PRODUIT AU DÉBUT DE 2024, PUBLIÉ EN FÉVRIER 2025


  1. La rupture nécessaire du (N)PCC avec le tiers-mondisme
  2. La conception de classe de l’OCR
  3. Comment Lénine envisage-t-il la « scission du socialisme »?
  4. Analyse de classe : abstraction théorique ou analyse concrète des conditions concrètes?
  5. La vision du socialisme du (N)PCC
    1. Démocratie et dictature
    2. Sur la propriété d’État
    3. Sur la démocratie au travail
    4. Scientifiques et experts
    5. Une extension des droits bourgeois?
    6. Le communisme comme but final
  6. Derniers détails et observations finales

Aux camarades de l’OCR,

En tant qu’internationalistes prolétariens, nous avons assumé la tâche d’avancer sur la longue et tumultueuse route vers le renversement de nos puissances impérialistes respectives à travers la révolution prolétarienne, il va donc de soi que nous avons le devoir de procéder à un examen critique des lignes politiques des uns et des autres afin de nous assurer que nous travaillons mutuellement à la réalisation de cet objectif. Après tout, nous sommes d’accord que l’avenir politique du prolétariat de nos pays respectifs est étroitement lié au renversement commun de l’ensemble de l’Alliance impérialiste anglo-américaine.

Dans cet esprit, nous avons reçu avec beaucoup d’attention et de considération votre message de félicitations et vos remarques critiques sur le nouveau Programme politique du (Nouveau) Parti communiste du Canada ((N)PCC). Nonobstant notre niveau préexistant d’unité politique sur la nécessité de lutter pour bâtir la dictature du prolétariat dans nos pays respectifs, votre lecture critique de notre Programme politique soulève des questions qui méritent une réponse, et qui ouvrent la porte à un échange important entre nous et pour les communistes révolutionnaires à travers l’Amérique du Nord en général – la question de la stratégie révolutionnaire dans nos pays impérialistes respectifs.

Vos critiques de notre Programme politique ont illuminé quelques points de différence stratégiques et théoriques entre nos organisations aujourd’hui. Alors que nous débutons cet échange public, laissez-nous affirmer en avance que nous cherchons à éviter autant le sectarisme dogmatique que le libéralisme de maintien de la paix — trop souvent, ceux qui nous ont précédés ont erré dans l’une ou l’autre de ces directions. Nous vous considérons comme des communistes révolutionnaires sérieux et des camarades fraternels au sein du mouvement communiste international (MCI), et plus important encore, nous partageons une réalité géopolitique que le prolétariat de nos pays respectifs devra probablement conquérir ensemble, d’une façon interconnectée, vers le socialisme. Alors, le (N)PCC salue vos efforts, vos accomplissements et votre progrès à ce jour, et nous nous engageons à continuer à vos côtés, dans l’unité et la lutte, ainsi qu’avec tous les autres communistes véritablement révolutionnaires et les partis communistes du monde.

Dès le début, nous concédons que, parmi les points théoriques et politiques que vous avez soulevés, certains n’ont pas encore fait l’objet d’une ligne formelle ou d’une élaboration théorique plus approfondie que nous sommes prêts à présenter publiquement, comme l’aristocratie ouvrière et la question des femmes. Ces concessions sont cependant mineures et secondaires à ce qui est principal dans notre réponse, c’est-à-dire que nous avons des désaccords majeurs avec un bon nombre des critiques générales de l’OCR et croyons donc qu’il est nécessaire d’y répondre publiquement. Dans tous les cas, votre déclaration est un excellent véhicule pour s’attaquer à des questions qui sont ultimement fondamentales pour les communistes révolutionnaires des pays impérialistes.

Notre réponse, à son tour, soulève des questions que nous avons au sujet votre conception de la stratégie révolutionnaire. Certaines de ces questions serviront à répliquer aux critiques que vous avez étalées dans votre déclaration. Aussi, plusieurs de nos questions risquent de ne pouvoir être résolues que par une pratique plus étendue ainsi qu’une investigation plus approfondie.

La différence stratégique principale qui ressort de cet échange entre nos organisations (pour le moment, du moins) porte sur notre conception du rôle des couches les plus profondes du prolétariat dans la révolution prolétarienne dans un pays impérialiste. Il s’agit d’une question d’une grande importance pour les communistes révolutionnaires dans les pays impérialistes depuis au moins l’époque de Lénine et l’émergence de l’impérialisme-capitaliste. La position de centralité ouvrière dans notre Programme politique peut laisser croire que nous avons un point de vue radicalement différent sur le rôle des couches les plus profondes du prolétariat — et c’est peut-être le cas de certaines façons. Mais selon nous, nous serions plus proches de l’essence des choses en disant que nous avons peut-être des conceptions différentes de ce qu’il faut faire pour réaliser une révolution socialiste dans les pays impérialistes et pour amener la dictature du prolétariat au pouvoir. Nous affirmons que nous avons besoin de la classe ouvrière largement, surtoutduprolétariat industriel au cœur de celui-ci, et non seulement des sections les plus opprimées du prolétariat, dont nous devons, bien entendu, intégrer les luttes dans la lutte révolutionnaire prolétarienne par tous les moyens dictés par une stratégie révolutionnaire solide.

Est-ce une différence tactique entre nous qui reflète les impératifs tactiques distincts d’organisations à des périodes différentes de développement ou qui font face à des défis distincts dans leurs pays respectifs et dans leur initiative de construction de parti respective, ou est-ce une différence stratégique entre nous qui reflète des distinctions au niveau de l’analyse de classe? Nous tenterons du mieux que nous pouvons de répondre à cette question d’une façon concrète, scientifique et révolutionnaire, avec toute la considération nécessaire pour le fait que nous provenons de deux pays très différents (même si, de beaucoup d’autres façons, ils sont des pays très similaires) et que d’être concrets ici signifie d’avoir des analyses de classes compréhensives de nos pays respectifs — des analyses qu’il nous faudra, tant le (N)PCC que l’OCR, développer plus largement et plus profondément pour qu’elle atteignent leur plein potentiel.

Une question d’importance capitale pour nos deux organisations est celle de la conquête de la dictature du prolétariat et du socialisme dans nos pays respectifs — c’est ce qui nous distingue des révisionnistes, des sociaux-démocrates et du reste de la gauche. Parmi les questions immédiates qui surviennent lors de la poursuite de cet objectif commun, se trouvent celles-ci : quelle est l’analyse de classe de nos formations sociales respectives et quelle est l’alliance de classe capable de réellement battre la bourgeoisie? Il est certain que nous devons avoir une conception juste et actuelle des forces de classe et des conditions objectives pour l’emporter dans la lutte révolutionnaire de nos pays. Lutter pour ces vérités politiques et y parvenir, tel est le contenu de notre collaboration théorique commune, que nous avons chérie jusqu’à présent et que nous nous réjouissons de faire progresser encore davantage, dans l’unité et la lutte.

Corrigez-nous si nous avons tort dans nos impressions, mais selon notre compréhension de la ligne politique de l’OCR, selon vos écrits et nos échanges, l’OCR se prononce en faveur de la construction d’un parti communiste autour et à l’intérieur des couches les plus profondes du prolétariat. Pourquoi? Au sein d’échanges antérieurs, vous avez soutenu que « cette section du prolétariat vient avec la force d’un esprit et d’une réalité matérielle de ‘rien à perdre’, et est responsable d’une grande partie des luttes de classe les plus vives des pays impérialistes, en particulier les rébellions urbaines », nous pouvons nous mettre d’accord là-dessus. Mais alors que cela peut être vrai, vous n’avez toujours pas expliqué en quoi cela mène au renversement de la bourgeoisie impérialiste. On ne s’attend pas à ce que vous aviez la réponse à cette question immédiatement — après tout, les bolchéviques ne savaient précisément comment ils renverseraient le régime tsariste qu’en 1917; ce qu’ils savaient cependant, c’est que ça nécessiterait une guerre civile révolutionnaire, comme vous le reconnaissez, comme nous le faisons et comme le faisaient toutes les organisations dont descendent les nôtres. Cependant, à l’heure actuelle, nous sommes contraints par notre devoir internationaliste prolétarien, de la même façon que vous étiez contraints de partager votre croyance que nous nous sommes éloignés de Lénine, de faire part de ce que nous percevons comme des limitations dans votre conception stratégique jusqu’à présent.

Pour être clair, le (N)PCC n’argumente pas en défaveur du travail parmi les couches les plus profondes du prolétariat. Beaucoup de camarades du troisième mouvement de construction du Parti au Canada entre les années 2000 et 2010 ressortent de luttes qui priorisaient les luttes prolétariennes en dehors du lieu de travail et parmi les couches les plus profondes des masses. Le travail des communistes révolutionnaires du passé récent au Canada parmi les couches les plus profondes du prolétariat équivaut à une expérience dont nous avons encore beaucoup à dire ou à apprendre. Nous attendons avec impatience les prochains bilans sur l’histoire de ces luttes, comme kites l’a fait en rédigeant un bilan comme « From the Masses, To the Masses: A Summation of the October 22 Coalition’s Resistance to Police Brutality in the Late 1990s » (dans kites #1). C’est donc une question de débats actifs, de pratique continue et d’expérimentation dans notre organisation, et il reste toujours de l’investigation sociale et de l’analyse de classe à réaliser. Nous ne sous-estimons pas le niveau de rébellion et d’indignation qui peut être éveillé chez ces sections du prolétariat qui vivent sur le bord de la force dépossédante de la bourgeoisie (guerre et pillage impérialiste, renvois de masse, évictions), et nous ne suggérons pas que ces sections du prolétariat ne joueront pas un rôle important dans la révolution. Ce que nous disons, cependant, c’est que la révolution socialiste ne peut être faite sans la classe ouvrière, et surtout (mais pas seulement) sans le prolétariat industriel, et nous devons apprendre à apprécier les choses dans leurs justes proportions.

Plusieurs des membres de notre Parti ont lu votre contribution dans kites #8 et étaient très fiers d’en apprendre plus sur le dernier siècle de traditions révolutionnaires prolétariennes combatives aux États-Unis. Nous avons aussi apprécié votre bilan critique de cette histoire. Ce sont des expériences historiques qui justifient notre point de vue léniniste commun que l’époque de l’impérialisme est également l’époque des révolutions prolétariennes et que le communisme suinte des pores de la société bourgeoise. Dans notre pays, nous cherchons également à récupérer et à développer l’héritage des précédentes traditions révolutionnaires et militantes des ouvriers du Canada — les années 20 et 30, les années 60-début 80 — et l’une des façons dont nous prévoyons de le faire est de forger une nouvelle génération de militants ouvriers sous la direction et l’influence révolutionnaire. Cela fait plus de quarante ans que la population ouvrière et les syndicats ne sont plus un champ de bataille pour les communistes révolutionnaires, et nous n’attendrons pas un autre quart de siècle avant de commencer à organiser une section que nous croyons être parmi les plus décisives du prolétariat. En l’absence d’un parti d’avant-garde communiste capable de contester l’opportunisme de l’aristocratie ouvrière, il n’est pas surprenant que la conscience de classe de la classe ouvrière se trouve où elle est aujourd’hui. Nous sommes au fait des déviations économistes du passé, et nous continuons d’étudier ces expériences afin d’éviter de tomber dans ces mêmes pièges. Cependant, sur la base d’une bonne quantité d’ISAC, de travail théorique et de pratique politique à ce jour dans notre Parti (chacune de ces choses est toujours en cours, bien sûr), nous croyons que la contradiction entre la bourgeoisie et les travailleurs s’accentue depuis plusieurs années maintenant et est à un niveau qui mérite que nous, les communistes, prenions très au sérieux l’accumulation de forces révolutionnaires chez les ouvriers.

Faisons référence à une des innovations stratégiques de l’analyse de classe révolutionnaire de Mao en Chine afin de faire progresser l’argument que nous tentons de faire. Le pivot de la conception stratégique de Mao de la guerre populaire prolongée (telle qu’elle s’appliquait à la Chine à cette époque) était une conception juste de la distinction stratégique entre la classe qui dirige la révolution et la classe principale de la révolution, nécessaire pour résoudre la contradiction principale de la Chine semi-féodale et semi-coloniale de l’époque. La réponse de Mao aux contradictions de la société chinoise était larévolution de démocratie nouvelle. Dans son analyse de classe, Mao a assigné au prolétariat la place de classe qui dirige, malgré le fait qu’elle représentait une très petite minorité des classes populaires en Chine à l’époque. Malgré le fait que la classe principale de la révolution chinoise de 1949 était la paysannerie — la majorité numérique — la classe qui dirigeait au niveau idéologique et au niveau du futur de la Chine était le prolétariat. Comme Mao le disait : « Bien que faible en effectif, le prolétariat industriel incarne les nouvelles forces productives, constitue la classe la plus progressive de la Chine moderne et est devenu la force dirigeante du mouvement révolutionnaire1. » Comme nous le savons, Mao a ensuite sous-divisé ces classes en les distinguant selon leur relation à la production et, par extension, à la révolution. Par exemple, le fait d’être clair sur les différences entre et parmi les paysans sans terre, les paysans pauvres et les paysans aisés était une nécessité conceptuelle pour être capable de bien diriger les masses dans la révolution agraire, qui faisait partie intégrale de la guerre populaire, et de les mobiliser pour la tâche de la révolution socialiste2.

