devrait se faire en tant qu’affiliés d’un syndicat plus grand et établi ou avec un nouveau syndicat « indépendant » (vraisemblablement dirigé par le Parti et ses alliés depuis le début) est une question distincte. Traiter les vieux débats sur le « syndicalisme double » versus « creuser de l’intérieur » comme étant des principes absolus est une erreur idéaliste15. Il y a beaucoup de désavantages à opérer en dehors (et par conséquent, contre) les syndicats établis qui regroupent la grande majorité des travailleurs syndiqués. Cela dit, ces désavantages sont parfois moindre que les désavantages de travailler en leur sein. Rien n’est plus facile que d’adopter une position absolue sur une question tactique et de la tenir à tout moment et en toutes circonstances, mais nous ne pouvons pas abandonner la responsabilité d’analyser concrètement la situation concrète.

Les avantages objectifs des syndicats établis — plus de ressources et de densité dans les industries cibles — perdent de leur importance relative à mesure que l’hypothétique syndicat « indépendant » se développe. Ils amènent également avec eux des appareils entiers de bureaucrates à temps partiel et à temps plein qui ont, au minimum, fait la paix avec les restrictions imposées à la classe ouvrière par l’appareil des relations de travail et leur rôle dans l’application de ces restrictions (et qui, de manière réaliste, l’ont pleinement accepté — nous y reviendrons plus tard) et qui chercheront à s’opposer et à saper nos tentatives de construction d’un mouvement syndical de masse, combatif, « classe-contre-classe ».

Tout cela dit, nous ne sommes pas en position de force pour commencer à provoquer l’hostilité des forces moyennes potentielles. Il n’y a pas de moyen plus sûr de s’enliser dans la défense contre le maraudage et les ententes secrètes entre les patrons et les syndicats jaunes que de créer un syndicat indépendant. Nous sommes chanceux quand on gagne des combats sur un seul front; insister pour que chaque combat soit mené sur deux fronts nous condamnerait.

En essayant d’accroître notre influence au sein des syndicats existants, nous nous retrouverons souvent, probablement, face à l’opposition des bureaucrates. Poursuivre un syndicalisme « indépendant » à ce stade signifie que nous serons opposés aux bureaucrates « jaunes » à chaque fois, certainement, et avec beaucoup moins d’occasions d’arranger les choses et d’aller de l’avant avec notre travail intact. Plus important encore, dans la mesure où ces bureaucrates dirigent effectivement leurs membres, nous nous opposerons à ces travailleurs et à leurs syndicats, sapant ainsi les tentatives de les rallier à notre leadership politique. Nos efforts pour gagner la confiance de ces travailleurs seront beaucoup plus efficaces s’ils sont déployés au sein de ces syndicats pour attirer davantage de membres de la base dans l’action, faire campagne pour la démocratie syndicale et le militantisme, et montrer que nous sommes les combattants les plus engagés et les plus capables de lutter pour la classe.

Il se peut qu’un jour les circonstances fassent du syndicalisme indépendant ou de quelque chose s’y approchant la meilleure voie à suivre, et nous ne voyons aucune raison de fermer définitivement cette voie tactique à partir de ce point de vue préliminaire, mais pour au moins l’avenir prévisible, ce n’est pas viable (et beaucoup moins avantageux) ni pratiquement ni politiquement. Ce n’est d’ailleurs pas possible: les centrales syndicales indépendantes ont besoin de milliers, ou de manière plus réaliste, de dizaines de milliers de membres, y compris des sections syndicales établies lors de leur création, pour avoir une quelconque capacité pratique ou légitimité. Et même dans une telle situation, nous aurons toujours besoin de forces à l’intérieur des syndicats jaunes pour défendre nos positions, faire obstacle aux attaques contre nous et essayer de construire une unité d’action entre les centres jaunes et rouges. Commencer par former notre propre centrale syndicale indépendante ou rouge exclurait une telle possibilité.

Nous devrons donc consacrer la grande majorité de nos forces impliquées dans le travail syndical à l’organisation avec et à l’intérieur des « syndicats jaunes » légaux, et cela ne changera probablement pas bientôt16. Mais cela s’accompagne de ses propres défis, et nous devons être lucides quant à leur nature. L’État, une fois de plus, joue un rôle central dans la définition de ces défis.

Depuis le début du syndicalisme légal au Canada au cours des années 1870, l’État a tenté d’utiliser la légalisation afin de limiter la portée et le pouvoir des syndicats d’exercer le pouvoir et d’avancer les intérêts des travailleurs. L’État a également toujours utilisé la légalisation comme moyen de s’insérer dans les conflits de travail comme force médiatrice et comme limitant de la combativité. Cette tradition continue actuellement, avec un système labyrinthique de règles imposées aux syndicats, des limitations sur les actions qu’ils peuvent entreprendre et sur les raisons de ces actions, et la menace toujours présente des lois spéciales de retour au travail — le tout étant appliqué sous la menace d’amendes et de peines de prison, de la saisie des biens et de la décertification unilatérale. Des générations de dirigeants syndicaux ont, à quelques exceptions près remarquables et héroïques, accepté ces limites et les ont renforcées par la pratique, de sorte qu’elles constituent aujourd’hui des normes conventionnelles de bon sens au sein de la plupart des syndicats. Les syndicats sont donc pris en compte par et, dans une certaine mesure, intégrés au régime de contre-révolution préventive.

Les capitalistes, aussi, ont appris comment utiliser les syndicats dans de nombreux cas pour limiter ou même saper la combativité sur le plancher. Les cycles prévisibles des conventions et le « droit de gérance » permettent aux entreprises de stocker des marchandises avant les grèves. Les délégués syndicaux sont légalement tenus d’empêcher et/ou arrêter toute action ouvrière non autorisée par leurs membres et donc d’agir comme une force de modération et de stabilisation de la force de travail. Ce rôle de modérateur s’étend également au traitement des griefs en essence et dans la forme. Les conflits au sein de l’atelier, au lieu d’être une question de ce que les travailleurs toléreront et de ce qu’ils sont assez puissants pour contester avec succès, deviennent une question légaliste de déterminer si un article donné de la convention collective a été techniquement transgressé. Les griefs sont résolus d’une manière également légaliste. Les « grèves sauvages » des années 1930 sont remplacées par un processus long et difficile de médiation et d’arbitrage, ou le rôle d’exécution est finalement délégué à l’État et non aux travailleurs et à leur syndicat.

Au niveau politique, les dirigeants syndicaux au Canada anglais sont intégrés structurellement au Nouveau parti démocratique (NPD), qu’ils soutiennent idéologiquement. Ils n’ont rompu avec le parti temporairement que rarement et seulement au niveau provincial après des trahisons scandaleuses, et ils sont toujours revenus au bercail après quelques années. Au Québec, une relation similaire existe entre les dirigeants syndicaux et le Parti Québécois (pour la vieille garde) et Québec Solidaire (pour la relève). Les positions des dirigeants syndicaux sont ultimement soutenues par le prélèvement des cotisations imposé par l’État, et par conséquent, il y a une tendance à l’aliénation de leurs membres. Beaucoup sont donc plus intéressés par le maintien de bonnes relations avec l’employeur que par la participation de masse des travailleurs qu’ils représentent. En effet, cette participation massive peut constituer une menace pour leur carrière — non seulement parce que la participation de masse produit de nouveaux leaders qui rivalisent avec les bureaucrates en place pour obtenir des postes, mais aussi parce que l’augmentation des attentes des travailleurs place ces bureaucrates dans la position inconfortable de devoir répondre de leurs propres échecs. Les dirigeants syndicaux ne sont en aucun cas un monolithe et, bien qu’il y ait de nombreuses exceptions, ils seront souvent la première ligne d’opposition aux initiatives visant à soutenir la combativité des travailleurs.

Le modèle « atelier fermé » imposé par la formule Rand au Canada17 renforce ce problème en forçant tous les travailleurs, des plus militants aux plus conservateurs, à se regrouper dans une structure démocratique commune. Cela maintient les dirigeants toujours en position d’être vulnérable aux contestations réactionnaires (invariablement soutenues par les patrons ou les syndicats rivaux) s’ils dépassent trop la ligne de conduite.

Aucun de ces défis ne contredit la nécessité de développer des syndicats forts avec une direction révolutionnaire dans les industries stratégiques si nous voulons conquérir le pouvoir. Donc, aucun de ces défis ne remet en cause la nécessité pour les communistes de naviguer dans cet environnement, de construire ces syndicats et d’établir cette direction. Cela sera difficile, et nous devrons le faire avec intelligence.

La chose difficile, mais nécessaire est d’avancer une stratégie cohérente en utilisant toutes les tactiques disponibles et de choisir des tactiques spécifiques en fonction de leur capacité à faire avancer cette stratégie. Mais pourquoi se limiter à travailler avec les syndicats légaux? Pourquoi ne pas le faire là où c’est nécessaire, mais aussi travailler simultanément à la construction d’organisations ouvrières indépendantes? Ne pouvons-nous pas « mâcher de la gomme en marchant »?

C’est plus facile à dire qu’à faire. Sera-t-il un jour logique pour le Parti de demander à certains de ses organisateurs de construire des structures syndicales complètement en dehors de l’appareil syndical jaune existant? C’est possible. Cela s’est déjà produit. Est-ce que c’est la meilleure solution pour nous, aujourd’hui, avec notre nombre limité d’organisateurs et notre base de soutien limitée au sein du prolétariat? Non, cela nous reléguerait en marge du mouvement syndical et de la classe ouvrière, comme ce fut le cas chaque fois qu’on a tenté de le faire dans l’histoire récente. Pour « mâcher de la gomme en marchant », il faut non seulement des pieds et une bouche, mais aussi un système nerveux central sophistiqué relié à des muscles et des os durables. Le mouvement révolutionnaire actuel n’est tout simplement pas assez développé pour cela.

Un parti d’avant-garde révolutionnaire fonctionnant grâce au centralisme démocratique est un outil indispensable à cet égard. Toutes les lois, normes et incitations de l’appareil des relations de travail18 nous éloignent de la construction d’un pouvoir substantiel et de l’utilisation de ce pouvoir à des fins politiques. Ces organisateurs auront besoin du leadership du Parti et du soutien idéologique et politique fourni par les Organisations de masse politiques ouvrières (voir plus loin) pour maintenir leur indépendance vis-à-vis ces forces puissantes qui les poussent à l’opportunisme. Les organisateurs syndicaux du Parti, en particulier les leaders dans ce domaine de travail, devront être disciplinés dans l’exécution d’un plan central pour faire la révolution et comprendre leur rôle dans ce plan. Remplacer cela par un agrégat d’évaluations subjectives individuelles par nos organisateurs syndicaux — une sorte d’ultra-démocratie par omission — nous condamnera.