Le (N)PCC n’a pas fait d’arguments explicites sur le sujet des forces qui dirigent versus les forces principales, pour le moment — cela nécessiterait plus d’enquête et de pratique de notre part. Mais nous croyons bien que les camarades de notre Parti ont fait suffisamment d’enquêtes sur les conditions de la classe ouvrière au Canada — sans mentionner nos études du MLM — pour affirmer la position que les travailleurs auront un rôle central à jouer dans la révolution socialiste au Canada, et qu’il ne peut y avoir de révolution socialiste sans eux. C’est pourquoi nous prenons position pour la centralité ouvrière dans notre Programme politique.

Si nous avions pris la position de centralité ouvrière sans élaboration substantielle sur la question nationale du Canada, un pays avec une contradiction coloniale au centre même de son existence, cela mériterait alors un deuxième regard, et peut être une critique. Mais nous n’avons pas fait cela. Au contraire, avec la publication du Programme politique du (N)PCC, nous croyons avoir présenté des positions et des résolutions sur la question nationale qui excèdent les slogans creux et les formulations idéalistes des gauchistes ainsi que toutes les positions que nous avons pu entendre des mouvements précédents de construction du Parti dans notre pays. Nous croyons que notre position sur la confédération socialiste multinationale prend en considération et confronte les questions nationales et le caractère de classe du Canada dans sa forme actuelle et répond à cette réalité avec le seul chemin possible pour la dictature du prolétariat que nous pouvons voir. Bien que nous n’ayons pas assigné à notre analyse de classe les classes « principales » et « qui dirigent » (pas encore, du moins), nous sommes très clairs sur le fait stratégique que le prolétariat industriel existe, et qu’il est la clé des secteurs critiques de la production, de la circulation et de l’infrastructure qui seront nécessaires à l’établissement et à la défense de la révolution socialiste. Affirmons-nous que ces sections dans leur état actuel sont déjà, spontanément, les plus révolutionnaires parmi les masses? Non. Suggérer cela serait faire preuve d’une méconnaissance flagrante de la manière dont les institutions de la paix de classe et de la contre-révolution fonctionnent dans nos pays impérialistes et dans beaucoup d’autres. Nous pouvons admettre directement que le prolétariat au Canada est stratifié, et que ses couches supérieures peuvent être plus conservatrices. Nous devons cependant nous demander : à quel point est-ce que ce conservatisme reflète plusieurs décennies d’absence absolue de communistes au sein de la classe ouvrière? L’ISAC que nos camarades font au sein de la classe ouvrière et des masses populaires depuis les dernières années révèle une contradiction de plus en plus aiguisée entre les travailleurs et le capital (ou l’État), partout où nous regardons. Franchement, notre Parti s’efforce de suivre le rythme des luttes qui se déroulent autour de nous, ce qui témoigne du fait que la résistance des masses et des travailleurs est un fait objectif qui existe, à un certain point, indépendamment de l’intervention communiste. Il est clair pour nous, alors, que le milieu ouvrier est déjà mûr pour l’intervention révolutionnaire : des luttes de classes prennent déjà forme au sein de celui-ci, autant dans des milieux syndiqués que non-syndiqués, et bien trop souvent, les travailleurs en ressortent frustrés et trahis par les bureaucrates syndicaux. Cette résistance objectivement existante est mûre pour l’intervention révolutionnaire, mais laissée à elle-même, ou plutôt laissée à l’omniprésence de l’idéologie bourgeoise, elle deviendra cynique et pessimiste, finissant en pourriture réactionnaire. Ce sont les conditions que nous voyons dans la classe ouvrière, dont nous croyons qu’elles doivent être saisies afin de créer la fondation d’une option révolutionnaire dans le monde ouvrier dans les années à venir.

Le (N)PCC dépasse les limitations du troisième mouvement de construction du Parti qui n’effectuait aucun travail auprès des travailleurs et des syndicats, voire le désavouait. Pour toutes les raisons mentionnées précédemment, nous ne pouvons repousser le retour des communistes révolutionnaires vers la classe ouvrière au Canada là où elle travaille. Nous ne disons pas cela en excluant le rôle, la contribution et les enjeux des autres segments du prolétariat dans la révolution prolétarienne — cela représenterait une déviation. Mais sommes encore en train de déterminer ce que cela signifie dans le contexte de notre formation sociale, et nous devinons que c’est le cas pour vous aussi. Nous savons aussi que nos pays sont des formations sociales distinctes avec leurs propres questions nationales et contradictions qui auront un impact sur nos révolutions prolétariennes de façons distinctes. Ces distinctions sont à la fois nécessaires à appréhender et très fascinantes à comprendre. C’est ce qui a rendu beaucoup des camarades de notre Parti des lecteurs assidus de ce que les camarades et contributeurs basés aux États-Unis ont écrit dans kites concernant la question nationale, les soulèvements des couches profondes des masses et d’autres analyses conjoncturelles. Nous avons suivi de près votre investigation sociale, l’avons évalué pour son caractère exemplaire, et nous attendons à en voir plus avec impatience. Cependant, nous nous demandons toujours comment l’OCR conçoit la large classe ouvrière dans le contexte de la révolution prolétarienne aux États-Unis.

Il faut dire que les distinctions entre nos conceptions stratégiques peuvent refléter, dans une certaine mesure, la partialité de l’enquête de l’un ou l’autre (ou de nos deux enquêtes) sur nos formations sociales respectives à l’heure actuelle. Mais dans la mesure où ces différences entre nos conceptions stratégiques reflètent des différences plus profondes autour des questions d’analyse de classe et de stratégie révolutionnaire, nous nous devons, en tant qu’organisations fraternelles, d’élaborer et d’exposer ce qui peut expliquer ces différences, car ce sont des questions stratégiques de grande importance pour les révolutionnaires communistes du monde entier, spécifiquement dans les pays impérialistes.

Quelques-unes des différences majeures dans l’analyse de classe pointées du doigt par l’OCR dans leur déclaration « Red Salute » concernent : comment nous analysons l’aristocratie ouvrière, où nous faisons la démarcation entre la petite bourgeoisie et le prolétariat, et que faire avec le prolétariat industriel et la classe ouvrière largement, dans la révolution prolétarienne. Veuillez nous accorder cet espace pour défendre de façon exhaustive notre position de classe, telle qu’elle existe actuellement, pour vous, camarades, ainsi que pour les lecteurs de kites en général. Quelques éléments de la recherche, de l’enquête et du travail théorique que nous avons menés pour fonder les analyses et les positions de notre Programme politique sont à venir et planifiées pour une prochaine publication, et nous sommes impatients de les partager lorsqu’ils seront prêts à être publiés. En attendant, il y a déjà beaucoup qui peut être dit.

La rupture nécessaire du (N)PCC avec le tiers-mondisme

Une des ruptures idéologiques que notre Parti a faites avec le troisième mouvement de construction du Parti (et avec une grande partie du reste des courants MLM en Amérique du Nord durant les années 2000 et 2010) est avec ce genre de position tiers-mondiste (en pratique), qui consiste à rejeter des sections entières de la classe ouvrière en les considérant comme étant des « vendus » et « corrompus », en les considérant comme faisant partie de l’aristocratie ouvrière ou d’une strate « embourgeoisée » de la classe ouvrière qui a supposément été ou est en train d’être corrompue par l’impérialisme. Cette tendance idéologique est devenue répandue sur Internet tout au long des années 2010, ce qui a opportunément permis à de nombreux gauchistes des États-Unis et du Canada d’éviter le fardeau de réfléchir à comment faire la révolution dans leur propre pays (ce qui mérite, en ce qui nous concerne, de classer toute cette tendance dans la catégorie de la contre-révolution préventive au niveau idéologique). Pour ce qui est des deux organisations qui nous précèdent, ils n’étaient pas les pires adhérents de cette tendance idéologique, bien qu’ils y donnaient beaucoup d’espace et ont échoué à prendre le dessus sur celle-ci. Une des expressions de cette lacune était un désaveu, ou du moins un évitement, de la lutte sur le lieu de travail.

Comme nous l’avons déjà dit, nous faisons une croix sur cette déviation. Notre ISAC et notre enquête théorique révèle que les conditions de la classe ouvrière dans son ensemble se détériorent, dans un processus qui dure maintenant depuis plusieurs décennies. Si l’on ajoute à ce déclin général le fait que les dernières décennies ont également été fréquemment ponctuées par des offensives majeures de la bourgeoisie impérialiste et du capital financier contre la classe ouvrière — qui, nous pouvons l’admettre, peuvent être aussi déstabilisantes et source de rébellion que ce que la série Spectre de Kenny Lake pouvait suggérer concernant les « mouvements du capital » — nous sommes menés à la conclusion que les communistes révolutionnaires ne peuvent pas simplement compter sur les plus opprimés à eux seuls pour le succès de la révolution prolétarienne. Nous approuvons absolument de la présence de communistes parmi ces masses dans ce genre de période de révolte, afin d’accumuler des forces révolutionnaires à travers ces convulsions politiques, d’élever et d’organiser ces sections du prolétariat et des classes populaires à travers leurs luttes. Mais cela ne suffit pas à faire la révolution prolétarienne. Nous reconnaissons que vous dites bien « avec nos pieds fermement ancrés dans ces masses, nous pouvons et devons mener un travail politique auprès de toutes les autres sections des classes populaires », mais nous sommes inquiets que votre analyse de classe du reste des classes populaires puisse empêcher le travail politique nécessaire d’être entrepris afin de bâtir le front uni révolutionnaire qui peut créer les conditions pour la possibilité d’une révolution prolétarienne.

Avançons dans notre argumentation en abordant la question de nos points de vue respectifs sur la

théorie de l’aristocratie ouvrière de Lénine. L’OCR critique l’analyse de classe du (N)PCC comme reposant sur des fondations théoriques défectueuses, car elle ne prend pas en considération la « scission dans la classe ouvrière » causée par le développement du capitalisme vers l’impérialisme, comme théorisé par Lénine. Il est vrai qu’il n’y a pas de mention explicite de l’aristocratie ouvrière dans notre Programme politique, et que nous ne traitons pas de la question de l’opportunisme dans le mouvement ouvrier explicitement dans ce document. Mais est-ce une erreur absolue de ne pas mettre en évidence cette question? Nous mentionnons bien « la combinaison de partenariats patronat-syndicat, de lois du travail restrictives et d’une acceptation générale de ces restrictions par les dirigeants syndicaux » lorsque nous parlons des faiblesses actuelles du prolétariat. Mais, franchement, la question de la stratégie ouvrière est toujours débattue et expérimentée au sein de notre Parti, et si nous ne parlons pas plus longuement de cette question dans notre Programme politique, c’est parce que nous ne souhaitions pas le faire à ce stade et dans ce document — nous avons simplement choisi de mettre l’accent sur d’autres questions pour le moment. Il se peut que vous et d’autres lecteurs trouviez cette question trop légèrement traitée à votre goût, mais il est clair à nos yeux, selon notre analyse de nos conditions concrètes, que le léchage des bottes de l’aristocratie ouvrière n’est pas la déviation historique dont nous avons tiré les vestiges du troisième mouvement de construction du Parti. Au contraire, la déviation que nous souhaitions dépasser est celle d’éviter les luttes ouvrières dans leur ensemble. Si vous êtes inquiets que nous surcorrigions et déviions dans la direction de l’opportunisme, ce serait erroné de notre part et mériterait certainement une critique. Ainsi, même si certaines choses auraient peut-être pu être davantage affinées dans notre Programme, une lutte autour de cette question n’était pas une préoccupation majeure pour le (N)PCC à l’approche de notre Congrès fondateur de 2023. Un bon nombre d’autres questions ont été priorisées afin de consolider le Programme révolutionnaire que nous avons maintenant, les résultats de ces dernières se retrouvent dans ce Programme, et la question de l’aristocratie ouvrière n’en faisait pas partie.

Cela ne signifie pas que celle-ci et plusieurs autres questions importantes ne sont pas à débattre (nous en parlerons davantage plus bas). Mais cela ne nous a pas empêchés, et n’aurait pas dû nous empêcher, de proposer un programme révolutionnaire qui, selon nous, marque encore une avancée significative pour la révolution prolétarienne dans notre pays.

Vous, les camarades de l’OCR dites que « vous ne faites pas d’argument moraliste » lorsque vous parlez de l’importance des couches « les plus profondes, les plus exploitées et opprimées » du prolétariat, mais plutôt « un [argument] stratégique » et que ces sections du prolétariat « constituent la base sociale pour la révolution et pour l’internationalisme prolétarien en raison de leurs conditions de vie » (notre emphase). Mais devons-nous « nous concentrer sur les couches les plus profondes »? Pourquoi, sinon pour des raisons morales? Soyons clairs sur les raisons stratégiques. Quel est exactement le rôle des couches les plus profondes dans la révolution? Si par « base sociale » vous voulez dire que les révolutionnaires peuvent trouver un terreau fertile dans ces sections du prolétariat pour s’implanter, bâtir de l’expérience et prendre de l’expansion, nous sommes d’accord avec cela. Nous reconnaissons que les sections les plus opprimées du prolétariat explosent effectivement en révolte de temps à autre, surtout celles des nations opprimées et surtout la jeunesse de celles-ci, tout comme nous reconnaissons que le Parti peut y accumuler des forces (comme le RCP, USA, autrefois révolutionnaire, semble avoir réussi à le faire avec un certain succès dans les années 1980 et 1990, comme kites #8 l’explique). Mais, sauf si nous nous attendons à ce que les sections les plus profondes du prolétariat fassent cavalier seul (ce que vous ne dites pas explicitement, mais qui semble être sous-entendu), alors il nous faut urgemment une théorie et une méthode pour résoudre le casse-tête qu’est l’organisation révolutionnaire du reste de la classe ouvrière et des masses populaires.