Nous proposons donc qu’au stade actuel de notre développement et dans les conditions objectives qui sont les nôtres, que nous travaillions au sein des syndicats existants et que nous maintenions notre indépendance politique par le biais d’Organisations de masse politiques ouvrières et du parti d’avant-garde révolutionnaire. Concrètement, cela signifie :

  • organiser de nouveaux syndicats dans les industries stratégiques;
  • organiser les travailleurs des syndicats existants pour qu’ils adoptent une perspective de masse, militante et à caractère classe-contre-classe, et les amener à l’action politique et à l’implication dans le mouvement de masse;
  • renforcer l’influence et la direction politique au sein des sections syndicales existantes, y compris obtenir des postes de direction dans ces sections, afin de mener les syndicats vers la lutte politique; et
  • faire avancer l’utilisation de grèves politiques par les syndicats pour défendre les intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble.

Déviations de ligne sur les syndicats

Il est important d’illustrer notre ligne syndicale non seulement par une déclaration de principe et d’intention, mais aussi par un contraste avec les autres tendances dominantes du mouvement syndical. Nous aborderons ici certaines d’entre elles, tout en soulignant la manière dont les révolutionnaires devraient les approcher.

Ce que nous avons produit ici n’est pas une taxonomie complète des différents courants et tendances du mouvement ouvrier. Bien que cela vaille la peine que quelqu’un le fasse à un moment donné, ce n’est pas assez important à ce stade pour justifier la quantité de travail que cela nécessiterait. En effet, pour que certaines de ces tendances révèlent leur véritable nature, elles devraient être confrontées à la pratique d’une ligne syndicale révolutionnaire — après tout, pour connaître le goût d’une poire, il faut la manger.

Sur le « syndicalisme révolutionnaire »

Bien que le syndicalisme révolutionnaire soit relativement petit et faible à l’heure actuelle, il exerce une influence considérable sur de nombreux organisateurs qui reconnaissent les limites du syndicalisme (y compris les militants progressistes et gauchistes qui sont favorables au mouvement syndical, mais qui n’y sont pas actifs) et il mérite donc une attention particulière.

Le syndicalisme révolutionnaire n’est pas une théorie unique et cohérente, mais une vaste catégorie qui comprend un certain nombre de tendances. En général, il se caractérise par l’accent mis sur19:

  • le contrôle des syndicats par les travailleurs plutôt que par les dirigeants ou les employés syndicaux en place;
  • la suspicion ou le refus pur et simple des employés syndicaux;
  • la combativité tactique comme question de principe;
  • l’organisation de tous les travailleurs indépendamment de leur type d’emploi ou de leur statut juridique;
  • la suprématie de la lutte économique comme moyen de libération (jusqu’au rejet total de la lutte politique par les travailleurs);
  • l’évitement, la suspicion et le refus de l’appareil étatique de relations du travail et des principaux syndicats; et
  • l’« autogestion » des travailleurs en tant que voie stratégique et objectif ultime.

Les exemples historiques les plus pertinents du syndicalisme révolutionnaire au Canada sont les Industrial Workers of the World (IWW) et le One Big Union (OBU). Aujourd’hui, cette perspective est principalement représentée par les IWW contemporains20, bien qu’elle ait également fortement influencé les initiatives syndicales du Parti Révolutionnaire Ouvrier21 et du PCR-RCP « pancanadien ».

Les critiques que cette tradition adresse à l’appareil des relations du travail et à l’opportunisme d’une grande partie de la direction du mouvement syndical existant ont une certaine valeur. En effet, ce n’est pas une coïncidence si bon nombre des premiers membres des partis communistes du Canada et des États-Unis étaient d’anciens organisateurs des syndicats prônant le syndicalisme révolutionnaire. Malheureusement, cette perspective n’a pas été à la hauteur des tâches qu’elle s’était donnée, et l’élaboration d’une ligne ouvrière révolutionnaire efficace exige que nous en examinions les raisons22.

L’échec principal du syndicalisme révolutionnaire est qu’il commence par élever la tactique au rang de principe. En effet, il n’a pas de stratégie cohérente pour passer du présent à son objectif. Par conséquent, il est incapable d’utiliser un large éventail de tactiques, en les évaluant en fonction de leur capacité à faire avancer ce plan stratégique plus large. Les tactiques sont donc évaluées, au mieux, selon des critères incohérents (généralement alimentés par une paranoïa de la cooptation) ou au pire, comme de simples catégories morales. Les concessions et les compromis tactiques sont donc traités comme équivalents aux compromis et aux trahisons stratégiques23. Quelques exemples illustreront notre propos.

Comme nous l’avons exposé dans ce document, il n’y a pas de voie entre aujourd’hui et la conquête du pouvoir qui nous permettrait d’éviter que nous nous organisions et travaillions au sein des syndicats traditionnels, du moins pour l’instant. Cela implique un grand nombre de compromis tactiques et nous expose à de nombreux défis et pièges potentiels (y compris, nous ne le nierons pas, le risque de cooptation). Si, au lieu d’essayer de trouver un moyen de naviguer avec succès dans cet environnement, nous l’évitions complètement comme le font les syndicalistes révolutionnaires, nous exclurions totalement la possibilité d’une victoire. Nous serions incapables de construire le pouvoir dans les grands lieux de travail stratégiques. Nous serions confinés à de petits milieux de travail dans des secteurs tertiaires (les seuls endroits où ces méthodes ont été couronnées de succès dans l’histoire récente) et, au maximum absolu de notre succès, nous serions pratiquement écrasés (économiquement et militairement) par le capital et l’État bourgeois, car ils contrôleraient toujours les leviers critiques de la production.

Le même principe s’applique au personnel chargé à temps plein de travail d’organisation. La quantité de temps, d’efforts, de réflexion et d’attention nécessaires pour créer et maintenir un syndicat durable sur un grand lieu de travail (en particulier dans des conditions de répression) dépasse tout simplement les moyens de personnes travaillant à temps plein dans la production sur le long terme. Cela ne veut pas dire que le personnel doit être exempté des contrôles démocratiques, qu’il doit être investi d’un pouvoir de décision démesuré ou même qu’il ne risque pas de développer des intérêts et des perspectives contraires à ceux des travailleurs. Il s’agit là de préoccupations réelles, et notre responsabilité est de trouver un moyen de les résoudre24, car l’alternative — refuser tout simplement d’avoir des organisateurs et du personnel à temps plein, ou même simplement minimiser leur utilisation — revient en fait à abdiquer notre responsabilité d’organiser des syndicats dans ces grands sites industriels stratégiques.

Nous le constatons à nouveau dans les débats sur le « conventionnisme25 ». Même en dehors des grands lieux de travail stratégiques, il y a manifestement des situations où la meilleure solution pour un groupe de travailleurs est d’accepter une convention collective, y compris une convention comportant une clause de non-grève (comme c’est légalement requis au Canada). Ce n’est peut-être pas la solution idéale, mais c’est peut-être la meilleure des options réalistes et disponibles pour un certain nombre de raisons (par exemple, l’alternative peut être la défaite totale du syndicat et l’éparpillement de ses membres aux quatre vents). Cela peut aussi être une erreur. Il incombe au mouvement et à ses dirigeants d’évaluer la situation concrète et de trouver la meilleure voie à suivre, plutôt que d’abdiquer cette responsabilité en se réfugiant dans des déclarations de principe simplistes.

Leçons historiques du syndicalisme révolutionnaire

L’expérience historique du syndicalisme révolutionnaire en Amérique du Nord est mitigée. Elle a connu des moments héroïques, comme la grève générale de Winnipeg en 1919, menée par des syndicalistes révolutionnaires. Le syndicalisme révolutionnaire a été la principale force qui organisait les travailleurs industriels non qualifiés ainsi que les travailleuses, les travailleurs immigrants et les travailleurs noirs à une époque où la plupart des syndicats traditionnels refusaient de le faire. C’est le syndicalisme révolutionnaire qui a donné l’impulsion nécessaire pour que les principaux syndicats commencent à s’organiser sur une base industrielle plutôt que sur une base de métier (il existe en effet un lien vivant entre le syndicalisme révolutionnaire et les communistes qui ont mené avec succès une campagne en faveur de la fusion sur une base industrielle au sein des principaux syndicats, et qui ont ensuite formé le CIO et fait de l’organisation industrielle la norme en Amérique du Nord). Le syndicalisme révolutionnaire a été le premier à formuler de nombreuses critiques à l’encontre du mouvement syndical dominant et de ses dirigeants (leur collaboration de classe et leur chauvinisme national en particulier) qui continuent d’informer les révolutionnaires jusqu’à aujourd’hui.

Tout ceci étant dit, il y a une raison pour laquelle il a finalement échoué historiquement, et encore plus de raisons pour lesquelles il continue d’échouer aujourd’hui.

Nous pouvons attribuer le succès de l’IWW (et dans une moindre mesure de l’OBU) dans les années 1910 à trois facteurs principaux. Premièrement, le refus des syndicats traditionnels d’organiser les travailleurs non qualifiés, les travailleurs immigrants, les travailleuses et les travailleurs noirs a fourni une base matérielle sur laquelle ces syndicats ont pu s’appuyer et l’espace politique nécessaire à leur fonctionnement. Deuxièmement, sans l’exemple de la révolution bolchévique comme modèle de prise de pouvoir et sans un parti communiste promouvant la même chose, les défauts du syndicalisme révolutionnaire n’étaient pas encore apparents (ou du moins ils n’étaient pas des questions réglées) et il pouvait donc encore attirer les combattants de classe les plus militants. Troisièmement, le syndicalisme industriel, en tant que principe d’organisation, était mieux adapté à la lutte contre les capitalistes dans les usines industrielles de plus en plus grandes et déqualifiées que le syndicalisme basé sur le métier proposé par l’AFL/CMTC, et il pouvait donc opérer dans les grandes usines avec un net avantage concurrentiel par rapport aux syndicats basés sur le métier. Dès que ces trois facteurs ont cessé d’exister, le besoin historique de ces syndicats a également disparu et, par conséquent, ils n’ont jamais été en mesure d’atteindre quoi que ce soit qui se rapproche de leur gloire passée26.

Le syndicalisme révolutionnaire ne veut pas développer tout le pouvoir (c’est-à-dire économique, politique et militaire) du prolétariat et tout ce que cela implique en matière de formes d’organisation et de forme de la société après la défaite des capitalistes (le parti, une armée populaire professionnelle régulière, l’État prolétarien et la suppression de la contre-révolution). Les syndicalistes révolutionnaires sont donc contraints d’élaborer une stratégie révolutionnaire qui ne contient rien de tout cela et les résultats sont généralement un mélange de quasi-pacifisme et de vœux pieux. Prenons, par exemple, le commentaire souvent cité de « Big Bill » Haywood de l’époque où il était un organisateur de l’IWW: « Si les travailleurs sont organisés… tout ce qu’ils ont à faire, c’est de mettre leurs mains dans leurs poches et ils auront battu la classe capitaliste »27.