Nous comprenons pourquoi vous, camarades, vous identifiez à la tradition du MLM aux États-Unis qui retrace son développement historique depuis les années 60 jusqu’à la création du RCP, USA et au-delà de sa rupture avec les tendances qui, selon votre analyse, se sont révélées plus « ouvriéristes » et, en fin de compte, révisionnistes. Votre bilan dans kites #8 explique comment la tendance qui s’est détachée du RCP, USA à la fin des années 1970 s’est carrément trompée sur les développements contre-révolutionnaires qui ont eu lieu en Chine à cette époque et a continué plus tard dans une direction sociale-démocrate et révisionniste dans les années qui ont suivi3. En contraste, vous racontez comment le RCP, USA « [est] sorti dans la société avec une politique révolutionnaire et pour se développer, sur le plan organisationnel, autour d’une base politique et idéologique correcte. » Certainement, le journal du RCP, USA semblait être une opération impressionnante qui visait à faire exactement cela. (En fait, l’ancien travail de propagande du RCP, USA fait partie des choses que plusieurs de nos camarades dans l’Équipe média de notre Parti ont étudiées4.) Mais s’est-il avéré être une bonne décision pour le RCP, USA de laisser le mouvement ouvrier entièrement de côté et pour le reste de son existence, laissant ce terrain être entièrement dominé par les révisionnistes, les trotskistes et les sociaux-démocrates ou « socialistes démocratiques »? Peut être que c’était une décision juste dans les années 1980, mais peu importe ce que nous pensons de ces décisions stratégiques du passé, est-il juste pour notre génération de communistes révolutionnaires, plusieurs décennies plus tard et en plein milieu de crises autant aiguës que chroniques dans la société bourgeoise et la classe ouvrière, de continuer dans cette tradition d’abandonner le mouvement ouvrier de nos terrains de lutte?

Les camarades maoïstes italiens du (n)PCI et du CARC en ont fait un point de débat pour l’entièreté du MCI que nous comprenions bien et de façon complète la nature des crises économiques en jeu5. Quelle que soit notre conception de la nature précise de la crise capitaliste, de ses lois et de ses tendances, nous sommes probablement tous d’accord pour dire qu’au cours des années 1970-1980, les décennies que les universitaires désignent comme le début du « néolibéralisme », l’offensive bourgeoise contre le prolétariat s’est certainement intensifiée une fois de plus. La distinction que nous communistes ajoutons à cette analyse de ce point tournant de l’histoire est d’également reconnaître que, quelle que soit notre analyse des crises capitalistes, ce changement est arrivé en réponse à et en plein milieu d’un triomphe du révisionnisme dans le mouvement communiste international (MCI) avec la consolidation de la contre-révolution en Chine, qui a mené au désarmement dramatique du prolétariat international et à des défaites monumentales et des retours en arrières pour les masses de l’humanité.

Dans notre pays, ce grand retour en arrière tragique dans le MCI a pris la forme de la liquidation d’un parti et d’une organisation d’avant-garde communistes importants qui avaient survécu et existaient jusqu’au début des années 80, le Parti communiste ouvrier (PCO) et En Lutte!, qui étaient des organisations marxistes-léninistes rivales qui avaient quelques centaines voire plus d’un millier de membres chacun. Ces deux organisations étaient bilingues et avaient une présence dans plusieurs parties du Canada, mais les deux étaient surtout concentrées dans la province de Québec. Le PCO en particulier avait une forte base d’appui dans la classe ouvrière et dans les lieux de production et, lorsque nécessaire, dans le « mouvement ouvrier » bourgeois. Malgré un parcours intéressant à l’issue des années 70, ces deux organisations se sont effondrées au début des années 80 sous le poids d’un bon nombre de questions auxquelles elles ne semblaient pas prêtes à répondre, surtout (mais pas seulement) la question nationale du Québec et comment le régime de contre-révolution préventive du Canada était en train de se conformer aux défis posés par deux décennies de nationalisme et de militantisme de classe en croissance au Québec. Le résultat fut l’une des provinces les plus sociales-démocrates du Canada, le triomphe du nationalisme bourgeois au Québec, et sa réintégration dans l’Alliance impérialiste anglo-américaine sur de nouveaux termes6. La liquidation du mouvement marxiste-léniniste révolutionnaire au Québec a constitué la seconde grande retraite des communistes révolutionnaires du mouvement ouvrier au Canada7. Le début des années 80 a ainsi vu le triomphe du révisionnisme, du capitulationnisme et de la social-démocratie dans la classe ouvrière au Canada — et ces tendances sont, depuis, devenues les courants principaux au sein du « mouvement ouvrier » bourgeois. C’est une réelle tragédie qu’une section du deuxième mouvement de construction du Parti n’ait pas pu se maintenir pour s’aligner avec les développements des années suivantes qui allaient mener à la consolidation du Mouvement révolutionnaire internationaliste (MRI), qui aurait peut-être pu réinspirer une nouvelle génération de communistes au Canada pour reprendre le flambeau de la révolution prolétarienne beaucoup plus tôt8.

Une des faiblesses que nous avons trouvées pour l’instant dans notre enquête encore limitée sur le deuxième mouvement de construction du Parti est que les partis comme le PCO et En Lutte! ont peut-être priorisé leurs polémiques entre eux au-delà de la construction d’une stratégie claire pour la révolution prolétarienne au Canada impérialiste. Mais ce que nous dirons sur toute cette époque, surtout le travail du PCO, de notre connaissance, c’est qu’une force marxiste-léniniste sérieuse accumulait des forces dans la classe ouvrière. C’est une expérience qui doit être plus connue et étudiée, non pas parce que nous la trouvons parfaite et exemplaire de toutes les façons, mais parce que nous devons apprendre des exemples les plus réussis de tentatives révolutionnaires communistes nous ayant précédés. De notre compréhension, le PCO à lui seul avait jusqu’à un millier de cadres, largement concentrés au Québec, mais aussi dispersés à travers le reste du pays, avec une partie importante de leur travail concentré sur l’agitation industrielle et la construction de la lutte des classes dans le mouvement ouvrier. Remarquablement, le PCO a été liquidé presque du jour au lendemain et d’une façon « vente au rabais », avec un triomphe clair de l’opportunisme à l’issue de l’effondrement du parti. Nous n’avons pas encore totalement compris cette tournure des événements époustouflante, et, en effet, plusieurs anciens membres de ce parti ont partagé des histoires avec nous de leur dévastation et de leur stupéfaction par rapport à la rapidité avec laquelle le Parti et le mouvement révolutionnaire qu’il dirigeait se sont effondrés. Nous avons hâte de vous partager à vous et aux lecteurs de kites deux articles de bilan qui traitent de l’expérience du PCO qui sortiront très bientôt dans kites #9.9

Nous soulevons ce contexte afin de souligner que depuis les années 70, nous pouvons compter au moins une instance sur ce continent où le militantisme de classe et l’intervention communiste sont allés de l’avant conjointement de façon puissante pendant un certain temps. Ce qui explique l’absence de communistes dans le mouvement ouvrier depuis est l’absence d’une avant-garde communiste (durant les années 80 et 90) et la réticence de ceux qui voulaient en devenir une à se lancer sur ce champ de bataille (durant les années 2000 et 2010).

Camarades, vous écrivez dans « Red Salute » que, « partant d’une analyse léniniste de l’impérialisme et de la division dans la classe ouvrière, nous sommes en désaccord avec le principe de ‘centralité ouvrière’ » , continuant avec « il vaut la peine de noter que c’était le principe opérationnel de la majorité, sinon de tous les mouvements « ML » (d’un point de vue maoïste) dans les pays impérialistes dans les années 70, et, en suivant ce principe ils ont fini par prendre le chemin de l’économisme, du réformisme et du révisionnisme10. »

Sur les mêmes lignes, dans kites #8, vous critiquez et définissez l’ « ouvriérisme » comme (notre emphase) « étant étroitement fixé sur les travailleurs de certaines industries (à grande échelle), et la tendance connexe de l’économisme qui consiste à se concentrer sur les intérêts économiques étroits et les préoccupations immédiates des travailleurs plutôt que sur la lutte politique plus large visant à renverser le système capitaliste et à construire une société socialiste. »

En effet, nous pouvons peut-être nous mettre d’accord sur cette définition si le fait d’être « étroitement fixé » est ce qui caractérise le travail général d’une organisation communiste donnée11. Mais nous ne sommes pas étroitement fixés. Nous ne sommes pas non plus intéressés par des enjeux économiques étroits qui n’intéressent que tel ou tel groupe de travailleurs. Il y a une bonne raison pourquoi cette tendance caractérise beaucoup de groupes trotskistes et révisionnistes : leur objectif n’est pas la révolution, ni même la réelle lutte des classes dans le mouvement ouvrier, mais plutôt, comme beaucoup d’exemples nous le prouvent, de s’implanter de façon permanente dans l’aristocratie ouvrière et de faire la paix de classe avec la bourgeoisie. Contrairement à cela, nous sommes intéressés par la destruction de cette paix de classe, que cela signifie ou non que nous devons passer par les syndicats existants pour y parvenir et malgré le fait que de nombreux bureaucrates corrompus et paresseux puissent essayer de nous barrer la route (la véritable aristocratie ouvrière, que nous aborderons plus loin). Nous croyons comprendre que pendant un certain temps le renversement de cette paix de classe au sein du « mouvement ouvrier » est précisément ce que le PCO tentait, et réussissait, à faire, jusqu’à ce que l’opportunisme prenne le dessus et le liquide. Mais hélas, la révolution comporte toutes sortes de risques et de déviations, ce qui ne veut pas dire qu’il faille condamner la tentative.

Nous disons que nous avons besoin du prolétariat industriel pour faire la révolution, camarades. Certainement vous ne suggérez pas que les couches les plus profondes peuvent faire cavalier seul dans la révolution aux États-Unis, n’est-ce pas? Par exemple, s’il y avait eu assez de communistes révolutionnaires à la tête de l’été de révoltes contre la brutalité policière en 2020, que la révolution aurait pu se faire à travers une série de revirements dans la révolte populaire? Nous ne le pensons pas, et sûrement que vous non plus. Peut-être que votre dessein est plus tactique et que vous voyez ces expériences comme des opportunités d’accumuler des forces et de créer de nombreuses écoles du communisme pour les masses avancées politiquement? Cela serait excellent. Mais à un certain point, il faut confronter la question de comment renverser la bourgeoisie impérialiste, et nous savons que vous ne vous faites pas d’illusions spontanéistes sur le sujet. Comme nous pouvons le lire dans le Manifeste de l’OCR (la deuxième emphase est la nôtre) : « renverser le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste… ne peut se faire que par une guerre civile révolutionnaire qui détruit l’appareil d’État répressif et les institutions politiques de la bourgeoisie et s’empare des moyens de production. » Compte tenu de cette position, la question demeure : comment la base industrielle pour la révolution sera-t-elle conquise? Précisément à cause de ce conservatisme que vous camarades identifiez au sein de certaines sections de la classe ouvrière, nous ne pouvons nous attendre à ce que ces sections du prolétariat s’alignent spontanément à la révolution prolétarienne. Au contraire, nous devons nous intégrer au prolétariat industriel et le cultiver une fois de plus dans une direction révolutionnaire, car nous avons encore plusieurs années de travail devant nous pour faire de cette section décisive (selon nous) du prolétariat une force révolutionnaire réelle. C’est pourquoi nous rejetons la critique que cette orientation que nous prenons est économiste.

Vous avez également écrit dans kites #8 que « Le programme de 1981 du RCP accorde toujours une importance considérable au prolétariat industriel, » même si « son instinct l’a conduit vers les sections profondes du prolétariat », mais que le problème était qu’il «n’a pas pleinement élaboré, en théorie et en analyse, les raisons pour lesquelles le prolétariat industriel (à l’emploi plus stable) n’était pas la principale base sociale de la révolution aux États-Unis. » Pour revenir aux références faites plus tôt à l’analyse de classe de Mao de la Chine et des différences entre la classe principale et la classe qui dirige, peut-être que le prolétariat industriel n’était pas, ou n’est pas, la base principale pour la révolution aux États-Unis. Mais est-ce que ça l’empêche d’être la force qui dirige, ou du moins une partie de cette force, laquelle nous devons organiser vers la révolution prolétarienne? Nous ne pouvons répondre à cette question dans le contexte de votre formation sociale : c’est votre tâche d’y répondre et nous attendons avec impatience de futures analyses de classe de votre part. Mais dans le contexte du Canada, nous sommes clairs sur le fait que le Parti d’avant-garde révolutionnaire communiste doit devenir le cerveau, le système nerveux et le cœur battant de la classe ouvrière à nouveau.

Une ligne politique qui ignore la classe ouvrière, son rôle productif dans la société et sa nécessité pour le socialisme est contraire à notre tradition, aux leçons de Lénine et à tout ce qui a été défendu par l’Internationale syndicale rouge (ISR, ou Profintern) et le Comintern. Une telle ligne politique se trouverait également dans une voie opposée à celle des périodes les plus glorieuses de l’histoire du communisme au Canada, aux États-Unis et dans les pays impérialistes. Ce point de vue serait certainement en contradiction avec l’orientation ouvrière du (N)PCC.