Réfléchissez un instant à cette déclaration. Réfléchissez-y à la lumière du siècle de guerres et de massacres perpétrés contre des travailleurs incapables de se défendre militairement depuis que ces mots ont été prononcés, de Berlin à Jakarta. Devons-nous vraiment nous contenter de « mettre nos mains dans nos poches »? Bien sûr que non. Pour croire à cette affirmation, il faut une pensée fantaisiste selon laquelle l’ensemble de la classe ouvrière, plus l’armée professionnelle de l’État capitaliste sont organisées mur à mur de manière à ce que les massacres ne soient pas perpétrés, que les colonnes de police n’escortent pas des briseurs de grève (ou des soldats!) dans des installations de production de guerre essentielles, et que les impérialistes étrangers ne fassent pas la même chose. La classe dirigeante ne laisserait jamais les choses en arriver là sans intervenir de toutes ses forces bien avant.

Haywood n’était pas le seul à commettre cette erreur; elle est caractéristique du syndicalisme révolutionnaire. Nous ne sommes pas les premiers à faire ce constat. En 1935, Alexandr Lozovsky critiquait l’anarcho-syndicaliste français Georges Sorel pour cette même erreur : « rejetant l’État et la nécessité de la dictature du prolétariat, Sorel en vint à rejeter le soulèvement armé; à la place du soulèvement, il appela à la grève avec les « bras croisés28 ». »

Considérons également la stratégie révolutionnaire (en réalité, un slogan et non une stratégie) si populaire au sein des IWW contemporains: « Construisez la grève générale! ». Cette stratégie a également des racines plus profondes dans le syndicalisme révolutionnaire. Pour citer à nouveau Sorel, « La théorie de la catastrophe… est absolument compatible avec la grève générale qui, pour les syndicalistes révolutionnaires, marque l’avènement de la société future » [notre emphase]29.

Les grèves générales sont excellentes en tant qu’interventions tactiques avant, pendant ou même précipitant une situation révolutionnaire. Elles ne peuvent cependant pas se substituer à une guerre réussie contre l’État capitaliste. Des civils avec, tout au plus, un entraînement minimal de milice aux opérations défensives30 sont incapables de vaincre une armée disciplinée de soldats réguliers ou de policiers militarisés et de tenir un territoire pendant très longtemps. C’était vrai en 1919 et ça l’est encore plus aujourd’hui. Il faut au minimum une entité militaire professionnelle et un centre politique (c’est-à-dire un parti) pour la diriger. Toute autre solution est suicidaire.

Le régime de contre-révolution préventive s’est continuellement adapté depuis l’apogée des IWW et de l’OBU, et les méthodes qu’ils utilisaient pour organiser de grands syndicats stratégiquement placés sont effectivement mortes à notre époque. Nous ne sommes plus en 1911. Le modèle d’« atelier fermé » imposé par l’État est une réalité et l’action syndicale non sanctionnée est un motif de licenciement et d’action en justice31 qu’aucun d’entre nous n’est en mesure d’encaisser à l’heure actuelle. Telles sont les conditions objectives dans lesquelles nous nous organisons, et notre stratégie doit être adaptée en conséquence.

Bien que nous soyons en désaccord avec leurs perspectives au niveau stratégique et politique, nous partageons beaucoup de points communs avec les syndicalistes révolutionnaires, et de nombreux organisateurs contemporains issus de cette tradition sont plus énergiques, plus dévoués, plus compétents et plus perspicaces que même de nombreux « syndicalistes » progressistes32. Les syndicalistes révolutionnaires ont une confiance inébranlable dans l’intelligence et l’énergie que les masses de travailleurs sont capables d’exercer, si elles sont correctement organisées, et ils sont fermement attachés à la démocratie de la base. Nous aurons souvent des raisons de nous allier avec eux et, dans la mesure du possible, nous devrions entreprendre une lutte fraternelle pour les gagner à notre ligne, qui est plus complète politiquement et mieux adaptée pour vaincre réellement la bourgeoisie, conquérir le pouvoir politique et, finalement, « abolir le système des salaires ».

Sur le « syndicalisme »

Face à l’erreur de l’ultragauche « syndicaliste révolutionnaire », il y a son pendant conservateur: le « syndicalisme »33. Il existe des ailes « gauche » (ou « progressiste ») et « droite » (ou « conservatrice ») avec des différences correspondantes dans la stratégie et le style d’organisation, dont certaines seront traitées séparément plus loin. Pour l’instant, nous nous concentrerons sur les similitudes entre les ailes gauche et droite du « syndicalisme ».

D’une manière générale, le « syndicalisme » se caractérise par une acceptation sans failles du système capitaliste comme étant essentiellement permanent. La révolution et le socialisme sont, pour les « syndicalistes », soit impossibles, soit carrément indésirables. Comme l’a montré Lénine dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, cette erreur essentielle et générale est le point de départ à partir duquel les opportunistes inventent toute leur perspective stratégique, ce qui donne lieu à d’autres erreurs lorsqu’ils la mettent en pratique. Dans le cas des « syndicalistes », cela se manifeste souvent par une combinaison des éléments suivants :

  • l’acceptation d’un rôle étroit pour les syndicats, qui se limitent à négocier les conditions de vente de la force de travail;
  • la concession du contrôle de la production à la direction et l’acceptation du capitalisme comme permanent plutôt que de lutter pour le surmonter;
  • le respect des limites légales imposées aux tactiques syndicales (interdiction des « piquets durs » et des grèves de solidarité, clauses de non-grève, etc.) et, de plus, une foi réelle en la légitimité de l’État;
  • le désamorçage du militantisme des travailleurs en détournant la colère de l’action sur le terrain de l’atelier et en l’orientant vers des stratégies légalistes et électorales labyrinthiques34;
  • la négligence de l’organisation des travailleurs non syndiqués en syndicats puissants35; et
  • l’emphase mise sur les intérêts sectoriels étroits de leurs membres plutôt que sur la classe dans son ensemble.

Il devrait être évident à première vue que cette perspective n’est pas adaptée pour construire l’unité de classe et le militantisme nécessaires pour mener des grèves politiques, et encore moins des grèves révolutionnaires. Ce n’est pas une surprise, car ce n’est pas l’objectif du « syndicalisme36 ». Cependant — et c’est d’un grand intérêt pour les révolutionnaires — le « syndicalisme » en Amérique du Nord a également été un échec en soi.

Le « syndicalisme », en particulier ses courants les plus conservateurs et bureaucratiques, perd une guerre défensive depuis plus d’un demi-siècle. Sa domination sur le mouvement syndical en Amérique du Nord est incontestée et nous pouvons donc le juger à l’aune de ses résultats. Selon toute mesure objective, le « syndicalisme » mène le mouvement ouvrier à l’obscurité et à la défaite.

Les perspectives syndicales erronées décrites ci-dessus peuvent en fait aggraver la contradiction entre les dirigeants syndicaux et leurs membres. Dans ce cadre, ce sont d’abord les dirigeants syndicaux qui disent aux travailleurs qu’ils doivent accepter la défaite sous quelque forme que ce soit — stagnation des salaires, accélération du rythme de travail, provocations de la part de la direction. Plutôt que d’orienter la colère des travailleurs vers des efforts susceptibles de surmonter les limites imposées à leur pouvoir par le système de contrôle du travail, les « syndicalistes » conservateurs développent un mépris à l’égard des travailleurs ou tentent peut-être de les recruter pour une campagne électorale sans issue.

Malgré tout, les « syndicalistes » sont généralement le visage du syndicat pour les travailleurs et même des « services » de base (traitement des griefs, négociations, etc.) leur
permettant de gagner en sympathie, en influence et en leadership parmi les travailleurs au fil du temps. Malgré tous ses échecs et ses défauts, le syndicat est souvent l’institution la plus démocratique dans la vie d’une personne. C’est également la seule organisation légalement tenue de les « représenter équitablement », de défendre leurs intérêts en tant que travailleurs, même s’il ne le fait pas de manière satisfaisante. Pour de nombreux travailleurs, y compris pour beaucoup des dirigeants officiels et non officiels que nous devrons convaincre, cela revêt une importance considérable. Ils considèrent que la loyauté envers leurs dirigeants et la défense de leur syndicat sont une seule et même chose. Dans de nombreuses circonstances, gagner de l’influence dans des syndicats dirigés par des « syndicalistes » conservateurs exige donc de la patience, du tact, de la diplomatie et la volonté de « faire ses preuves » auprès des travailleurs en tant que combattant compétent et dévoué à la défense de leurs intérêts. Se contenter de mener une campagne d’opposition pour dénoncer les bureaucrates se soldera par un échec ou, au mieux, par l’enracinement d’un puissant bloc d’opposition conservateur au sein de votre section locale.

En règle générale, les forces avancées d’un milieu de travail syndiqué s’engagent dans le syndicat. Cela implique au moins une croyance nominale en des solutions collectives plutôt qu’individuelles aux problèmes du lieu de travail, un engagement en faveur des intérêts des travailleurs « en tant que travailleurs » par opposition à la direction, et une volonté de travailler pour améliorer la vie d’autrui. Malgré cela, il est possible de trouver des éléments potentiellement avancés dans un milieu de travail parmi ceux qui n’ont rien à voir avec leur syndicat, voire qui le détestent activement, lorsque nous les rencontrons pour la première fois, ainsi que parmi ceux qui sont déjà des militants syndicaux. Les avantages et les inconvénients du « syndicalisme » font que les deux se produisent naturellement dans le cadre de la politique incohérente et idiosyncratique développée par une classe sans direction révolutionnaire.

À leur mérite, les « syndicalistes » progressistes essayeront de canaliser la colère des travailleurs vers des luttes dans les limites du système existant, tentant même parfois d’organiser une participation de masse à ces efforts — bien qu’ils soient presque toujours orientés vers la négociation économique avec leur employeur et rien d’autre37. Cette différence nous concerne en tant que révolutionnaires et il y a parfois suffisamment de points communs avec ces progressistes, au moins au niveau tactique, pour que nous puissions essayer de construire des alliances avec eux38.

Nous devons amener ces progressistes avec nous jusqu’où ils sont prêts à aller, mais nous devons également veiller à ne pas liquider notre capacité d’action indépendante. Historiquement, les progressistes syndicaux se sont diversement alliés et opposés aux révolutionnaires, l’exemple le plus spectaculaire étant la fondation du Congress of Industrial Organizations aux côtés des communistes américains (et plus tard canadiens), pour ensuite les expulser du même syndicat quelques années plus tard39.

Il y a des militants, des dirigeants et des permanents syndicaux qui veulent dépasser la ligne erronée du « syndicalisme », mais qui, pour une raison ou une autre, sont incapables de sortir des limites imposées par ce mode de pensée et son application dans leurs syndicats et dans l’ensemble de l’appareil des relations du travail. Ils sont d’accord avec chacune de nos critiques du mouvement syndical existant et peuvent même se qualifier de « socialistes » ou de « révolutionnaires », mais s’ils sont laissés à eux-mêmes, ils passeront des carrières entières à commettre les mêmes erreurs que celles que nous critiquons. Pour certaines personnes sincèrement bien intentionnées travaillant au sein des syndicats, les principaux obstacles résident dans le fait que, jusqu’à présent, il n’y a pas eu de ligne révolutionnaire sur le mouvement syndical ni de mouvement guidé par cette ligne pour « poser la question » de manière significative. En fin de compte, c’est nous, révolutionnaires, qui sommes responsables de cet échec40. Encore une fois, en l’absence d’un parti proposant une politique révolutionnaire jusqu’à très récemment, nous ne pouvons que nous attendre à ce que la conscience syndicale l’ait emporté.

Nos organisateurs doivent maîtriser l’art et la science du travail de front uni avec les forces progressistes au sein du mouvement syndical, et avec toutes les forces possibles du mouvement syndical contre le capital. Nous devons nous situer quelque part entre « front uni sans compromis » et « front uni à tout prix » — deux absolus faciles, mais inutiles.

Organisation et intervention

Après avoir exposé notre compréhension générale du mouvement ouvrier et de sa situation dans le cadre d’une stratégie révolutionnaire globale, il est nécessaire de définir les formes spécifiques que devraient prendre nos interventions. Étant donné l’état général de désorganisation parmi les communistes, les militants syndicaux et, par conséquent, la classe ouvrière dans son ensemble, la majeure partie de ce travail consistera à créer de nouvelles organisations ou à renforcer celles qui existent déjà. Nous les présentons ici en partant de celles qui ont les bases de soutien les plus larges jusqu’à celles qui sont les plus spécifiques.

Organiser des syndicats

Lorsque nous parlons de travailler « au sein des syndicats », nous ne voulons évidemment pas dire que notre seule façon de le faire est d’aller chercher des emplois dans des endroits où il y a déjà des syndicats. Nous devons également « organiser les désorganisés » en grand nombre. Parmi les industries stratégiques identifiées ci-dessus, seules trois (la santé, l’éducation et les services publics) ont même une mince majorité de travailleurs syndiqués. Dans la plupart des autres secteurs, le taux se situe entre 20 et 40 %, et dans l’agriculture, il est inférieur à 4 %41. D’une manière ou d’une autre, cette situation devra changer si nous voulons réellement vaincre le capital.

Bien entendu, lorsque nous disons « organiser des syndicats », nous ne nous contentons pas de gagner une campagne de certification. Nous voulons organiser des syndicats démocratiques et combatifs qui permettent aux travailleurs de renforcer leur pouvoir sur le lieu de travail et, en fin de compte, dans l’ensemble de la société. Cela signifie qu’il faut utiliser des stratégies qui reposent sur la participation de masse des travailleurs, sur une vision fondamentale de classe-contre-classe et sur une détermination militante face à l’ennemi. Pour bien faire, il faudra combiner des méthodes d’organisation appropriées pendant la campagne, un choix judicieux de l’affiliation syndicale et le maintien de structures de comités démocratiques après l’accréditation. C’est beaucoup de travail et nous devrons faire preuve d’intelligence.

Une grève récente en Ontario qui présentait le potentiel d’une plus grande participation au sein du milieu ouvrier a été la grève de courte durée de 55 000 travailleurs de l’éducation du SCFP en novembre 2022, qui a défié la loi spéciale du gouvernement de l’Ontario. Cette grève a entraîné la fermeture d’écoles et a obligé de nombreux parents à s’absenter du travail pour s’occuper des enfants, une sorte de grève secondaire involontaire et variable. Si les travailleurs de l’éducation avaient poursuivi leur grève la semaine suivante et que les travailleurs de Metrolinx avaient débrayé en même temps, comme ils étaient en mesure de le faire, la région du Grand Toronto aurait été partiellement figée. C’est de ce genre d’effet de levier que sont faites les victoires politiques.

L’organisation syndicale communiste est similaire, dans ses mécanismes, à ce que pratiquent la plupart des « syndicalistes » progressistes et des syndicalistes révolutionnaires — en fait, les uns et les autres retracent souvent explicitement l’origine de leurs méthodes d’organisation au Congrès des organisations industrielles (CIO) pour les légitimer. Il s’agit essentiellement d’un processus d’identification des leaders sociaux organiques et de leur recrutement au sein d’un comité capable de diriger l’ensemble du lieu de travail. Cette vue d’ensemble comprend un certain nombre de compétences et de stratégies qui ne sont pas souvent présentes spontanément chez les personnes désireuses de devenir des organisateurs syndicaux, mais qui peuvent absolument être enseignées42. Bien que les personnes qui ne sont pas de bons organisateurs aient un rôle à jouer, un corps solide d’organisateurs syndicaux compétents et expérimentés doit constituer l’épine dorsale de nos efforts syndicaux. Cela signifie que la plupart des organisateurs devront également être des enseignants et des mentors pour chaque nouvelle génération de nouveaux organisateurs. Les organisateurs doivent être des multiplicateurs de force.

L’organisation d’un grand milieu de travail industriel demande du temps, des efforts et des ressources. Les militants qui vont se faire embaucher dans un milieu de travail cible pour l’organiser sont une force indispensable dans ces combats43. Le contact quotidien et le partage des charges entre ces militants et leurs collègues leur permettent de nouer des liens solides avec les travailleurs, d’identifier avec précision leurs dirigeants, d’aider au recrutement pour la campagne syndicale et de donner de la crédibilité aux idées les plus avancées qui sont émises au cours de la lutte. Il n’y a peut-être pas de meilleure formation pour les militants communistes en ce qui concerne la discipline et les compétences de base en matière d’organisation que d’aller « salter » pendant deux ans avant de s’implanter dans le milieu de travail nouvellement organisé — ni de meilleur moyen pour les communistes de s’enraciner et de construire une base de soutien au sein du prolétariat.

Toutefois, de tels militants ne suffisent pas à assurer le succès d’une campagne syndicale dans un grand milieu de travail. Il existe des limites strictes à la taille de la structure qu’une personne peut diriger pendant une longue période tout en travaillant à temps plein à la production. Un très bon dirigeant peut y parvenir avec une cinquantaine de travailleurs (sept sous-chefs, chacun dirigeant son propre groupe d’environ sept travailleurs). Au-delà, il n’y a tout simplement pas assez d’heures dans une semaine pour maintenir le « travail d’arrière-plan » nécessaire (réunions individuelles, traitement de l’information et planification, suivi des tâches) pour soutenir et développer une telle structure. Les choses sont négligées et les gens abandonnent. Tout cela sans tenir compte des problèmes d’emploi du temps posés par le fait que l’organisateur et les travailleurs qu’il dirige doivent consacrer plus de 40 heures par semaine à leur travail44.

À un certain stade, il est inévitable de faire appel à des organisateurs externes à temps plein. Vous avez besoin de personnes qui sont essentiellement disponibles 24 heures sur 24 (avec des voitures!) pour distribuer de la propagande, recruter des travailleurs et les guider dans les détails quotidiens de la campagne, réfléchir aux problèmes stratégiques de la campagne, assurer l’interface avec l’appareil syndical qui effectuera les dépôts nécessaires, etc. C’est beaucoup de travail et il faut le faire. Cela met aussi ces organisateurs en position d’exercer une influence démesurée sur la campagne et de la diriger en fonction de leurs propres intérêts plutôt que de ceux des travailleurs eux-mêmes ou de l’entraîner sur une voie « syndicaliste » erronée. Les communistes doivent donc être équipés pour lutter avec les organisateurs à temps plein et gagner les travailleurs à nos positions sur toute une série de questions, notamment:

  • le recours à l’action des travailleurs pour lutter contre la répression patronale plutôt que de se retrancher dans le processus interminable et démobilisateur des plaintes en justice;
  • l’escalade tactique plutôt que la capitulation;
  • la démocratie au sein des structures de la campagne d’organisation, dans les limites imposées par une phase secrète prolongée; et
  • l’engagement à mener la lutte jusqu’à la victoire plutôt que de « filer » lorsque les défis de la campagne font que l’analyse coût-bénéfice du syndicat se retourne contre la lutte.

Une fois qu’une section syndicale est certifiée et qu’elle dispose de sa propre structure de direction démocratique, nous devrons également nous préparer à débattre de ces questions (et d’autres décrites dans le présent document) avec divers membres du personnel et représentants de l’appareil syndical dans son ensemble. Rien de tout cela ne sera facile ou amusant, mais ce n’en est pas moins nécessaire et nous devons nous préparer à lutter intelligemment.

Bien que nous rejetions la théorie selon laquelle l’« aristocratie ouvrière » comprend une grande partie de la classe ouvrière au Canada qui est si matériellement investie dans l’impérialisme et son butin qu’elle ne peut qu’être un obstacle à la révolution, cela ne nous empêche pas de reconnaître que la classe ouvrière est stratifiée et qu’il existe une base matérielle pour le conservatisme parmi les couches supérieures — en particulier en l’absence de révolutionnaires pour les organiser autour d’une solution alternative. C’est le cas depuis longtemps dans les couches qualifiées, diplômées et mieux rémunérées du prolétariat. Il se trouve que ce sont également les sections les plus densément syndiquées du prolétariat, et l’opportunisme qui guide presque tous les syndicats aujourd’hui consolide cet opportunisme parmi eux.

Cela rend encore plus urgente la tâche d’organiser les travailleurs non syndiqués. L’afflux de travailleurs bruts, mal payés, forgés dans le feu des luttes d’accréditation et cherchant à obtenir des améliorations de leurs conditions de travail désastreuses, sera essentiel pour changer l’équilibre des forces au sein des syndicats. Dirigés par des communistes, ces travailleurs peuvent constituer une force de transformation de ces syndicats. Gagner des luttes d’accréditation peut également donner aux dirigeants communistes l’occasion de faire leurs preuves au sein du mouvement syndical, cette démonstration de sérieux et de compétence servant de base à l’établissement d’une influence. Bien entendu, nous ne nous contentons pas d’organiser des syndicats pour le simple but d’en avoir. Nous les organisons pour exercer le pouvoir.

Faire la grève

Un moyen important par lequel le prolétariat exerce son pouvoir est par son contrôle de la production. L’exercice du pouvoir par le contrôle de la production signifie deux choses: produire lorsque la production est organisée dans l’intérêt du prolétariat, et arrêter la production lorsqu’elle est organisée dans l’intérêt du capital. Le premier cas peut se produire dans une mesure limitée avant que le prolétariat ne s’empare du pouvoir d’État (par exemple, en détournant les ressources des entreprises capitalistes vers les forces révolutionnaires), après quoi il deviendra la norme. En attendant, le prolétariat exerce son pouvoir économique pour poursuivre des objectifs d’abord économiques, puis politiques, et enfin révolutionnaires, en arrêtant la production — en faisant la grève.