Le (N)PCC considère que les interventions dans le monde ouvrier — y compris, mais pas seulement, dans le mouvement syndical — sont d’une importance d’ordre stratégique pour renverser la bourgeoisie (à travers des grèves générales et /ou politiques, mais pas seulement12) et pour la construction du socialisme (à travers le contrôle prolétarien des moyens de production). Nous n’affirmons pas que le prolétariat industriel suffira à lui seul pour réaliser la révolution prolétarienne, mais qu’il est nécessaire. La dictature du prolétariat et notre parti communiste n’auraient aucune chance de réussir sans des assises solides dans l’extraction des ressources naturelles, la manufacture, la production alimentaire, l’éducation et les soins de santé. Il serait suicidaire d’essayer une révolution sans que ces secteurs clés du prolétariat soient solidement alignés sur notre programme, car la révolution prolétarienne se trouverait détachée des éléments des classes populaires et de la classe ouvrière dont elle aura inévitablement besoin, et qu’elle ne pourra pas les gagner et les mobiliser à la révolution plus tard. Toute stratégie communiste qui s’attend à ce que ces éléments essentiels de la révolution aillent simplement se ranger derrière nous à un moment indéterminé dans l’avenir est brouillée par une vision spontanéiste et idéaliste, et c’est pourquoi notre Programme politique met dès maintenant l’emphase sur la centralité ouvrière.

Si les communistes révolutionnaires avaient joué un rôle plus important lors des rébellions estivales de 2020 contre la police et d’autres institutions liées au pouvoir bourgeois, cela aurait vraisemblablement donné lieu à des manifestations mieux organisées, plus prolongées, à plus de confrontations combatives et à une meilleure ligne de classe, mais probablement rien de plus. Ce mouvement aurait quand même été confronté à un appareil armé vastement plus puissant que le mouvement populaire, et ce, avec très peu de chance de compter sur la solidarité spontanée du reste de la classe ouvrière. C’est ce dernier point, justement, qui est une source d’inquiétude pour nous. Bien sûr, il est possible que ce genre d’intervention nous propulse à l’avant-plan au niveau national en tant que mouvement révolutionnaire embryonnaire, mais si nous voulons dévaler des montagnes d’Ayacucho jusqu’aux bidonvilles entourant la capitale, alors nous devons nous assurer de détenir une analyse juste des forces et des conditions en présence pour remporter cette guerre populaire lorsqu’elle aura été lancée13. Tout ceci pour dire que nous avons besoin d’avoir des communistes au sein du monde ouvrier, non pas au détriment des autres sections du prolétariat, mais en complément, en forgeant leurs intérêts vers une direction politique commune. Le (N)PCC soutient que le prolétariat doit saisir les moyens de production, et c’est seulement avec un prolétariat organisé au sein et à travers de ces moyens de production que nous pourrons réaliser sa révolution.

Nous pouvons comprendre pourquoi l’OCR peut décider de concentrer tactiquement ses efforts vers les couches les plus profondes et les plus opprimées du prolétariat. Cela peut découler d’une évaluation sobre des forces actuelles et des principaux gains qui peuvent être effectués dans les conditions actuelles. Il est tout à fait raisonnable de mettre de l’avant ce travail politique pour démarrer un futur parti communiste d’avant-garde et pour jeter les bases d’une vaste analyse de classe de la société américaine, d’un programme révolutionnaire pour le prolétariat pour son reversement, et plus largement d’un peuple révolutionnaire. Mais en même temps, nous devons poser la question suivante : l’OCR élève-t-elle la catégorie des « conditions de vie » au-delà de la catégorie marxiste de la relation d’un individu envers les relations de production?

Le (N)PCC s’oppose à l’économisme, mais soutient que le Parti se doit d’intervenir dans tous les secteurs du prolétariat (et dans tous les secteurs de la société, en fait). Nous comprenons bien que certains secteurs du prolétariat, bien que n’occupant pas une place stratégique dans la production, se font davantage opprimer ou vivent des formes d’oppression distinctes, et que certains puissent se trouver plus ouverts subjectivement aux idées et à l’organisation révolutionnaires, ou encore que certains secteurs vivent des crises de nature conjoncturelle ou sectorielle. Les interventions tactiques au sein de ces luttes prolétariennes peuvent donc contribuer grandement à l’accumulation des forces révolutionnaires, dès aujourd’hui. Mais il ne faut pas confondre les priorités tactiques et les priorités stratégiques, et il nous semble erroné de stipuler que le Parti n’a pas besoin de se construire stratégiquement de manière à pouvoir contrôler les moyens de production.

Non seulement le (N)PCC ne rejette-t-il pas la ligne léniniste appelant à cibler les « plus opprimés et exploités », mais nous devons ajouter que cette orientation envers les couches les plus profondes du prolétariat concerne notre travail au sein du prolétariat industriel également. Au Canada, nous pouvons l’observer par la surreprésentation des travailleurs migrants temporaires dans l’industrie agroalimentaire; dans la surreprésentation des femmes, surtout celles issues de pays opprimés, dans les échelons inférieurs du système de santé; dans le nombre élevé de demandeurs d’asile travaillant pour des agences de placement dans des usines et des entrepôts; ou encore avec le nombre élevé d’Autochtones dans l’industrie lourde, etc.14.

Serait-ce possible qu’aux États-Unis, le « prolétariat industriel » et les « couches les plus opprimées et exploitées » forment deux groupes de personnes entièrement distinctes? Nous pouvons voir dans la partie IV de la série Spectre que vous accordez une certaine attention à ce segment du monde ouvrier, mais cela semble encore une fois découler plus de la vision d’organiser les plus opprimés plutôt que d’organiser ceux qui sont stratégiquement nécessaires. Dans tous les cas, nous attendons impatiemment une analyse de classe plus complète de ces questions de votre part, camarades. Il ne nous revient pas de dicter la stratégie et les tactiques des communistes d’une autre formation sociale, mais simplement d’émettre nos commentaires et de souligner nos points critiques.

En résumé, nous croyons que le (N)PCC a fait une rupture importante avec la sorte de tiers-mondisme qui a retardé le développement du troisième mouvement de construction de parti dans sa quête d’une stratégie révolutionnaire. Comme nous le soulignons à la fin de notre Programme politique : « Nous sommes le parti des communards de Paris, des bolchéviques de Russie, de la Révolution chinoise et de l’héroïque résistance anti-impérialiste au Vietnam… de la grève générale de Winnipeg, de l’époque révolutionnaire de l’ancien Parti communiste du Canada, du Front de libération du Québec et des marxistes-léninistes des années 1970. »

La conception de classe de l’OCR

Examinons plus attentivement nos conceptions respectives des classes sociales. Dans le Manifeste de l’OCR, celle-ci conçoit le prolétariat de la manière suivante : « Le prolétariat regroupe les personnes qui ont été dépossédées de tout moyen de créer de la richesse excepté leur propre force de travail, qui œuvrent dans des conditions d’exploitation, qui ne peuvent trouver du travail que lorsque la classe capitaliste en a besoin, et qui travaillent collectivement, à l’échelle mondiale, dans un processus de production socialisé plutôt qu’individualisé. »

En surface, cette définition correspond largement à celle du (N)PCC présentée dans son Programme politique. Mais attardons-nous sur la partie où une divergence apparaît. La définition de l’OCR soutient que le prolétariat regroupe les personnes « qui œuvrent dans des conditions d’exploitation, » ce qui soulève la question suivante : le travail effectué par une personne dépossédée n’est-il pas par définition de l’exploitation? Où y a-t-il quelque chose de plus à l’exploitation? Peut-être cela est-il lié à la vision de l’aristocratie ouvrière défendue par l’OCR (que nous examinerons un peu plus loin).

Cet extrait du Manifeste de l’OCR se poursuit avec l’analyse suivante du prolétariat : « Aux États-Unis, le prolétariat comprend les immigrants exploités dans les champs, les usines alimentaires, et les emplois de service; la ‘population de surplus’ dont la classe capitaliste n’a aucunement besoin du point de vue productif et qui se trouve donc confinée dans les prisons ou les ghettos, et qui n’a d’autre choix que de travailler dans l’économie illégale pour survivre. » Ce sont là certainement toutes des sections du prolétariat. Qui reste-t-il encore? L’OCR poursuit : « et des millions d’autres qui bossent comme bas salariés en usine, dans les services, la restauration, le transport, la livraison et d’autres secteurs économiques où l’exploitation est féroce. »

Ceci soulève la question suivante : à partir de quel niveau de revenu cesse-t-on d’être un « bas-salarié, » et donc d’être un prolétaire? Pour l’OCR, est-ce que les ouvriers qui ont atteint un salaire moyen en usine ne sont plus des prolétaires? Par exemple, dirait-on que les ouvriers de l’automobile ne sont pas des prolétaires, eux qui ont récemment mené une lutte majeure dans leur secteur, peu importe le caractère politique de leur syndicat et de son leadership? À partir de quand l’« exploitation féroce » cesse-t-elle d’être de l’exploitation point? Ainsi, est-ce qu’un salarié à 20 $/h cesse d’être un prolétaire s’il réussit à se négocier une hausse à 25 $/h tout en gardant les mêmes conditions de travail et de vie? Ce n’est pas très clair.

Qui plus est, pourquoi ne trouve-t-on aucune mention des travailleurs de l’éducation et de la santé dans le Manifeste de l’OCR? Ces secteurs y sont mentionnés comme étant des sources de profit, mais ces occupations ne sont-elles pas aussi essentielles pour la reproduction de la classe ouvrière, même si le rôle qu’on leur attribue spécifiquement est au service de la bourgeoisie et de l’État bourgeois? Par exemple, en Ontario, à la fin 2022, il a suffi d’une seule journée de grève sauvage menée par des travailleurs de l’éducation — plus particulièrement, les employés qui assistent les enseignants — pour semer le désarroi dans la province, car les écoles ont dû être fermées pour la journée. Nous parlons ici d’un tout petit segment de la classe ouvrière qui a pu déstabiliser une province entière avec une seule journée d’action.

Camarades, votre conception du prolétariat et de son potentiel révolutionnaire semble davantage reliée aux degrés de dépossession et d’oppression qu’au concept de classe comme étant déterminée par le rapport à la production. Ne vous trompez pas, nous croyons que kites a produit d’excellentes enquêtes et analyses sur les processus de dépossession qui ont été vécus par le prolétariat au cours des dernières années ou décennies, et il est évident que ces processus historiques contribuent à générer la situation objective et subjective des diverses sections et couches du prolétariat. Mais pour faire la révolution, n’avons-nous pas besoin de quelques ingrédients de plus que l’énergie rebelle des sections du prolétariat sur lesquelles vous mettez l’accent?

Ce n’est pas à nous de dire comment l’OCR devrait s’orienter tactiquement par rapport aux crises qui ont cours aux États-Unis, ni comment accumuler des forces ou faire avancer l’initiative de construction du parti. Nous serons compréhensifs si l’OCR considère qu’elle n’est pas en mesure d’intervenir à ce stade-ci dans les luttes ouvrières. Mais nous tenons à souligner que, tant et aussi longtemps que les communistes révolutionnaires vont s’abstenir de s’ériger en force à nouveau dans la classe ouvrière, il nous faut admettre qu’on laisse ainsi la porte ouverte au trotskisme, au « socialisme démocratique », au révisionnisme, au syndicalisme, au mouvementisme, et à un suivisme du Parti démocrate la chance d’être les courants dominants et incontestés du mouvement ouvrier. Si cette situation persiste au cours des 10-20 prochaines années, cela représenterait un échec critique des communistes révolutionnaires aux États-Unis.

Nous ignorons quel est le programme de l’OCR pour la révolution, et nous présumons que l’OCR ne le sait pas encore non plus. Nous ne présumons pas que le Manifeste représente un tel programme, mais qu’il est plutôt un outil idéologique visant à réunir des forces pour un nouveau parti communiste d’avant-garde. Nous apprécions la modestie avec laquelle l’OCR s’est présentée aux révolutionnaires dans son entourage, et le réalisme brutal dont elle fait preuve par rapport au travail qui doit être fait et toutes les luttes qui seront nécessaires pour y arriver. Mais nous tenons à soulever ces inquiétudes à cause de la déviation potentielle que pourrait occasionner votre ligne politique actuelle si elle était élevée au niveau de stratégie.

Nous voyons comment les masses, dans leur ensemble, font face à l’austérité via l’inflation, des fermetures d’usine, et des conditions de travail dangereuses et où l’exploitation est en augmentation. Nous voyons des régions et des communautés qui se battent contre la destruction toxique et le pillage des ressources par le régime colonial canadien. Une dangereuse combinaison d’exploitation accrue et de prolifération de l’oppression élargit son règne, et en tant que communistes nous devons nous en saisir pour ériger le futur révolutionnaire du prolétariat. Nous venons même d’assister à une grande grève générale au Québec, la plus grande en un demi-siècle au Canada. Nous croyons que les conditions ouvrières dans ce pays sont mûres pour la contestation politique communiste, pourvu que ces efforts soient menés avec une ligne juste sur la question ouvrière. Nous croyons que les communistes révolutionnaires peuvent, et doivent contester la domination de l’aristocratie ouvrière sur la classe ouvrière, surtout parce que nous avons un programme pour le prolétariat, alors que ces peureux et ces opportunistes n’en ont pas. Ils ne sont que des garants de la paix de classe, dans une époque où ce régime de paix est assiégé et, si l’on ne peut pas dire qu’il s’écroule, il vit définitivement une crise de légitimité.

Tournons-nous maintenant vers ce que Lénine avait à dire sur la « scission du socialisme » et l’aristocratie ouvrière.

Comment Lénine envisage-t-il la « scission du socialisme »?

Vous affirmez que notre Programme ne tient pas compte des observations de Lénine sur l’impérialisme et sur la scission du socialisme parce que ces concepts ne sont pas assez élaborés dans celui-ci, ainsi qu’à cause de notre analyse de classe et de notre position sur la centralité ouvrière. Jetons donc un coup d’œil là-dessus.