Les grèves remplissent plusieurs fonctions importantes, au-delà de leur utilisation comme arme par les travailleurs pour obtenir des concessions. Les grèves opposent clairement les forces des travailleurs à l’ensemble de l’appareil économique et politique de la bourgeoisie — c’est-à-dire la direction ainsi que les médias bourgeois, la police et les politiciens — et montrent ainsi aux travailleurs qu’il existe une division claire entre eux et leurs ennemis. Les grèves démontrent aux travailleurs un certain degré de pouvoir qu’ils peuvent exercer collectivement, leur inculquant ainsi un sens de la collectivité et la confiance nécessaire pour aller de l’avant dans la poursuite d’objectifs plus ambitieux. Le maintien d’une grève nécessite la création et la coordination d’appareils auxiliaires/reproductifs, logistiques et même d’appareils coercitifs limités, qui servent d’organes fonctionnels limités du pouvoir des travailleurs.

Les tactiques de grève efficaces font également appel à des forces extérieures au milieu de travail en grève — en fait, il s’agit d’une composante essentielle non seulement des grèves politiques, mais même des simples grèves économiques où des piquets de grève de masse qui arrêtent la production doivent être maintenus pendant des semaines, voire des mois, face à la répression de l’État. Cela nécessite un travail politique plus large (par exemple, de la part d’une Organisation de masse politique ouvrière) à la fois pour jeter les bases de cette mobilisation et pour la mener à terme le moment venu. Cela aussi permettra de mettre en évidence les amis et les ennemis et fournira une vérification matérielle de notre agitation en faveur d’une perspective classe-contre-classe parmi les travailleurs.

L’une des grèves de l’histoire canadienne qui illustre le rôle des forces auxiliaires dans les actions de grève est la grève des travailleurs de la mine, de l’usine et de la fonderie de Kirkland Lake en 1941. Cette image montre un piquet de grève de 2 milles de long organisé par le Ladies’ Auxiliary par un temps de -40°C, comme le veut la légende.

Tous ces éléments contribuent à créer des conditions objectives favorables au développement d’une conscience de classe révolutionnaire. La conversion de ce potentiel de développement de la conscience révolutionnaire en une réalité dépend de l’intervention efficace du facteur subjectif — les révolutionnaires — et de leur capacité à gagner le leadership idéologique et politique parmi ces travailleurs.

S’il est faux de dire que c’est toujours une bonne idée de faire la grève, la grève a bien une valeur inhérente pour nous en tant que communistes. L’une de nos tâches en tant que communistes est donc de créer les conditions pour que la grève soit avantageuse. Chaque négociation de convention collective est une occasion de pousser les contradictions entre les travailleurs et le capital à leur paroxysme. En outre, la préparation à la grève est une capacité qui doit être maintenue par l’usage: la meilleure façon de s’assurer que l’on ne sera pas prêt à faire la grève, c’est de ne pas faire la grève.

L’objectif ultime et à long terme de notre ligne syndicale est que le prolétariat utilise sa puissance économique pour mener des grèves révolutionnaires, c’est-à-dire des grèves visant spécifiquement à provoquer des situations révolutionnaires et à affaiblir matériellement la bourgeoisie afin de faciliter sa défaite face aux forces révolutionnaires. On est encore loin de là, mais on peut aspirer à une étape significative qui verrait le prolétariat utiliser son pouvoir économique pour atteindre des objectifs politiques — en d’autres termes, des grèves politiques. Celles-ci sont illégales au Canada, alors pour que les ouvriers puissent en arriver là, il nous faudra mener un travail massif, à long terme, coordonné stratégiquement à travers plusieurs régions et plusieurs industries, et avec un appareil de propagande robuste45.

Les grèves politiques entraîneront des ouvriers non organisés dans la vie politique, comme ils verront que ces grèves défendent leurs intérêts, les poussant ainsi à s’assurer de leur succès. Les ouvriers se verront aussi obligés de mettre au clair leurs priorités politiques. Cela crée une dialectique avec le Parti, lui permettant de récolter de l’information sur les intérêts de la classe et lui fournissant l’occasion d’exercer son leadership politique. Dans le meilleur des cas, les grèves politiques peuvent apporter des concessions qui feront changer matériellement le rapport des forces en faveur du prolétariat.

Dans toutes les situations, nos décisions tactiques sont soumises à l’impératif de nos visées stratégiques: bâtir le pouvoir de la classe ouvrière, surtout les travailleurs industriels; d’implanter le Parti dans ce secteur et y développer son leadership; et entraîner les prolétaires industriels au sein du Parti afin d’utiliser leur pouvoir économique comme une arme dans la guerre pour renverser le système capitaliste et le remplacer par la dictature du prolétariat.

Quoi qu’il en soit des faiblesses du premier mouvement de construction du parti, il est indéniable que son intervention au sein du mouvement ouvrier est allée beaucoup plus loin que tout ce que nous avons pu voir depuis, et une bonne parti des principes qui ont guidé les révolutionnaires actifs dans le mouvement ouvrier conservent leur validité (ou du moins constituent un bon point de départ), surtout au niveau des tactiques. Le Syndicalisme américain de William Z. Foster46 rassemble ses écrits sur le sujet pendant plus de deux décennies, représentant une sorte de capsule temporelle qui nous fournit les principes tactiques suivants:

  • la classe ouvrière tire son pouvoir de son nombre et de sa capacité à arrêter la production;
  • l’usage de ce pouvoir se doit d’être un processus véritablement démocratique et participatif pour les ouvriers;
  • les ouvriers doivent s’appuyer sur leur propre pouvoir (et non celui de l’État, des patrons, etc.) pour faire avancer leurs intérêts;
    • l’organisation efficace des ouvriers leur procure un courage, une endurance et une créativité décuplée.

Lorsque ces principes seront mis en pratique régulièrement par le mouvement ouvrier, ils devront revêtir les traits suivants:

  • Toute décision ayant trait aux grèves doit relever des ouvriers eux-mêmes, plutôt que d’agents intermédiaires. Ceci comprend le déclenchement et la fin des grèves, ainsi que le processus de négociation avant et après la grève4748.
  • Il faut éviter à tout prix l’arbitrage, ou sinon clore les négociations sur le plus de questions possible avant de l’utiliser, car ce processus est biaisé contre les travailleurs, et de par sa nature il écarte les ouvriers, et le pouvoir qu’ils peuvent exercer, du combat49.
  • Le respect des termes de la convention est une lutte de tous les instants. Les employeurs « signent des contrats quand ils le doivent, et ils les violent quand ils peuvent50 ».
  • Les syndicats industriels doivent essayer d’obtenir des ententes au niveau national, qui couvrent toute l’industrie. Cela empêcherait ainsi les employeurs de déplacer leurs opérations dans des régions moins chères, tout en englobant une plus grande partie de la classe en démarquant clairement l’opposition entre ouvriers et capitalistes, tout en appelant à des réponses politiques plus globalement.
  • Les syndicats qui opèrent au sein d’un même employeur ou d’un même secteur industriel doivent essayer de synchroniser les dates d’expirations de leurs conventions.
  • Les conventions doivent être courtes (pas plus de deux ans)51.
  • Les grèves doivent reposer sur une décision majoritaire démocratique, plutôt que sur des actions minoritaires non autorisées5253.

Les Organisations de masse politiques ouvrières et les caucus

Les grèves politiques ne se produisent pas dans le vide. Pour qu’une grève illégale menée autour d’une demande politique puisse avoir la moindre chance de gagner, cette demande doit jouir d’une base de soutien importante parmi la classe ouvrière dans son ensemble, cette classe a besoin de moyens organisationnels pour se mobiliser en support à cette grève, et en fait, ils ont besoin de voir la grève comme une extension de leur propre lutte. Nous ne pouvons pas échapper à la répression par des moyens légaux, et encore moins par des moyens militaires (du moins, pour un bon bout de temps). Notre seule défense est l’appui du peuple.

Notre travail syndical se focalise sur les ouvriers des industries stratégiques et liées à la reproduction quotidienne de la société capitaliste, mais notre programme politique défend l’intérêt de la classe ouvrière dans son ensemble. La construction d’Organisations de masse politiques ouvrières (OMPOs) nous permet de joindre ces deux volets, en organisant les « ouvriers en tant qu’ouvriers ». Les conditions du prolétariat se dégradent rapidement, alors ces OMPOs ont l’embarras du choix pour des enjeux à organiser: le contrôle des loyers, de meilleurs services sociaux, des réformes aux lois du travail55, etc. À mesure que le mouvement s’agrandit et que les OMPOs se propagent, elles pourront s’attaquer à une plus grande variété d’enjeux56.

Sur les lieux de travail, nous propagerons l’idée qu’il est insuffisant de faire la grève pour des questions purement économiques. En dehors des lieux de travail, nous propagerons l’idée qu’il est inutile d’avoir des demandes politiques sans être prêts à faire la grève pour les défendre.

Les luttes politiques ont besoin du pouvoir des travailleurs, mais les travailleurs ont aussi besoin du pouvoir politique. Les fermetures d’usines, comme celle de l’usine de porc d’Olymel à Vallée-Jonction, au Québec, qui a été fermée en 2023 et a supprimé plus de 1 000 emplois, peuvent être stoppées lorsque les travailleurs peuvent agir en tant que force politique indépendante.

Pour ce qui est du caucus54, il doit quant à lui permettre d’organiser les ouvriers avancés sur un lieu de travail pour influencer le syndicat, présenter des équipes de candidats au leadership, et faire des actions en dehors des instances officielles lorsque c’est approprié (par exemple en organisant une grève sauvage)57. Le niveau d’unité politique approprié devrait généralement refléter les objectifs à moyen terme de notre mouvement ouvrier; la démocratie à la base; la perspective classe-contre-classe, ainsi que la nécessité pour la classe ouvrière d’avoir recours aux grèves pour exercer son pouvoir politique58. Un caucus se doit d’être composé de membres de la base, de même que des représentants syndicaux, des membres de comités et des agents qui défendent la perspective du caucus. Le caucus doit comporter sa propre structure interne démocratique et une division des tâches entre les membres cotisants, et il devrait idéalement être organisé selon des démarcations industrielles plutôt que des démarcations entre syndicats.

Les caucus peuvent avoir une utilité même si les membres du parti ne sont pas à la tête de l’appareil syndical. La raison d’être du caucus tel que nous le concevons consiste à : influencer l’appareil syndical de diverses manières; à établir une base d’appui pour la démocratie à la base et à la combativité classe-contre-classe; et pour mener des actions indépendantes de l’appareil syndical. Ils servent à appuyer les leaders syndicaux combatifs dans la poursuite de leur programme, et à maintenir une pression démocratique sur les leaders qui pourraient être tentés par la capitulation. Ils servent également à poursuivre la lutte de classe indépendamment des changements au niveau de l’appareil de relations de travail. Par exemple, si l’on venait à déchirer la formule Rand et à ré-établir les « ateliers ouverts », les caucus seraient alors le fondement des nouveaux syndicats « post-Rand ».

Même dans un contexte où les membres du parti et les activistes de masse sous leur leadership jouiraient du contrôle total des postes organisationnels du syndicat, les principes de l’atelier fermé et de la cotisation obligatoire signifient que nous sommes liés organisationnellement, et même redevables démocratiquement, aux éléments les plus conservateurs parmi les ouvriers. Cela incite les militants radicaux à se rapprocher du centre pour éviter une révolte réactionnaire au sein du membership, tout en amenant le besoin d’un contrepoids efficace contre ces forces conservatrices. Le caucus peut remplir ces deux fonctions, en autant qu’il compte sur un membership actif qui dépasse le leadership élu.

Un caucus ne peut pas se résumer à une équipe de candidats pour le leadership. Il peut former ou donner son appui à une équipe, mais afin d’être réellement efficace, il doit recruter un membership actif plus élargi. Son travail doit comprendre la production de matériel d’agitation et d’éducation, l’établissement d’alliances avec des forces progressistes et révolutionnaires en dehors du lieu de travail, et la conversion de leaders organiques au programme du caucus. Il doit aussi produire sa propre propagande et faire des interventions en son nom au sein du syndicat59.

Bien que les caucus auront tendance à prendre forme dans des lieux de travail spécifiques, il faudra s’efforcer de les étendre à travers leurs industries au complet — soit en réunissant différents caucus présents dans un même secteur industriel et en les initiant via des ouvriers organisés à l’extérieur des lieux de travail, au sein des OMPOs. Cela nous mènera éventuellement à pouvoir coordonner des actions couvrant plusieurs syndicats au sein d’une même industrie, et à faire des interventions significatives dans le monde ouvrier.

Le caucus est le lien organisationnel vivant entre les OMPOs et les ouvriers dans l’atelier. C’est lui qui s’appropriera les demandes des OMPOs, pour les transmettre dans les ateliers et propager leurs revendications de manière générale. Dans des contextes suffisamment avancés, les caucus pourront même s’affilier ouvertement aux OMPOs et en constituer l’aile ouvrière.

Cellules d’atelier

La cellule d’atelier est une unité organisationnelle du Parti qui réunit les membres présents sur un même lieu de travail, et qui sera au besoin davantage subdivisée au niveau du département ou de l’équipe de travail. Elle est responsable de planifier les interventions du Parti sur ce lieu de travail et dans le syndicat, et constitue le premier organe envers lequel ces membres sont redevables. La cellule n’est pas un organe indépendant, mais plutôt une partie d’une branche plus large. Elle n’est pas non plus nécessairement la seule unité du Parti à être impliquée dans une lutte de travail, car des responsabilités auxiliaires telles que la propagande peuvent être déléguées par la branche à d’autres cellules. Elle est néanmoins l’organe auquel les membres du Parti impliqués directement dans une telle lutte doivent appartenir (y compris, dépendamment des circonstances, des organisateurs externes). La présence de la fraction du Parti est vitale au développement de notre travail.

Il n’y a tout simplement rien qui peut se substituer au fait d’avoir des camarades qui voient les choses de la même manière pour travailler sur le même projet immédiat. Le fait de pouvoir « baisser sa garde » au niveau politique et parler ouvertement de perspectives de recrutement et de pouvoir explorer les possibilités les plus avancées sur divers enjeux contribue énormément à la synthèse d’une ligne juste qui peut être ramenée aux ouvriers de l’atelier. Nous avons besoin d’un espace où parler ouvertement de tactiques, de slogans et de plans à long terme qui dépassent notre capacité actuelle à mener les gens. Sans cela, le risque est trop grand de glisser dans un subjectivisme conservateur ou aventuriste. Il faut prendre garde également à ne pas soulever de tels sujets avec des personnes qui ne sont pas prêtes à en parler, car cela peut miner notre leadership et notre crédibilité dans l’atelier. Voilà tout le bénéfice d’avoir une cellule d’atelier à notre disposition.

La présence d’une cellule d’atelier rend également le parti plus pertinent et accessible aux ouvriers avancés qui sont prêts à passer à l’étape du parti. Elle minimise la tension qui pourrait être perçue entre contribuer du temps, de l’énergie et des efforts au Parti versus au syndicat, car les deux se retrouvent unifiés de manière fonctionnelle. Ainsi, les cellules d’atelier aident le Parti à croître au sein du prolétariat industriel, tout en renforçant le contingent prolétaire au sein du Parti.

La cellule d’atelier permet aussi de réduire l’écart entre les décisions prises par les membres et les leaders ouvriers du parti et le plan central de la révolution. Elle contribue à éliminer la subjectivité individuelle dans le choix d’un plan d’action à entreprendre sur un lieu de travail en particulier (qui revient souvent à trancher sur des détails microscopiques qui sont seulement compréhensibles pour les personnes sur la ligne de front) et à instaurer la discipline du plan central chez les organisateurs. Les cellules d’atelier seront les « rouages » avec lesquels le Parti peut influencer, et éventuellement mener, les appareils syndicaux.

Il est donc fondamental, tant au niveau tactique qu’au niveau stratégique de la centralité ouvrière, d’établir ces cellules d’atelier. Il faudra prendre bien soin, cependant, de ne pas planifier le travail du syndicat au niveau de cette cellule. Cela susciterait de la confusion chez les membres de la base, qui sentiraient que des décisions sont prises derrière les coulisses de leurs structures démocratiques formelles. Ce que la cellule doit planifier, ce sont les interventions du Parti dans l’atelier et dans le syndicat.

Dans les cas où il n’est pas encore envisageable de former des cellules d’atelier, on peut d’abord en établir une pour tous les camarades qui sont actifs dans un secteur ou un district industriel donné, par exemple. Leur but serait alors d’établir des cellules d’atelier, et entre-temps, de mener le travail d’organisation ouvrière des membres sous sa juridiction.

Forger une classe ouvrière révolutionnaire

La ligne ouvrière du (N)PCC place la centralité ouvrière au cœur de notre stratégie pour forger une classe révolutionnaire. Notre ligne réaffirme ce que les communistes savaient et mettaient déjà en pratique lors du premier et du deuxième mouvement de construction du parti au Canada: que les travailleurs peuvent exercer un pouvoir insoupçonné à cause de leur rôle dans la production et la circulation, et que ce pouvoir économique doit être mis à profit par le Parti pour réaliser des objectifs politiques révolutionnaires. En menant des combats sur les lieux de travail et en développant la capacité de la classe au sein des cellules d’atelier, des caucus, des syndicats et des Organisations de masse politiques ouvrières, les communistes peuvent mener les ouvriers dans un conflit de classe direct. Nous bâtirons et nous développerons les luttes économiques des travailleurs jusqu’à ce que nous puissions mener des grèves politiques — traitant chaque ligne de piquetage comme un nouveau terrain d’entraînement pour les combattants de la classe et les nouveaux révolutionnaires. Nous devons développer autant ces forces subjectives que les organes objectifs du pouvoir de classe prolétaire afin de préparer la possibilité à long terme pour des grèves révolutionnaires qui pourraient, à un moment donné, faire pencher significativement l’équilibre des forces.

Pour arriver là où nous voulons aller, nous devons réorienter les communistes vers le mouvement ouvrier à nouveau et reprendre le terrain qui a été perdu dans les quarante dernières années. La mise en pratique de cette ligne nous mènera à la confrontation avec l’opportunisme des aristocrates ouvriers — ces bureaucrates employés par les syndicats ou gravitant dans leur orbite qui ont perdu allégeance envers leur classe et qui essayent d’éteindre les éruptions ouvrières alors que les conditions continuent de se dégrader à tous les niveaux. Nous devons également nous exercer à combattre l’opportunisme, autant de droite que de « gauche », à travers la classe ouvrière et pousser les ouvriers avancés à voir la nécessité de la révolution et du communisme. C’est une lutte politique et idéologique qui est nécessaire pour forger une classe combative. Comme il n’y aura pas de raccourcis, mettons-nous à l’ouvrage tout de suite!

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Notes de fin

1 Le prolétariat — ceux qui doivent vendre leur force de travail pour survivre — comprend environ 15 millions de personnes, soit 60 à 65% de la population en âge de travailler au Canada. Environ 4 millions de travailleurs sont employés dans les industries de base que sont les ressources naturelles, la construction, l’industrie manufacturière, le transport et la logistique, et 4 autres millions de travailleurs sont employés dans les industries de reproduction que sont les soins de santé et l’éducation. Trois millions de travailleurs supplémentaires facilitent la circulation du capital dans les secteurs du commerce de détail et des services. Enfin, environ 4 millions de travailleurs occupent des emplois improductifs au service du capital et de la bourgeoisie en tant que travailleurs subalternes dans les institutions financières, les assurances, la publicité, le gouvernement, etc.

2 Ce que nous n’avons pas produit, c’est une analyse exhaustive des lignes syndicales des autres organisations communistes, socialistes et anarchistes, mais nous avons plutôt traité les lignes contestataires en termes généraux, au niveau de leurs perspectives stratégiques sous-jacentes. La première solution n’intéresserait qu’une très petite minorité de personnes et ne déboucherait sur un engagement productif qu’avec une très petite minorité d’entre elles. Cela nous obligerait également à démêler les lignes formelles des autres organisations de leurs lignes opérationnelles et à soumettre ces dernières à un examen critique. Cela nécessiterait une ampleur et une quantité d’investigations que nous ne pouvons tout simplement pas entreprendre sans sacrifier des travaux bien plus urgents et utiles à ce stade. Au lieu de cela, nous avons choisi d’exposer clairement notre propre ligne de conduite et d’inviter à s’y engager, ainsi qu’à une collaboration mesurée et fondée sur des principes, dans la mesure où elle est fructueuse, et à une politique de « bonnes clôtures avec de bons voisins », dans le cas contraire.

3 C’est particulièrement vrai pour les femmes, qui risquent davantage de perdre des jours de travail pour s’occuper de membres de leur famille si les garderies, les écoles, les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée sont hors service.

4 De nombreuses conventions collectives prévoient la possibilité de mettre les travailleurs en congé syndical à temps plein, ce qui pourrait être un moyen utile de renforcer nos capacités et de déployer des organisateurs dans des endroits plus stratégiques.

5 Selon notre Parti, l’aristocratie ouvrière est constituée des bureaucrates syndicaux qui, au sein et à côté des syndicats, sont cooptés par la bourgeoisie. Ils promeuvent des réformes sociales-démocrates et tentent d’accrocher le mouvement ouvrier au NPD dans le Canada anglais et à Québec solidaire ou au Parti québécois, au Québec, muselant ainsi les travailleurs en imposant une paix de classe sans principes. L’aristocratie ouvrière est une très petite minorité de travailleurs occupant des postes de bureaucrates qui exercent une influence considérable sur l’orientation stratégique du mouvement ouvrier. La tâche des communistes est de contester ces bureaucrates, de les chasser du pouvoir et de s’organiser au sein du mouvement syndical pour diluer et dissiper les tendances opportunistes au fur et à mesure qu’elles se manifestent. [Note de l’Équipe d’édition du site web : Dans la version imprimée de cet article, cette note de bas de page apparait à la fin du titre de section se trouvant immédiatement avant ce paragraphe (ce qui est l’emplacement le plus approprié pour celle-ci). Pour des raisons techniques pour cette version en ligne, cette note de bas de page n’a pas pu être associée à un titre de section.]