Vous avez raison de souligner que la question des divisions au sein de la classe ouvrière n’est pas mise de l’avant dans notre Programme, mais nous ne sommes pas certains que ce soit nécessaire. Comme nous l’avons déjà dit, le (N)PCC essaie de corriger l’erreur du précédent mouvement de construction du parti d’éviter les luttes ouvrières et les syndicats, une erreur qui a été commise en partie en mettant l’accent sur les divisions dans la classe ouvrière. Cela ne veut pas dire que le (N)PCC ne tient pas compte des observations importantes faites par Lénine sur la scission dans le socialisme et les divisions dans la classe ouvrière. Comme l’a écrit un de nos camarades dans un document interne du Parti : « L’aristocratie ouvrière, telle qu’on la conçoit, est composée des divers employés syndicaux qui vivent des cotisations payées par les ouvriers. Ils et elles sont payés par les intérêts du Capital et font pourrir le mouvement ouvrier avec leur opportunisme et leurs liens sociaux-démocrates réactionnaires… Ces individus, qu’il s’agisse de prolétaires parvenus ou de maraudeurs petits-bourgeois, sont des réactionnaires qui doivent être neutralisés, voire même extirpés des syndicats et des organisations ouvrières. »

Ainsi, même si nous n’avons pas encore publié d’analyse poussée sur la question de l’aristocratie ouvrière, ceci représente un point de vue, ou même un point de vue répandu, sur ce sujet au sein du Parti. Il s’agit en tout cas d’un point de vue défendu par le Comité central, en vertu de la présente déclaration, en attendant que davantage d’enquête, de travail pratique et d’analyse théorique ne nous éclaircisse davantage le sujet. Au niveau abstrait, cependant, nous croyons que ce point de vue est cohérent avec celui mis de l’avant par Lénine. Et si l’OCR prétend aussi être en continuité avec Lénine sur le sujet, nous devons remettre cela en question, étant donné que dans la partie I de la série Spectre, nous trouvons une définition beaucoup plus large de l’aristocratie ouvrière que la nôtre ou celle de Lénine (nous soulignons) :

Le fait est que beaucoup d’ouvriers travaillant dans les procédés les plus socialisés, avec les moyens de production les plus avancés, sont devenus au cours du dernier siècle ce que Lénine a appelé l’aristocratie ouvrière. Il s’agit là de travailleurs au sein des pays impérialistes qui reçoivent des super-salaires (c’est-à-dire, des salaires qui dépassent la valeur produite par ces travailleurs) basés sur les superprofits extraits des nations opprimées via la super-exploitation (soit le paiement de salaires plus bas que le niveau de subsistance) et le vol de ressources. Cette aristocratie ouvrière, en tant que portion numériquement significative de la population, bénéficie d’emplois stables, à salaire élevé avec des pensions et des assurances maladie, et possède souvent leur propre maison, des véhicules et d’autres jouets assortis rendus abordables par le parasitisme de l’impérialisme; conséquemment, plutôt d’être ou d’agir comme une classe dépossédée et exploitée, elle s’est révélée être une partenaire juniorenthousiaste de la bourgeoisie, y compris par son appui aux guerres d’agression impérialistes. En tant que classe, elle constitue une réfutation éclatante de l’idée que de travailler avec des moyens de production avancés et dans des procédés hautement socialisés mène à une conscience de classe révolutionnaire.

Pour commencer, nous croyons qu’il y a ici une confusion entre les sections de la classe ouvrière sous l’influence de l’aristocratie ouvrière, et l’aristocratie ouvrière elle-même. L’idée d’une aristocratie ouvrière représentant une « portion numériquement significative de la population » est marginale au sein du mouvement communiste international (au moins en dehors du courant tiers-mondiste), et s’écarte de la définition de Lénine. S’agirait-il d’une réalité de la formation sociale américaine qui la distingue exceptionnellement de tout antécédent historique? Se peut-il que le statut hégémonique prolongé de l’impérialisme américain ait corrompu sa classe ouvrière à un point si extrême? Nous sommes intéressés de voir une enquête plus approfondie sur ce sujet, camarades. Mais pour ce qui est de Lénine, il n’a pas vraiment exprimé de telle position.

Lénine a analysé la base matérielle pour la scission du socialisme comme étant issue de l’impérialisme, certes, mais menant à une division politique dans la classe ouvrière, c’est-à-dire une division entre ce qui allait devenir la Deuxième et la Troisième Internationale (entre les « sociaux-démocrates » et les communistes respectivement, la première étant corrompue politiquement par l’impérialisme). En effet, selon Lénine, les superprofits dus au parasitisme de l’impérialisme ont permis à la bourgeoisie des puissances impérialistes de soudoyer un petit échelon supérieur de la classe ouvrière. Lénine n’a cependant jamais désigné cet échelon comme étant une « portion numériquement significative de la population », mais bien une petite minorité. Il parle d’abord d’ouvriers qui se font coopter dans des fonctions politiques du mouvement ouvrier, et d’ouvriers d’une poignée de secteurs privilégiés formant leur base sociale parmi la classe ouvrière. Et comme il l’a écrit dans L’impérialisme et la scission du socialisme (emphase par Lénine) :

La bourgeoisie d’une ‘grande’ puissance impérialiste peut, économiquement, soudoyer les couches supérieures de ‘ses’ ouvriers en sacrifiant à cette fin quelques cent ou deux cents millions de francs par an, car ses super-profits s’élèvent probablement à près d’un milliard. Et la question de savoir comment cette petite aumône est partagée entre ouvriers-ministres, ‘ouvriers-députés’ […] ouvriers-membres des comités des industries de guerre, ouvriers-fonctionnaires, ouvriers organisés en associations étroitement corporatives, employés de bureau, etc., etc., c’est là une question secondaire.

Cette couche supérieure, une minorité absolue, forme la base sociale dont sont issus les divers « ouvriers-députés » qui sont soudoyés pour qu’ils deviennent opportunistes. Lénine met l’accent sur le fait que les communistes ne doivent pas porter leur attention sur cette minorité, qui domine le mouvement ouvrier et les partis ouvriers bourgeois, mais plutôt vers la majorité, la véritable masse des ouvriers qui ne bénéficie pas de ces pots-de-vin, même s’ils sont influencés par ses idées et qu’ils représentent différentes sections de la classe. Le facteur décisif dans la composition et l’orientation de la classe ouvrière est, selon nous, la domination incontestée de l’opportunisme dans la classe ouvrière, et non sa séparation en diverses strates, bien que celles-ci soient une réalité matérielle que nous allons devoir considérer.

Lénine fait également ressortir comment Engels avait perçu cette réalité :

[Engels] y traite de ‘l’aristocratie de la classe ouvrière’, de la ‘minorité privilégiée des ouvriers’, qu’il oppose à la ‘grande masse des ouvriers’. ‘La petite minorité privilégiée et protégée’ de la classe ouvrière bénéficiait seule des ‘avantages durables’ de la situation privilégiée de l’Angleterre en 1848-1868: ‘la grande masse, en mettant les choses au mieux, ne bénéficiait que d’améliorations de courte durée.’

Le fait que l’aristocratie ouvrière ne constitue qu’une petite minorité en contradiction avec la majorité, avec « la grande masse des ouvriers », est un point essentiel. Soit, il en était ainsi à l’époque, mais qu’en est-il aujourd’hui? Eh bien, la bourgeoisie n’a certainement pas résolu matériellement les contradictions qui l’opposent à la classe ouvrière dans les pays impérialistes, en tout cas pas d’une façon durable. Tout ce qu’elle fait, c’est de soudoyer une petite portion au sommet et de la corrompre politiquement en prenant le contrôle des institutions du mouvement ouvrier. Voilà ce que nous devons absolument changer si nous voulons que la révolution prolétarienne soit un succès, il n’y a pas d’autre solution.

Pour autant qu’on le sache, Lénine parlait surtout d’une « scission du socialisme » et d’une « scission du mouvement ouvrier », mais pas d’une « scission dans la classe ouvrière. » Et nous croyons que ces paroles ont un sens spécifique qui ne doit pas être perdu. Le défi qui se dresse devant nous est une scission politique. Cela nous mène à soutenir qu’il faut dresser et défendre des positions de combat dans le mouvement ouvrier, dans les syndicats, et dans la classe ouvrière, pour offrir un programme politique plus convaincant que Biden (ou Trump!) 2024, ou, dans notre cas, Trudeau (ou Poilièvre) 2025.

Mais l’OCR semble avoir pris la position que l’aristocratie ouvrière forme une classe sociale entière dont les intérêts matériels fondamentaux sont opposés à la révolution socialiste. C’est une chose de dire que les ouvriers qui ont des emplois confortables, de meilleurs salaires, des hypothèques, etc., bénéficient à un certain degré de l’impérialisme et ont donc tendance à avoir moins de zèle révolutionnaire et être plus influencés politiquement par l’opportunisme. Mais c’est une tout autre chose de dire qu’ils sont des « partenaires juniors enthousiastes de la bourgeoisie » et de les écarter objectivement de la catégorie du prolétariat. Il s’agit là carrément de confondre leur conservatisme actuel et des décennies d’exposition incontestée à la réaction avec une condition permanente de leur position de classe.

Ça ne nous dérange pas vraiment de savoir qu’il y a une couche de la classe ouvrière qui est liée par des hypothèques et qui pourrait éventuellement posséder leurs maisons. Nous encourageons plutôt, et mettons en pratique nous-mêmes, une analyse des conditions concrètes des soi-disant propriétaires de maison. Il existait une tendance au sein du troisième mouvement de construction de parti à voir la propriété domiciliaire comme un signal de sortie de la classe ouvrière. Mais depuis, nos recherches et nos enquêtes ont montré que plus de la moitié des « propriétaires », soit quelque 57% aux dernières nouvelles (il y a un an) sont endettés envers les banques et sont embarqués pour plusieurs années, voire même plusieurs décennies, dans la soumission financière. Serait-il sage de considérer cette masse de personnes — dont certes, beaucoup sont petits-bourgeois, mais beaucoup d’autres non — comme étant exclue de la contradiction avec la bourgeoisie impérialiste, plus particulièrement avec le capital financier?

On peut certainement dire que l’impérialisme américain entretient une influence profonde et toxique sur sa classe ouvrière (tout comme l’impérialisme canadien), avec son pouvoir idéologique étendu, sa super-puissance militaire (en déclin) et son énorme système d’incarcération de masse, qui contribuent ensemble à corrompre une grande portion de la classe ouvrière tant matériellement qu’idéologiquement. Vous en faites une bonne démonstration dans Spectre IV quand vous illustrez qu’environ 5 millions d’emplois sont distribués dans les systèmes de « correction » et de « justice » aux États-Unis. C’est pour cela qu’il est important de comprendre les particularités de nos formations sociales respectives. Mais il vous reste encore à produire une analyse de classe plus approfondie qui démontrerait qu’il est possible de mener la révolution avec seulement les couches les plus profondes, ce que vous mettez de l’avant non pas explicitement, mais indirectement en abandonnant le leadership dans les luttes du reste de la classe ouvrière.

Ce qui nous préoccupe, c’est que votre analyse mène à des conclusions pratiques fondamentalement différentes de celles de Lénine. La conclusion à laquelle arrive ce dernier est que la lutte contre l’impérialisme est liée intrinsèquement à la lutte contre l’opportunisme, et donc qu’il faut exposer les opportunistes au sein du mouvement ouvrier et dénoncer les partis ouvriers bourgeois pour leur défense des intérêts d’une minorité de travailleurs privilégiés au lieu de la vaste majorité des ouvriers qui représentent les véritables masses, les couches les plus profondes. Lénine met de l’avant explicitement la nécessité de cette lutte politique dans le mouvement ouvrier à la fin de L’impérialisme et la scission du socialisme :

Expliquer aux masses que la scission avec l’opportunisme est inévitable et nécessaire, les éduquer pour la révolution par une lutte implacable contre ce dernier, mettre à profit l’expérience de la guerre pour dévoiler toutes les ignominies de la politique ouvrière nationale libérale au lieu de les camoufler : telle est la seule ligne marxiste dans le mouvement ouvrier mondial.

Au lieu de cela, l’OCR semble considérer l’aristocratie ouvrière en des termes plus économiques, comme une grande classe sociale dont les intérêts sont matériellement opposés au socialisme. La conclusion qui en découle est donc qu’une grande masse de travailleurs, représentés par ceux qui ont des emplois syndiqués stables, ne font pas partie de la base matérielle pour la révolution. Une telle analyse de classe sous-entend naturellement que nous devons complètement éviter le mouvement ouvrier et ignorer cette grande masse de travailleurs et leurs luttes dans leurs milieux de travail, qui au Canada regroupe quelque 11 millions de personnes15.

Quoi qu’il en soit des termes de la paix de classe qui a pu stabiliser la situation du prolétariat industriel dans les pays impérialistes, nous devons nous rappeler que ces emplois plus stables, mieux payés et avec d’autres bénéfices ont été gagnés à travers des luttes et des compromis dans un contexte où les ouvriers ont été combatifs et où les communistes se sont fait repousser, ou se sont eux-mêmes retirés, de tout rôle révolutionnaire dans cette lutte. Nous ne voulons pas dire ici que ces travailleurs des pays impérialistes ont mérité leur part, alors que le reste des travailleurs du monde ne la méritent pas. Ce que nous voulons dire, c’est que le prolétariat des pays impérialistes a lutté pendant au moins un certain temps et que la réponse de la bourgeoisie impérialiste, surtout après 1945, a été d’édifier de nouveaux piliers du régime de contre-révolution préventive pour imposer une paix de classe plus stable que ce qui avait été vu avant.

Comme vous pourrez voir dans les entrevues à paraître que nos camarades de l’équipe média ont faites avec des vétérans communistes de l’ancien PCO au Québec (que nous avons déjà mentionné), le militantisme de classe sous le leadership de communistes révolutionnaires a joué un rôle important au Canada, surtout au Québec à travers les années 1970 et au début des années 1980. Le fait que les conflits de classe de cette époque ont donné lieu à une plus grande et nouvelle stabilité ne peut être attribué seulement aux superprofits de l’impérialisme (les salaires réels étaient en hausse au Québec dans la période tumultueuse des années 1960-70), mais plutôt au fait que la bourgeoisie a saisi l’initiative et que le prolétariat l’a perdue. L’alternative révolutionnaire s’est fait liquider par l’opportunisme, et les quelques communistes révolutionnaires restants n’ont pas pu se regrouper et proposer une riposte révolutionnaire. En d’autres termes, c’est le changement au niveau du facteur subjectif qui a été décisif, et non le facteur objectif des salaires réels.

Dans la mesure où de meilleurs salaires ont pu être arrachés pour certaines sections de la classe ouvrière dans ces luttes, il faut prendre en compte les luttes ouvrières et populaires massives qui ont été organisées consciemment par le mouvement prolétarien des années 1960 et 70, soit deux décennies de lutte qui englobent la constellation de mouvements et groupes nationalistes progressistes québécois, dont la plus haute forme organisationnelle a été atteinte avec le Front de libération du Québec (FLQ) dans la lutte armée, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN16) dans les luttes légales, la résurgence ouvrière du début des années 70 menant à la grève générale du Front commun en 1972, et la montée des organisations marxistes-léninistes dans les années 70 jusqu’au début des années 80. Tous ces mouvements pris ensemble ont posé les fondations pour les gains du mouvement ouvrier à travers cette période17. Bien sûr, il faut reconnaître que les puissances impérialistes ont une plus grande marge de manœuvre pour trouver des solutions à l’agitation ouvrière dans leur pays. Mais il serait tout autant mécanique qu’insultant d’en tirer la conclusion que ce développement historique est seulement le fruit des forces objectives de l’histoire.

Ce qui est plus important à considérer encore, c’est que ces gains ont commencé à stagner dès les années 1970, puis que la lutte s’est épuisée au début des années 1980. Nous commençons tout juste à synthétiser les accomplissements et les déviations de cette vague de construction de parti, mais ce que nous pouvons affirmer pour l’instant c’est qu’une partie de cette défaite était liée à l’échec dans la lutte contre l’opportunisme. Cet échec a mené entre autres à la perte d’une direction politique révolutionnaire (ou au moins combative) dans les syndicats, et donc à leur intégration éventuelle dans le capitalisme, qui s’est opérée via la création de fonds d’investissement capitalistes sous l’égide de syndicats et à la désintégration du leadership marxiste-léniniste dans la classe ouvrière suite à la dissolution et à la liquidation des organisations En Lutte! et du PCO au début des années 80. Toute cette période se résume par la prise de contrôle du mouvement révolutionnaire prolétarien par les opportunistes qui occupaient des postes de direction dans les syndicats et les mouvements populaires. Ils ont été soudoyés et rendus dociles par le Parti Québécois bourgeois-démocrate et par la bourgeoisie nationale naissante, à l’aide de gains temporaires accordés à certains échelons supérieurs de la classe ouvrière et de la petite-bourgeoisie. Si nous soutenons l’idée que la bourgeoisie impérialiste entretient et ajuste constamment son régime de contre-révolution préventive, dont la paix de classe est un pilier central, alors nous ferions mieux, comme nos camarades italiens, de reconnaître que ce pilier est le moins stable d’entre tous, et qu’il se désintègre depuis des décennies. Donc, travaillons à le renverser18!

L’analyse de Lénine n’a donc rien à voir avec un quelconque rejet de l’intervention dans le mouvement ouvrier et auprès des travailleurs avec des « emplois stables ». C’est pourtant ce que les maoïstes des pays impérialistes ont fait au cours des deux dernières décennies. Et contrairement à cette attitude, l’histoire du Québec précédant cette période, que nous venons d’exposer, démontre l’immense potentiel qu’a le mouvement révolutionnaire dans le monde ouvrier et le besoin pour le mouvement de mener un combat politique sans relâche contre l’opportunisme.

Nous ne vous disons pas, camarades, que, tactiquement parlant, intervenir maintenant dans les luttes ouvrières devrait être votre tâche urgente. Nous ne pouvons pas le dire parce que nous ne sommes pas responsables de vos conditions et que nous ne les connaissons évidemment pas aussi bien que vous. Nous comprenons que vous êtes encore une jeune organisation communiste (tout comme nous). Nous reconnaissons le danger que l’immersion d’une grande partie de votre organisation communiste encore naissante dans les luttes ouvrières puisse potentiellement entraîner des éléments communistes peu expérimentés vers le syndicalisme, le mouvementisme, et même les rendre sensibles aux influences corrosives de ces idéologies qui sont contraires à la révolution prolétarienne. Mais nous ne parlons pas de tactique. La question que nous posons à l’OCR est d’ordre stratégique : ne reconnaissez-vous pas la nécessité d’avoir à ses côtés le prolétariat industriel et la classe ouvrière en général afin de faire la révolution socialiste, même si ce n’est pas votre travail principal en ce moment ?

Camarades, notre Programme vise à dépasser les limites précédentes du mouvement. Il établit des tâches révolutionnaires clés pour la période actuelle, avec le principe de la centralité ouvrière pour guider le développement de notre stratégie révolutionnaire. La vraie scission du socialisme que nous essayons de dépasser est l’absence depuis plusieurs décennies de la révolution prolétarienne dans le monde ouvrier. Nous n’attendrons pas encore 10-20 ans avant de rebâtir une position communiste dans ce milieu. Cette ligne n’a pas été adoptée de manière idéaliste, mais bien basée sur notre recherche économique et notre ISAC poussée parmi les masses, sans oublier nos actions pratiques dans les luttes ouvrières. Ceci dit, comme nous l’avons écrit à la fin de notre Programme politique :

Le (N)PCC n’est donc pas dogmatiquement attaché à la stratégie et aux tactiques détaillées plus haut, mais il les soumet à [notre] objectif général et au test de la pratique. En tant que seul critère de la vérité, c’est la pratique qui jugera ultimement de la justesse de nos idées. Les années à venir devraient voir soit une avancée du mouvement révolutionnaire, soit un changement de nos conceptions et de nos pratiques.

Analyse de classe : abstraction théorique ou analyse concrète des conditions concrètes?

Pour ce qui est de votre point voulant que l’aristocratie ouvrière constitue une « portion numériquement significative de la population » aux États-Unis et dans les pays impérialistes, nous n’avons pas la capacité d’y apporter une réponse. Nous vous laisserons développer votre propre analyse de classe et votre stratégie révolutionnaire en fonction des conditions concrètes de votre pays.

Venons-en maintenant à vos observations sur notre analyse de classe de la petite-bourgeoisie. Vous avez fait la remarque suivante au sujet de notre Programme :

Nous ne considérons pas des gens qui occupent des postes nécessitant un diplôme collégial et une formation intellectuelle importante, et qui reçoivent un salaire reflétant cette formation, par exemple les enseignants et les infirmières, comme faisant partie du prolétariat, mais plutôt de la petite-bourgeoisie; cependant, il s’agit d’une section de la petite-bourgeoisie que nous devrions gagner à nos idées et qui occupe une position stratégique d’importance dans la société.

Il y a certainement des aspects idéologiques et politiques à prendre en compte lorsqu’on parle du rôle de l’éducation diplômée dans la conscience de classe et la mobilité de classe. Il est sûr que la perspective de classe d’une personne sera certainement influencée par l’appareil idéologique bourgeois après avoir passé plusieurs années en son sein, et il existe aussi certainement une corrélation entre l’éducation supérieure et l’appartenance à une classe supérieure. Mais un diplôme ne suffit pas à déterminer la position de classe d’un individu.

De notre point de vue, la classe sociale se définit comme la place qu’on occupe à l’intérieur des rapports de production. C’est ainsi que les marxistes ont toujours compris la classe sociale. On peut ne pas aimer les manières d’une personne qui a un diplôme, ou les changements de mentalité apportés par un salaire plus élevé. Mais ce qui est décisif, c’est là où on se situe dans les rapports de production, et comment ce rapport se trouve affecté et transformé par ce que nos camarades italiens appellent la « situation révolutionnaire en développement » depuis les dernières décennies à cause de la « deuxième crise généralisée » du capitalisme. Quand on pense à la tendance inhérente au capitalisme-impérialisme de se diriger vers la crise, et qu’on y ajoute les crises découlant du déclin de l’hégémonie de l’Alliance impérialiste anglo-américaine face à ses compétiteurs impérialistes sur le marché mondial, on commence à comprendre pourquoi les conditions des classes populaires s’empirent dans les pays impérialistes occidentaux. S’il peut arriver que des sections entières de la classe ouvrière passent pour des « partenaires juniors enthousiastes » de l’impérialisme, est-ce que nous n’avons pas notre part du blâme à assumer en tant que communistes?

Pour en revenir sur la question de l’éducation postsecondaire, quels qu’en soient les effets idéologiques, demandons-nous plutôt: quelle est la proportion des diplômés qui se font réellement catapulter vers la petite-bourgeoisie? Ou encore, quelle est la proportion des étudiants qui se retrouvent plutôt endettés pendant des années, voire des décennies, juste pour avoir un diplôme leur permettant d’accéder à un revenu supérieur (sans aucune garantie), qui leur sera ensuite arraché soit par l’État ou par le capital financier? N’était-ce pas la promesse (brisée) d’annuler la dette étudiante de millions de jeunes électeurs qui a permis à Joe Biden de gagner l’élection américaine de 2020?

Il faut également noter que bien que l’on mentionne les infirmières et les enseignants à une reprise dans le Programme en parlant de la « pénurie de travailleurs qualifiés », on ne les identifie nulle part comme faisant partie du prolétariat. Notons également que les « professionnels salariés » sont catégorisés dans la petite-bourgeoisie. Le fait d’être nommé « travailleurs qualifiés » ne les exclut pas de la petite-bourgeoisie, car cela ne change rien au fait qu’ils sont « qualifiés » et qu’ils « travaillent ». Ceci dit, il faut avoir une analyse nuancée des professions telles que les enseignants et les infirmières au Canada. On risque de causer plus de tort que de bien si l’on adopte une position unilatérale sur cette question sans prendre en compte la réalité matérielle des infirmières et des enseignants, de même que les circonstances objectives en changement constant et la trajectoire de classe de ces deux professions.

Cela nous amène au point suivant : l’analyse de classe d’un pays (ou d’une région, industrie, etc.) ne peut se faire qu’en appliquant la théorie aux conditions concrètes, et cela nécessite de mener une investigation sociale et une analyse de classe de cette réalité concrète spécifique.

En réalité, l’enseignement et les soins infirmiers au Canada sont des occupations qui regroupent un ensemble de positions de classe, allant du prolétariat à la petite-bourgeoisie. Et c’est en appliquant notre théorie aux conditions concrètes du Canada que nous sommes arrivés à la conclusion qu’une certaine proportion des personnes qui travaillent dans ces domaines peuvent être considérées des prolétaires. En fait, les travailleurs de la santé et de l’éducation ont été ajoutés spécialement lors de notre congrès de fondation dans notre Programme parmi les secteurs stratégiques d’intérêt du concept de centralité ouvrière. Et cette analyse provient d’une enquête étendue, toujours en cours de la société de classe canadienne.

Certes, il faut admettre qu’il existe un aspect « professionnalisant » chez ces secteurs en particulier – nous devons le prendre en compte et le combattre. Il est vrai aussi qu’une partie des secteurs de l’éducation et de la santé est divisée entre un segment plus professionnel et diplômé d’une part, et un segment plus prolétarisé d’autre part. Dans les soins de santé, on peut observer ceci avec le rôle accru des travailleurs de soutien personnel tant à l’extérieur qu’à l’intérieur des hôpitaux. Et comme on l’a déjà mentionné, une grève des employés de soutien d’écoles en Ontario est parvenue à faire fermer presque toute la province pendant une journée à l’automne 2022. Il faut donc se rendre à l’évidence que les communistes doivent assumer la tâche d’organiser les forces prolétariennes de ces secteurs et lutter également avec ses couches supérieures et ses sections petites-bourgeoises.

La vision du socialisme du (N)PCC

En ce qui concerne les critiques que vous avez formulées de notre conception du socialisme, vous dites que notre « conception du socialisme semble être un mélange éclectique au lieu d’être un ensemble de mesures ancrées fermement dans l’expérience la plus avancée du prolétariat au pouvoir, » continuant en affirmant que « le Programme du (N)PCC présente le socialisme comme une extension de la démocratie, plutôt qu’une élimination des divisions de classe. » Nous allons donc répondre à cette critique, et nous montrerons qu’il s’agit plutôt d’un désaccord sur la ligne (sur le sujet de la démocratie et du parti d’avant-garde). Nous pouvons concéder que le rôle du parti d’avant-garde durant la période de la construction du socialisme n’est pas élaboré longuement dans notre Programme, et pourrait peut-être être clarifié dans du travail théorique subséquent, mais nous soutenons l’essence de notre position comme exprimée dans le Programme dans sa forme actuelle.