6 Nous éviterons de parler du second mouvement de construction du parti aux États-Unis, car nous le ferions à partir d’une position d’ignorance relative.

7 La plus-value est la quantité de valeur produite par la force de travail d’un travailleur au-delà du coût de reproduction de cette force de travail. Toute la plus-value est produite par le travailleur, quelle que soit la manière dont elle est répartie. Cela n’implique pas une « exploitation nette » ou du parasitisme dans les cas où une partie de la plus-value revient au travailleur, mais simplement que le travailleur est exploité à un taux inférieur au maximum possible.

8 Par exemple, le ratio dette/revenu des ménages (~181%) et leur ratio du service de la dette (~15,2%) augmentent pas à pas et n’ont jamais été aussi élevés depuis que Statistique Canada a commencé à publier ces données en 1990.

9 Un plus long résumé du travail ouvrier dans le second mouvement de construction du parti est nécessaire et apparaîtra dans des éditions à venir de La Voie Ferrée.

10 kites #8 a un article détaillé sur l’histoire du CPUSA qui souligne bien que cela est l’échec principal du Parti pendant cette période. Voir la bibliographie à la fin de ce document pour les détails de la référence de ce document ainsi que de toutes les autres références citées dans ce texte.

11 Et l’on devrait demander, qu’est-ce que les communistes devront faire quand les travailleurs qu’ils organisent
s’approcheront de ce taux de salaire par le biais des luttes gagnantes?

12 En effet, même « coordonnée » est généralement défini de manière très large afin d’inclure « selon une compréhension commune ».

13 Il faut noter que le taux de réussite des plaintes syndicales au Québec est beaucoup plus haut, mais en général les recours n’atteignent pas ce que nous considérons comme la justice.

14 Les clauses « hot goods » dans les conventions collectives ont été utilisées pour contourner les réglementations de travail visant à prévenir les boycottages ou les actions syndicales pendant la durée d’une convention active. Les syndicats pouvaient invoquer ces clauses pour refuser de franchir un piquet de grève ou de manutentionner des marchandises manufacturées par un autre employeur en conflit de travail actif, pour freiner la sous-traitance de travail qui serait autrement fait en interne, ou pour forcer les employeurs
à traiter seulement avec des sous-traitants syndiqués. Au cours des décennies suivant la Deuxième Guerre mondiale, ces clauses ont été, dans les faits, interdites aux niveaux fédéral et provincial.

15 Même si les révolutionnaires du passé ont traité cette question pompeusement, ils étaient tactiquement flexibles à cet égard. Les communistes au Canada et aux États-Unis ont lutté sans relâche pour une place au Congrès des métiers et du travail du Canada (CMTC) et la Fédération américaine du travail (AFL) et ont surtout rencontré l’échec. Ils ont seulement fait de réels progrès quand ils ont organisé avec le Congrès pancanadien du travail (CPT) et ensuite la Ligue d’unité ouvrière (LUO) établie par le PCC et, aux États-Unis, la Trade Union Unity League, dirigée par le CPUSA. Les Américains en particulier étaient capables de bien utiliser l’opportunité offerte par une scission dans l’AFL et les conditions légales plus favorables pour s’unir avec les syndicalistes progressistes en formant le Congrès des organisations industrielles (CIO). Les camarades canadiens ont connu un certain succès à faire de même avec le Congrès canadien du travail (CCT), mais de manière moins impressionnante. En même temps, ils ont abandonné leur capacité d’agir indépendamment de cet organisme et ont été plus tard vaincus et expulsés par ces mêmes syndicalistes progressistes.

16 Nous ne pouvons pas dire avec certitude à quoi ressemblera le mouvement syndical au Canada après 10 ou 15 ans de nos interventions, et ce serait donc une erreur de déclarer à ce stade si nous chercherons à former une nouvelle centrale syndicale. Pour apprendre le goût d’une poire, il faut la manger. En l’absence d’un mouvement révolutionnaire ayant un contingent dans le mouvement syndical, nous ne pouvons pas savoir comment les forces existantes s’organiseront autour de lui. Peut-être il y aura assez d’espace pour agir et assez de dirigeants favorables pour que nous puissions rester dans les syndicats existants de façon permanente. Peut-être que nous et les quelques sections locales que nous dirigeons serons expulsés et que nous n’aurons pas le choix. L’avenir nous le dira.

17 La formule Rand vient d’une décision de la Cour suprême de 1946 en réponse à la grève Ford à Windsor, en Ontario. Cette formule a déterminé les paramètres de négociation collective et a restreint le pouvoir de combat des syndicats. Elle exige que tous les travailleurs dans un lieu de travail syndiqué soient membres du syndicat, rendant le lieu de travail un « atelier fermé » et elle exige que les travailleurs paient des cotisations syndicales à travers le prélèvement à la source par l’employeur (avec une exemption pour les objecteurs religieux). De plus, elle institutionnalise la pratique de « travailler maintenant, se plaindre plus tard » qui protège l’industrie des actions de travail spontanées, des arrêts de travail et des conséquentes baisses de production en exigeant des travailleurs de continuer leur travail même sous des conditions qui violent leurs droits et leur convention collective. Dans la grande majorité des cas, la seule voie pour contester les conditions injustes est de déposer un grief après que le travail est déjà fait. La formule Rand diminue le potentiel de lutte des travailleurs syndiqués en détournant la lutte des classes vers le système juridique pour qu’elle soit jugée plusieurs mois, voire plusieurs années, plus tard.

18 Joe Burns de Labor Notes nomme judicieusement ceci le système de contrôle du travail.

19 Tout comme les principes généraux inclus ci-dessous dans la section « Sur le « syndicalisme » », cette liste est également générale. Ce ne sont pas tous les syndicalistes révolutionnaires qui adhèrent à chacun de ces points, et certains ne le font que dans une certaine mesure, ou seulement en théorie, mais pas en pratique (ou vice versa).

20 Bien qu’il y ait techniquement une continuité organisationnelle entre l’IWW des années 1910 et celui d’aujourd’hui, il a subi de tels changements dans sa taille, la composition de ses membres, sa structure organisationnelle et ses pratiques qu’il est logique de traiter les deux comme qualitativement distincts. Nous ne sommes pas intéressés par le moment exact où cette transformation s’est produite, mais pour ceux qui veulent étudier la question, il serait bon de commencer par les années 1960, lorsque les « branches d’adhésion générale » ont dépassé les « branches d’emploi » en tant que majorité des membres.

21 Pour ce qu’il valait.

22 Cette section n’a pas pour but d’être une énième critique de l’anarcho-syndicalisme. Cela a été fait de manière adéquate dans le passé, notamment par le PCR-RCP dans son article « Le mythe de l’autogestion ». Nous nous concentrons plutôt sur les distinctions entre le syndicalisme révolutionnaire et les contributions particulières de la ligne articulée dans ce document.

23 Les syndicalistes révolutionnaires sont involontairement encouragés dans cette erreur par le réformisme malhonnête et la collaboration de classe de certains membres de l’aile droite du camp « syndicaliste », qui prétendent avec arrogance que chaque soumission et trahison n’est en fait qu’une brillante manœuvre tactique. Bien que les deux camps soient apparemment opposés, ils ont en commun leur manque de stratégie révolutionnaire et sont donc condamnés à se renforcer l’un l’autre sans jamais vaincre le capitalisme.

24 Un parti capable d’exercer un contrôle centraliste démocratique sur ces permanents contribuera grandement à les maintenir sur le droit chemin, pour autant que le parti lui-même reste révolutionnaire.

25 Il s’agit soit d’une méthode d’organisation des travailleurs qui considère la convention collective comme le point central absolu de toute activité, soit de la simple utilisation de conventions collectives par les syndicats, selon la personne qui utilise le terme.

26 Il est vrai que l’IWW et l’OBU ont été lourdement réprimés pendant la « première Peur Rouge » qui a suivi la fin de la Première Guerre mondiale. Mais la répression est un fait acquis pour les révolutionnaires lorsque les efforts d’organisation atteignent une échelle qui constitue une menace réelle pour la classe dirigeante, et cela ne suffit donc pas à absoudre le syndicalisme révolutionnaire de son échec historique, surtout si l’on considère son incapacité à se relancer de manière substantielle lors de la prochaine vague de militantisme de la classe ouvrière en Amérique du Nord dans les années 1930.

27 Cité sur https://www.historyisaweapon.com/defcon1/haywoodgeneralstrike.html; Il est intéressant de noter que cette citation est tirée de la période de questions et réponses qui a suivi une conférence de Haywood sur la tactique de la grève générale. La question suivante qui lui a été posée comprenait le point suivant: « Par exemple, nous essayons de jeter les patrons dehors; ne pensez-vous pas que les patrons vont riposter? » La réponse de Haywood n’a absolument pas abordé ce point et s’est au contraire réfugiée dans un fantasme pacifiste sur la possibilité de survivre assez longtemps pour que les capitalistes cessent de s’attendre à un retour sur investissement.

28 Lozovsky, A. Marx and the Trade Unions. International Publishers, 1935. 147.

29 Ibid.

30 Et ce niveau de formation et de discipline est l’interprétation la plus généreuse du rôle proposé au « Comité de défense générale » de l’IWW, aujourd’hui disparu.

31 Là encore, le régime des relations du travail au Canada est particulièrement restrictif à cet égard, toute action coordonnée visant à entraver la production constituant une « grève », les « grèves » en l’absence de syndicat agréé étant intrinsèquement illégales, et les conditions et la conduite d’une grève légale faisant l’objet d’un contrôle étroit de la part de l’État.

32 En effet, il existe une tradition désormais bien établie selon laquelle les organisateurs de l’IWW qui ont réussi à s’imposer finissent par obtenir un emploi dans les principaux syndicats et deviennent effectivement des « syndicalistes » progressistes dans la pratique, incapables d’ignorer les limites de leur rôle syndical, mais également frustrés par leur incapacité à surmonter ces limites.

33 Afin de distinguer cette tendance politique et idéologique du concept plus large de syndicalisme, nous avons choisi de mettre ce terme entre guillemets lorsque l’on parle de cette première.

34 Ce point mérite une mise en garde, car il existe parfois de bonnes raisons tactiques de détourner les efforts des travailleurs d’actions impulsives ou vouées à l’échec et de les canaliser vers une stratégie efficace. William Z. Foster a décrit cela comme la partie la plus difficile de la fonction de dirigeant syndical. Mais il y a une différence entre cette subordination de la tactique à la stratégie et le moratoire sur les actions « sauvages » qui prévaut aujourd’hui dans le mouvement syndical au Canada.