Démocratie et dictature

Sur la question de la démocratie, vous, camarades, écrivez ceci : « La démocratie, dans sa conception et sa pratique, a toujours été liée à l’idée du droit à la propriété individuelle. » Est-ce vrai? Est-ce que nous parlons de choses différentes ici? Qu’est-ce que la démocratie? Lénine a dit : « La démocratie, c’est un État reconnaissant la soumission de la minorité à la majorité ; autrement dit, c’est une organisation destinée à assurer l’exercice systématique de la violence par une classe contre une autre, par une partie de la population contre une autre19. » Donc, la démocratie est une partie intrinsèque de la dictature du prolétariat, son autre aspect.

En parlant de la nature de l’État soviétique, Lénine l’appelait parfois la « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. » La dictature du prolétariat est une dictature sur la bourgeoisie, mais une démocratie pour le prolétariat, c’est une dictature sur la minorité par la majorité. La démocratie va seulement dépérir lorsque le besoin d’une dictature dépérit aussi : « la destruction de l’État est aussi la destruction de la démocratie, l’extinction de l’État est aussi l’extinction de la démocratie20. »

La démocratie et la dictature forment une unité de contraires et la dictature du prolétariat ne peut pas exister sans cette unité de contraires. Rejeter la démocratie prolétarienne revient à rejeter la nécessité d’un État socialiste, dans d’autres mots, à rejeter la dictature du prolétariat. La démocratie n’est pas liée au « droit à la propriété individuelle », mais est liée à la société de classe qui génère un État, c’est-à-dire l’oppression violente d’une classe par une autre. La dictature du prolétariat est un tel État.

Vous, camarades de l’OCR, nous accusez d’avoir des visions trop « démocratiques » du socialisme, qui iraient contre le principe du rôle dirigeant du parti d’avant-garde, dont vous insistez qu’il faut qu’il soit « institutionnalisé. » Nous soutenons, au contraire, que notre vision de la démocratie prolétarienne généralisée n’est pas seulement compatible avec le rôle dirigeant du parti d’avant-garde, mais qu’elle est fondamentale à son existence, que l’un ne peut pas exister sans l’autre.

Ce n’est pas la première fois que cette fausse dichotomie de « la dictature du parti ou la dictature des masses » est mise de l’avant dans le mouvement communiste international. Seulement, c’était habituellement apporté de l’autre côté, par ceux qui voyaient le rôle dirigeant du parti comme étant opposé à la dictature des masses, et donc critiquaient le rôle dirigeant du parti et cherchaient à le minimiser. Mais maintenant, vous, camarades, apportez cette fausse dichotomie en partant de l’autre côté : vous argumentez que l’emphase sur la démocratie ne peut qu’être faite au détriment du rôle dirigeant du parti d’avant-garde. Vous ne voyez pas que cette contradiction, entre la démocratie et la dictature, est fondamentale à la conception léniniste de l’État socialiste, et que nous ne pouvons pas rejeter l’une ou l’autre. L’approche marxiste-léniniste à cette question est, et a toujours été, que la dictature des masses est effectuée sous la direction du parti communiste, et que toute prétention que ces deux aspects sont incompatibles d’une manière ou d’une autre est une incompréhension fondamentale de la dictature du prolétariat.

Ici, nous devons présenter la citation complète de Lénine, prise du chapitre sur le rôle des syndicats dans le socialisme dans La Maladie infantile du communisme (le « gauchisme ») qui décrit sommairement le fonctionnement du parti et de l’État (nos emphases) :

Il va de soi que tout le travail du parti se fait par les Soviets qui groupent les masses laborieuses sans distinction de profession. Les congrès des Soviets de district représentent une institution démocratique comme n’en ont encore jamais vu les meilleures parmi les républiques démocratiques du monde bourgeois; c’est par l’intermédiaire de ces congrès (dont le parti s’efforce de suivre les travaux avec une attention soutenue), de même qu’en déléguant constamment des ouvriers conscients à la campagne, aux fonctions les plus diverses – que le prolétariat remplit son rôle dirigeant à l’égard de la paysannerie; que se réalise la dictature du prolétariat des villes, la lutte systématique contre les paysans riches, bourgeois, exploiteurs, spéculateurs, etc.

Tel est le mécanisme général du pouvoir d’État prolétarien considéré « d’en haut », du point de vue de l’application pratique de la dictature. Le lecteur comprendra, on peut l’espérer, pourquoi au bolchévique russe qui connaît ce mécanisme, qui l’a vu naître des petits cercles illégaux, clandestins, et se développer pendant vingt-cinq ans, toutes ces discussions sur la dictature « d’en haut » ou « d’en bas », des chefs ou de la masse, etc., ne peuvent manquer de paraître enfantines et ridicules, comme le serait une discussion sur la question de savoir ce qui est le plus utile à l’homme, sa jambe gauche ou son bras droit.

Votre réponse, camarades, voit l’emphase générale mise sur la démocratie prolétarienne dans notre Programme, qui, comme Lénine l’a dit dans La Révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, est « un million de fois plus démocratique que n’importe quelle démocratie bourgeoise », comme opposée au leadership du parti. Ne serait-ce pas un exemple de cette fausse dichotomie de « la dictature du parti ou la dictature des masses », qui a été justement dénoncée par Lénine comme du non-sens enfantin?

Mais vous, camarades, insistez sur le fait que le rôle d’avant-garde du parti devrait être « institutionnalisé ». Ce que ceci veut dire exactement n’est pas clair pour nous. Si vous voulez dire que le Parti communiste devrait officiellement être l’institution qui contrôle les soviets de manière bureaucratique, alors nous croyons que vous avez tort. Le (N)PCC soutient que les conseils ouvriers, c’est-à-dire les soviets, sont l’institution suprême du pouvoir de l’État durant le socialisme, et nous affirmons que ceci est en accord avec les points de vue dominants durant les périodes révolutionnaires de l’URSS et de la Chine (nous soulignons) :

Tout le pouvoir en URSS appartient aux travailleurs de la ville et de la campagne en la personne des soviets de députés des travailleurs. (Article 3, Constitution soviétique de 1936)

Tout pouvoir en République populaire de Chine appartient au peuple. Les organes par lesquels le peuple exerce le pouvoir sont l’Assemblée populaire nationale et les assemblées populaires locales à différents niveaux. (Article 2, Constitution de la RPC de 1954)

Durant le socialisme, le parti mène les soviets, mais il n’a pas de contrôle bureaucratique sur eux. Par le biais de ce que Staline appelait des « courroies de transmission » (ou ce que Lénine a appelé quelques fois des « rouages »), les décisions prises par le parti finissent par être approuvées par les soviets, et donc de facto le pouvoir est exercé par le Parti communiste. Mais il y a une différence immense entre dire ceci, et dire que le parti est « institutionnalisé » en tant que pouvoir d’État. Le caractère du leadership du parti est de nature politique, et non organisationnelle.

L’OCR semble s’inquiéter que certaines mesures présentes dans notre Programme, comme la « possibilité de révoquer tous les officiers d’État à tout moment », pourraient être exploitées par des partisans du capitalisme. Nous sommes entièrement d’accord. Mais ce n’est pas parce que certaines mesures pourraient être exploitées par des partisans capitalistes qu’il faut les supprimer complètement. De fait, les cas du révisionnisme et de la restauration du capitalisme pour l’URSS et la Chine démontrent que le parti communiste a été utilisé par des partisans du capitalisme. Pourtant, vous allez certainement être d’accord, ceci n’est pas un argument contre la construction d’un parti communiste.

Nous soutenons plutôt que ce qui est fondamental n’est pas les mécanismes organisationnels de l’État, mais bien la lutte des classes au niveau politique. Il n’y a pas de mécanismes, de mesures bureaucratiques ou de « rôles institutionnalisés » qui peuvent fournir une protection infaillible contre le révisionnisme et la restauration du capitalisme. Ceci est pourquoi nous défendons la continuation de la lutte des classes jusqu’au communisme, en révolutionnant constamment les relations de production ainsi que la superstructure de la société par le biais de révolutions culturelles prolétariennes. Et cette pratique, comme démontré par la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, n’est possible que par l’entremise de la démocratie prolétarienne généralisée sous le leadership du parti communiste d’avant-garde.

Sur la propriété d’État

Vous, camarades de l’OCR, interprétez notre Programme comme s’il ne défendait pas la propriété d’État socialiste quand vous écrivez : « Pour l’Union soviétique et la Chine maoïste, la propriété collective a pris la forme de propriété d’État. Nous notons que votre Programme substitue des conceptions ambiguës de démocratisation de l’économie à cette forme spécifique de propriété d’État. »

Qu’est-ce que l’État? Dans la conception marxiste, « l’État est un organe de domination de classe, un organe d’oppression d’une classe par une autre; c’est la création d’un ‘ordre’ qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classes. »21 Lorsque notre Programme fait référence aux « plus hauts organes du pouvoir ouvrier » et aux « institutions démocratiques du peuple », ce dont il parle est l’État prolétaire.

Compte tenu de ce qui précède, vous comprendrez que puisque (1) l’État socialiste est la forme concrète de la dictature du prolétariat et que (2) les conseils ouvriers (« soviets ») sont les principales institutions démocratiques du prolétariat par lesquelles il exerce sa dictature sur les autres classes, alors (3) la « démocratisation de l’économie », dans ce contexte, est synonyme de « propriété de l’État » dans un sens socialiste — ceci réfère à la même chose. Lorsque nous disons que « l’économie sera retirée des mains des individus, des entreprises et des sociétés privées et confiée aux institutions démocratiques du peuple », ce que nous disons, c’est que l’économie sera sous le contrôle de l’État socialiste.

La raison pourquoi des termes tels que « la démocratisation de l’économie » et « les institutions démocratiques du peuple » ont été utilisés est que « propriété d’État » est aussi un terme utilisé au sein de la société capitaliste pour défendre quelque chose qui est complètement différent de ce que nous suggérons. Nous ne militons pas pour un capitalisme de monopoles d’État où les masses n’ont pas de contrôle, et il semblait essentiel de nous différencier clairement de cette position. Mais, essentiellement, oui, la propriété collective est sous forme de propriété d’État, c’est ce que notre Programme défend.

Sur la démocratie au travail

Vous, camarades, critiquez aussi le passage suivant : « Sous le socialisme, la démocratie sera mise en place dans les lieux de travail. Les travailleurs manuels seront invités à parler et réfléchir et les travailleurs intellectuels seront invités à descendre sur le plancher. » Vous commentez que : « Ce qui est décrit dans les deux premières phrases de la citation ci-dessus n’est pas, en fait, de la démocratie au travail, mais bien surmonter la séparation entre le travail manuel et intellectuel, incluant la base matérielle réelle de cette séparation. »

Mais ces deux phrases ne réfèrent pas exactement au même procédé. Ajouter des mesures de démocratie dans le milieu de travail est lié avec l’idée de surmonter la séparation entre le travail manuel et intellectuel, mais n’est pas la même chose.

Il est vrai qu’apporter la démocratie au travail n’a pas été un programme systématique dans les États socialistes, surtout dans le contexte de guerre civile ou mondiale. Mais les conditions concrètes du Canada nous font penser qu’il y a en effet une certaine mesure de démocratie (prolétarienne) qui doit être mise en place dans les lieux de travail. Il est aussi clair que nous ne parlons pas d’« autogestion ouvrière » ou d’illusions ultra-démocratiques, comme nous disons clairement : « Les [lieux de travail] ne seront pas laissés à eux-mêmes, mais devront travailler dans le cadre de plans centraux décidés démocratiquement par les plus hauts organes du pouvoir ouvrier. » Tout espace existant pour l’introduction de mesures démocratiques dans les lieux de travail sera subordonné et conditionnel à ce que les organes politiques de la dictature du prolétariat décideront. Est-ce que vous, camarades, croyez qu’il n’y a absolument pas de place pour ajouter un peu de démocratie dans les lieux de travail dans le contexte du 21e siècle au Canada (ou aux États-Unis)? Est-ce que l’on pourrait garder notre sérieux en disant à un ouvrier d’Amazon dans un entrepôt ou à des aides-soignants dans le cauchemar bureaucratique de notre système de santé, que les structures de commandement excessivement hiérarchiques et bureaucratiques sont la bonne façon de faire, et qu’ils ne devraient pas avoir plus souvent leur mot à dire sur les décisions prises dans leur milieu de travail qu’ils ne l’ont présentement? Ça nous semble dur à vendre et ça semble être un programme erroné pour la classe ouvrière. Au contraire, nous croyons que de la démocratie prolétarienne (qui n’est pas du « syndicalisme révolutionnaire ») doit être construite de manière assidue parmi la classe ouvrière.

Scientifiques et experts

Vous, camarades, citez aussi ce passage de notre Programme pour faire une critique : « Les usines, mines, hôpitaux individuels, etc., ne seront pas laissés à eux-mêmes, mais devront travailler dans le cadre de plans centraux décidés démocratiquement par les plus hauts organes du pouvoir ouvrier, suivant les recommandations de scientifiques et d’experts. » Vous mentionnez qu’ « il y a un traitement bien trop démocratique des scientifiques et des experts qui suggère un manque de compréhension de la force matérielle et idéologique continue que la bourgeoisie possède même sous la dictature du prolétariat. » Vous ajoutez également que : « Sans la direction du parti d’avant-garde et la supervision des masses (c’est-à-dire, la dictature du prolétariat), les recommandations des scientifiques et experts que vous comptez suivre vont être des recommandations bourgeoises. Ceci est pourquoi, en Chine maoïste, ils insistaient sur le principe de rouge et expert et avaient développé des formes telles les comités trois-en-un pour mettre en œuvre ce principe. »

Nous n’arrivons pas à trouver où ce « traitement bien trop démocratique » est situé dans notre Programme politique. Nous parlons de « plans centraux décidés démocratiquement par les plus hauts organes du pouvoir ouvrier, » ce qui désigne la dictature du prolétariat, comme nous l’avons vu. Pour être clairs, nous voulons que ces scientifiques et ces experts soient rouges, et nous devrons exercer une forme de coercition lorsque nous devrons consulter des éléments petits-bourgeois de l’ancienne société qui ne se seront pas remodelés, ainsi que former de nouveaux contingents entiers d’experts tirés directement des rangs du prolétariat.

Une extension des droits bourgeois?

Vous, camarades, exprimez également un certain « souci que certaines politiques pour le socialisme dans le Programme du (N)PCC pourraient finir par étendre et renforcer le droit bourgeois plutôt que le restreindre et l’éliminer. Par exemple, votre Programme milite pour ‘‘l’abolition des taxes et des impôts pour les travailleurs ordinaires.’’ Lorsque l’on considère ceci avec la caractérisation du socialisme comme une société « où les travailleurs récoltent le fruit de leur labeur », ceci sonne un peu comme le vieux concept lassalien du droit à la totalité des profits du labeur, que Marx et Engels ont réfuté.

La forme principale de propriété dans une société socialiste est, comme vous l’avez noté, la propriété d’État. Dans ce cas, les ouvriers sont employés par l’État et produisent des valeurs d’usage. Les valeurs d’usage sont appropriées par l’État, qui les redistribue en partie à travers des projets collectifs (infrastructure, éducation, soins médicaux, etc.) et en partie aux ouvriers individuels pour leur subsistance. De cette manière, les travailleurs récoltent bien le fruit de leur labeur, pas d’une manière individuelle, mais dans le sens que toute la richesse qu’ils produisent leur revient en tant que classe.

Il n’y a pas besoin d’impôts ou de taxes, puisque la richesse produite par les travailleurs est directement collectivisée. Nous ne voyons pas pourquoi l’État socialiste redistribuerait aux travailleurs, juste pour reprendre une partie de cette richesse sous forme de taxes.

Comme vous le mentionnez : « la période de transition socialiste n’est pas l’abolition de l’appropriation, mais bien l’abolition de l’appropriation privée. » Ceci est vrai, car une partie de la richesse créée par les travailleurs est appropriée pour être réinvestie dans des efforts collectifs. Et, comme vous le notez, « la période de transition socialiste va impliquer une augmentation de l’appropriation sociale jusqu’à ce que l’appropriation sociale devienne absolue, et donc cesse d’exister, sous le communisme. » Nous sommes en accord avec ceci, c’est conforme à notre Programme.

Le communisme comme but final

Vous, camarades, écrivez en parlant de notre Programme que « l’objectif final du communisme y est peu mentionné, étant plus sous forme d’une réflexion après coup, ajouté à la fin. »

Le Programme du (N)PCC présente les taches immédiates des communistes au Canada, comme détachement du mouvement communiste international. En faisant ceci, il cherche en priorité à résoudre les principales contradictions concrètes auxquelles les communistes canadiens font face, afin d’avancer vers le but du communisme. Donc, le but du communisme est omniprésent et est à la base de tout ce qui est écrit dans le Programme.

Nous croyons qu’il était nécessaire d’avoir un Programme qui se concentrait sur la politique (c’est-à-dire, l’application concrète du MLM à la réalité canadienne) puisque c’est une déviation présente de nos jours dans notre mouvement de confondre les positions idéologiques et la politique, et donc d’éviter complètement les questions nécessaires pour que notre mouvement avance, à savoir l’analyse des classes et la stratégie révolutionnaire. Nous croyons que l’emphase mise sur ces questions rend, en fait, le but du communisme plus omniprésent, car le communisme n’est pas traité comme une simple hypothèse idéologique, mais comme un but final qui définit comment nous agissons maintenant. Nous croyons que beaucoup de « communistes » dans les pays impérialistes ont tendance à oublier que l’universel n’existe que dans le particulier, et que la tâche urgente qui nous est requise n’est pas de discuter longuement des expériences passées dans notre Programme, mais d’apprendre activement de celles-ci en appliquant de manière concrète leurs leçons à notre propre réalité. En fait, l’application concrète de ces leçons est la seule façon de saisir réellement leur essence même.

Comme Marx l’a dit : « Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. » Notre Programme a préféré faire vivre le communisme en se concentrant sur la façon d’en faire un mouvement réel plutôt qu’en s’attardant philosophiquement sur sa signification.

Cela dit, nous sommes d’accord que plus d’élaboration sur la transition socialiste est nécessaire. Mais c’est quelque chose qui peut et doit être développé dans le processus de la lutte révolutionnaire. Nous avons hâte d’étudier votre analyse de la transition socialiste, de développer plus profondément nos propres conceptions sur le sujet et de les appliquer concrètement à travers la pratique révolutionnaire.

Derniers détails et observations finales

Pour aborder un dernier point important de critique de la part de l’OCR du Programme politique de notre Parti, traitons la préoccupation à propos de l’économisme et la réduction de certains autres problèmes de la société canadienne à une conception « économiste ». Notamment, vous pointez vers l’oppression des femmes et des personnes LGBT dans la société bourgeoise. Pour être francs, si la question des femmes n’a pas eu plus d’élaboration dans notre Programme, c’est parce que ce n’était pas une question priorisée par notre effort de construction de parti en avance du congrès et lors de celui-ci. La raison pour ceci est que cela ne faisait pas partie des questions clés qui freinaient le développement de notre mouvement révolutionnaire durant les vingt dernières années, contrairement aux erreurs et aux déviations portant sur l’analyse de classe et la question nationale. En fait, le besoin d’une élaboration plus poussée sur le sujet de la question des femmes a en effet été évoqué à notre congrès, mais il a été décidé collectivement que faire de celle-ci un débat impromptu lorsque nos membres n’étaient pas adéquatement préparés n’aurait pas porté fruit. En d’autres mots, camarades, notre Parti révolutionnaire évolue encore et ceci est un sujet de débat et de lutte pour la période qui s’en vient.

Bien que cette réponse ait été longue, nous croyons qu’il fallait qu’elle le soit pour aborder les critiques qui avaient été émises. Nous apprécions que cet échange ait permis de clarifier les désaccords qui existent entre nous et qu’il ait fourni une fondation plus claire pour continuer à lutter ensemble. Les publications prévues dans kites #9 et certains articles prévus pour kites #10 et les numéros subséquents permettront d’établir beaucoup plus fermement et de manière plus complète les fondements de notre nouveau Ple contenu qui devait être publié dans les numéros subséquents de kites a été redirigérogramme politique22.

Comme nous sommes deux organisations communistes légitimes dans les pays impérialistes, nous nous réjouissons de continuer notre collaboration théorique et de lutter à travers nos différends politiques et idéologiques, de manière bilatérale, et lorsque approprié, de manière publique. Nous sommes impatients de faire ceci sans le sectarisme et le dogmatisme que certains de nos prédécesseurs ont pu montrer, à leur détriment; mais au contraire par des discussions sérieuses et franches qui cherchent à trouver les positions justes pour le mouvement révolutionnaire prolétaire dans son ensemble. Nous croyons que nous sommes et pouvons continuer d’être un exemple d’un processus d’unité-lutte duquel d’autres communistes dans d’autres pays ont beaucoup à apprendre, et nous avons l’intention de lutter avec vous, camarades, pour trouver des manières de résoudre ces différences de quelque manière que ce soit qui correspond au besoin d’unifier et de faire avancer le mouvement communiste révolutionnaire dans son ensemble.

-Comité central du (N)PCC, avril 2024

Notes de fin

1 Mao Zedong, « Analyse des classes de la société chinoise », mars 1926.

2 Mao Zedong, « Rapport sur l’enquête menée dans le Hunan à propos du mouvement paysan », mars 1927.

3 kites #8, 368.

4 Voir le texte à venir « Pour un empire médiatique prolétarien : La question des méthodes et des tâches urgentes auxquelles est confronté le travail de propagande communiste aujourd’hui », par l’Équipe média du (N)PCC, qui était auparavant prévu pour kites, mais qui va maintenant apparaître dans une édition future de La Voie Ferrée.

5 Les lecteurs de kites peuvent consulter les interviews réalisées avec ces deux organisations dans les numéros 4 et 5-6, respectivement, pour un développement de leur théorie de la crise capitaliste et des répercussions de cette crise pour les pays impérialistes en particulier.

6 Il est notable que seuls les révisionnistes et les trotskistes aujourd’hui considèrent le nationalisme québécois comme une force progressiste, alors qu’aucune des deux sections du troisième mouvement de construction du Parti n’a tenu cette position (grâce aux positions fortes et justes du Parti communiste révolutionnaire (PCR-RCP) sur l’intégration de la bourgeoisie québécoise dans le système impérialiste).

7 La première de ces retraites est survenue lorsque le premier Parti communiste du Canada est devenu une organisation révisionniste entre les années 30 et 40.

8Cela ne veut pas dire que rien n’a survécu aux années 1980 : l’exemple le plus notable est celui d’Action Socialiste au

Québec, une organisation qui a précédé le PCR-RCP, et donc le seul pont entre les deuxième et troisième mouvements de construction du Parti au Canada.

9 Lorsque cette réponse à l’OCR a été rédigée, notre Parti n’avait pas anticipé qu’elle précipiterait la fin de kites et donc nous nous attendions encore à ce que kites #9 soit publié dans le futur proche. Il va de soi que les bilans mentionnés ici seront publiés dans une édition future de La Voie Ferrée.

10 À noter que la note de bas de page originale sur ce passage mène le lecteur aux pages suivantes dans kites #8 pour plus d’élaboration : 58–61, 168–170 et 551–555.

11 Dans tous les cas, nous ne voyons pas d’exemples significatifs d’organisations dans notre contexte social qui ont comme problème le fait d’être fixées trop étroitement sur la classe ouvrière. Au contraire, la déviation principale que nous voyons est celle de complètement enterrer les enjeux ouvriers sous les enjeux identitaires. Pour ce qui est de l’ouvriérisme, si cela existe, alors cela consiste probablement en (a) le genre d’opportunisme cynique qui consiste à chercher des postes d’exécutifs syndicaux pour son propre avantage (une tendance commune au sein des révisionnistes du type « vieux Parti communiste ») et (b) brandir une compréhension imaginaire de la classe ouvrière comme un fétiche identitaire et insensé (comme il est fréquent chez certains types de trotskistes, de gauchistes de la contre-culture, etc.) L’approche léniniste pour éviter ces pièges est de nous ancrer dans la classe ouvrière et d’intervenir dans tous ses secteurs, sur toutes les questions qui nous permettent d’approfondir les contradictions de la société capitaliste-impérialiste.

12 Après tout, nous ne sommes pas luxembourgistes, quoique nous défendrons toujours Rosa fermement contre les opportunistes.

13 Si vous n’êtes pas certain de ce dont il est question ici, voir la section sur le Pérou dans la partie III de la série Spectre, « When we ride on our enemies, » écrit par Kenny Lake pour kites.

14 Remarquez, cependant, que nous parlons ici en termes de proportions, et non de caractère essentiel. La force de travail abstraite n’est pas différenciée, et le capitalisme est donc très bien capable d’employer hommes et femmes, prolétaires de nations dominantes et de nations opprimées, etc., pour les mêmes postes. Il en découle que si la mobilisation industrielle est nécessaire pour bien s’immerger dans les secteurs sociaux opprimés, nous immerger dans ces secteurs ne nous détourne pas nécessairement de la nécessité de mobiliser le prolétariat en tant que classe.

15 Selon la recherche qui a mené à notre Programme politique, ces 11 millions de personnes regroupent les ouvriers dans les secteurs productifs de l’économie, auxquelles s’ajoutent un autre 4 millions d’ouvriers qui travaillent dans les secteurs improductifs qui n’ont de sens que pour la bourgeoisie.

16 Le RIN était une organisation plutôt éclectique, surtout sociale-démocrate qui a précédé le Parti Québécois (PQ) en tant que principal parti nationaliste québécois dans la province. Il était traversé par des lignes divergentes, mais son courant révolutionnaire n’a jamais pris le dessus (menant ainsi à la dissolution éventuelle du RIN dans le PQ).

17 Notre analyse ici va au-delà des augmentations salariales strictement quantitatives et inclut également des concessions sociales essentielles. Par exemple, les CPE et les cliniques de santé locales sont nés de la récupération par la bourgeoisie des institutions ouvrières créées sous l’impulsion du mouvement de masse militant.

18 Le (N)PCI identifie cinq piliers du régime de contre-révolution préventive entretenu dans les pays impérialistes, dont l’un regroupe les concessions économiques accordées aux masses populaires à la fin de la Deuxième Guerre mondiale interimpérialiste; mais ce pilier s’est révélé le plus fragile, sous le poids de plusieurs décennies de ce qu’ils considèrent être la deuxième crise généralisée du capitalisme. On peut en lire plus sur leur théorie du régime de contre-révolution préventive dans leur Programme Manifeste de même que d’autres articles qui ont été publiés sur nuovo-pci.it > Éditions en langues étrangères.

19 Lénine, L’État et la révolution (1917).

20 Ibid.

21 Ibid.

22 Comme nous l’avons dit plus tôt, le contenu qui devait être publié dans les numéros subséquents de kites a été redirigé vers de futurs numéros de La Voie Ferrée ainsi que vers le nouveau journal de l’OCR, Going Against the Tide.

Recent posts