35 Certains « syndicalistes » progressistes souscrivent à un modèle d’organisation qui met l’accent sur de nouvelles organisations, mais ce modèle est trop souvent confiné au niveau de la simple croyance et n’est pas mis en pratique. À la place, on se concentre sur le maraudage et le « hot shopping », une tactique misant sur les lieux de travail où les travailleurs sont déjà incités à l’action en raison d’actions flagrantes du patron ou de conditions épouvantables, mais où les travailleurs n’ont pas effectué le travail préparatoire, étape par étape, de constitution d’un comité, d’élaboration d’une liste de contacts et d’éducation suffisante de leurs collègues de travail. La plupart des actions menées dans cette vision de « hot shop » échouent parce que les travailleurs ne sont pas préparés à la lutte, qu’ils risquent d’abandonner lorsque la victoire n’est pas facile à obtenir ou qu’ils ont une idée irréaliste de ce qui est possible et se concentrent sur des tactiques qui condamnent leur action, perdant de vue la stratégie.

36 Débattre des raisons pour lesquelles les « syndicalistes » devraient changer d’avis à ce sujet dépasse le cadre de cet article. Nous partons du principe que si vous lisez ceci, c’est que vous voulez le socialisme.

37 Les « syndicalistes » progressistes ne doivent pas être confondus avec ce que Joe Burns appelle les « libéraux ouvriers », qui ont acquis une certaine notoriété au cours des trois dernières décennies et qui substituent des coups d’éclat et des positions politiques progressistes à une véritable participation de masse et des grèves de production. Ces derniers sont souvent plus conservateurs que les « syndicalistes » bureaucratiques de la vieille école (qui brandissent parfois, lorsqu’on les pousse, l’arme de la grève), et sont essentiellement des loups déguisés en brebis et constituent, à leur manière, une nouvelle force conservatrice au sein du mouvement syndical.

38 La grève de 2023 des United Auto Workers aux États-Unis, la grève de 2022 des travailleurs de l’éducation du SCFP en Ontario et les grèves des enseignants de 2012 à Chicago et de 2019 à Los Angeles ont parfois impliqué des collaborations entre des communistes et des « syndicalistes » progressistes.

39 La présence d’une social-démocratie organisée et anticommuniste a rendu l’histoire du travail révolutionnaire au Canada plus compliquée et moins directe qu’aux États-Unis. Il n’entre donc pas dans le cadre du présent document de démêler l’histoire du Congrès pancanadien du travail et, plus tard, du Congrès canadien du travail, même si ces deux organisations ont parfois collaboré avec des communistes et des « syndicalistes » progressistes.

40 Ces personnes devront donc être l’un des destinataires de notre propagande, et celle-ci devra être d’une nature différente de celle qui s’adresse aux travailleurs. Nous devrons nous engager dans les théories de l’organisation et de la stratégie qui reviennent à la mode dans les « études sur le travail », populariser les méthodes que nous développons par la pratique, et offrir à ces personnes des moyens concrets de transformer leurs efforts — y compris, au début, des moyens de le faire sans risquer leur emploi. Dans la mesure du possible, la mise en place de groupes de lecture avec ces personnes pour étudier la littérature révolutionnaire pertinente ainsi que la littérature syndicale actuelle peut ouvrir un canal de communication sur ces questions.

41 Situation syndicale selon l’industrie, Statistique Canada, 2024. https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=1410013201

42 Jane McAlevey établit une distinction entre les « activistes », qui sont politiquement informés et favorables au syndicat, mais incapables d’inciter d’autres travailleurs à mener une action collective, et les « leaders », qui ne sont généralement pas intéressés par les luttes syndicales, mais qui sont capables d’inciter les travailleurs à agir. Ce modèle se vérifie empiriquement en ce sens qu’il reflète ce qui se produit spontanément dans le monde sans intervention consciente du facteur subjectif et constitue donc un schéma utile lors de l’étude initiale d’un milieu de travail, mais son erreur est de traiter les deux catégories comme des catégories statiques. En réalité, les leaders peuvent être gagnés par la lutte à des lignes politiques définies, et les activistes peuvent être formés aux compétences de direction. Cette dernière activité constituera une part importante de notre travail syndical dans le futur proche, tout comme la première lorsque ce travail se développera.

43 Ces militants sont souvent désignés par le terme anglais de « salts », bien que cela ne rende pas tout à fait compte de leur rôle, car les « salts » sont traditionnellement utilisés de manière temporaire et entrent dans un atelier avec l’intention de le quitter. En revanche, nous pensons qu’une forme d’intégration plus élevée et plus permanente est nécessaire. On parle ici d’établis ou d’implantés.

44 Il serait bien d’imaginer que nous pourrions simplement « former de nouveaux dirigeants » pour reproduire ce processus — et c’est certainement l’un de nos objectifs dans le travail syndical — mais cela nécessite une période d’efforts soutenus et d’attention qualifiée dans les conditions actuelles, au cours de laquelle tout un monde de circonstances interviendra pour faire dérailler l’effort de syndicalisation. Envoyer trop peu d’implantés dans un milieu de travail trop grand sans soutien externe adéquat et s’attendre à ce qu’ils se sortent du problème en recrutant est un vœu pieux qui les laissera se noyer et le milieu de travail non organisé.

45 Ou, comme certains diraient, un Empire médiatique prolétarien.

46 Foster, William Z., American Trade Unionism. (1947). International Publishers, 2020. Malheureusement, nous ne pouvons pas trouver d’équivalent canadien à cette œuvre. S’il en existait un, ce serait une priorité d’étude. Comme pour le reste du mouvement de construction du parti aux États-Unis, l’absence de perspective stratégique de la part de Foster a mené en fin de compte à sa défaite. Notre but ici n’est donc pas de faire son éloge, mais de reconnaître la valeur des perspectives qui étaient, selon nous, justes et qui méritent d’être reproduites, au lieu de réinventer la roue.

47 Ibid, 254.

48 L’ouvrage Rules to Win By de Jane McAlevey comprend des études de cas détaillées de différents modèles de négociation ouverte, dont un exemple d’une délégation élargie pour une négociation sectorielle.

49 Foster, 254.

50 Ibid, 255.

51 Ibid, 256.

52 Ibid, 282.

53 Rien de nouveau ici, tout cela devrait être familier pour quelqu’un qui connaît le travail communiste dans le milieu ouvrier, ou encore le syndicalisme révolutionnaire et le « syndicalisme » progressiste, qui ont tous comme ascendance commune l’IWW via le CIO et le WUL/TUUL.

54 Nous ne cacherons pas que l’on doit beaucoup à l’ouvrage The Rank-and-File Strategy pour tout ce qui a trait aux caucus. S’il existe une nuance entre notre conception du caucus et celle de Moody, c’est que nous préférons mettre l’accent sur la capacité du caucus pour la mobilisation et même l’action sur le milieu de travail, en dehors de l’appareil syndical. Cela nous permet de continuer à mener une action indépendante en cas de répression ou même d’expulsion hors du mouvement syndical; les caucus pourront être mis à profit pour nous défendre et poursuivre la lutte contre les patrons. Nous croyons aussi que la méthode de leadership de la ligne de masse est mieux appropriée pour gagner les gens aux politiques révolutionnaires que le « programme de transition » trotskiste qui imprègne l’ouvrage de Moody, mais c’est un autre sujet. [Note de l’Équipe d’édition du site web : Pour les mêmes raisons que la note de bas de page no5, la note de bas de page no54 a également été déplacée. Elle était liée au titre de la sous-section dans la version imprimée, mais est maintenant liée à la place la plus appropriée dans le texte qui suit. Malheureusement, ceci s’avère être après l’apparition des notes de bas de page no55 et no56, ce qui explique le désordre des numéros de notes de bas de page dans cette section de la version en ligne.]

55 Il y a quelques enjeux prioritaires pour le mouvement syndical qui nécessitent des solutions politiques. Par exemple, les agences de placement temporaire permettent l’échange d’ouvriers d’un lieu de travail à un autre, créant ainsi un bassin d’ouvriers non syndiqués en compétition avec les ouvriers permanents mieux rémunérés. Ces ouvriers sont très difficiles à organiser, étant donné qu’ils se font déplacer constamment par les agences et leurs clients. Il semble que les seules solutions seraient d’organiser l’économie au grand complet, compagnie par compagnie, et de les forcer à renoncer aux embauches temporaires, ou de les bannir — soit, obtenir une concession politique de la bourgeoisie. Pour gagner de telles concessions, qui renforcent la position de la classe ouvrière dans son ensemble, il nous faudra mener des campagnes politiques à travers les OMPOs ainsi que des grèves politiques.

Le mouvement syndical canadien n’a également pas encore su s’attaquer à l’organisation des travailleurs migrants en agriculture, malgré les conditions de super-exploitation qui y règnent. La confédération socialiste multinationale garantirait des droits démocratiques de base et la « citoyenneté sur la base du travail » à ces ouvriers, mais si l’on peut obtenir ces concessions entre-temps, ces ouvriers se trouveraient en bien meilleure posture pour défendre leurs intérêts économiques et politiques dès maintenant. Cela réduirait également la compétition salariale au sein de la classe ouvrière. Voilà un autre exemple de la nécessité pour notre travail ouvrier de compter sur un bras politique, sous la forme d’organisations de masse, qui travaille en parallèle, mais séparément, de notre travail syndical.

56 Il y a également la possibilité d’utiliser les OMPOs externes pour exercer des tactiques que des syndicats ne pourraient pas se permettre d’utiliser sans conséquences légales trop lourdes à porter. Parmi les quelques exemples contemporains, citons les lignes de piquetage « communautaires » qui ont bloqué des centres de tri de Postes Canada suite au retour au travail forcé en 2018, les campagnes ciblant les voleurs de salaires par le Naujawan Support Network (y compris le piquetage de leurs domiciles), ainsi que le refus de débardeurs américains de traverser des manifestations du mouvement Black Lives Matter. Nous laisserons libre cours à l’imagination des lecteurs pour penser à d’autres interventions potentielles.

57 Dans la pratique, l’entièreté ou presque d’une fraction de parti présente sur un lieu de travail devrait prendre part au caucus, et dans les situations où nous serions à la tête d’un appareil syndical, le caucus pourrait servir d’organisme avec un « bras de distance » du syndicat.

58 Cela doit être assujetti aux circonstances du lieu de travail. Le but est d’exercer le maximum d’influence au sein du syndicat, ce qui peut vouloir dire l’unification autour de principes politiques plus clairs, ou la recherche de participation plus étendue via un énoncé politique plus global.

59 La question du maraudage (c’est-à-dire, le processus par lequel un syndicat essaye de provoquer le changement d’allégeance d’un groupe de travailleurs d’un autre syndicat) demande également un peu de nuance. Il y a ici deux vérités absolues: premièrement, qu’il existe effectivement des différences significatives entre les syndicats existants et que les ouvriers devraient pouvoir choisir avec lequel s’affilier, et même de revenir sur leur décision; deuxièmement, que la concurrence entre les syndicats pour l’allégeance d’un membership en déclin représente un gaspillage de temps et de ressources. Ces deux vérités sont en contradiction l’une l’autre, ce qui signifie qu’on devra éviter les réponses universelles faciles et analyser concrètement chaque situation qui est portée à notre attention.

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